Rédaction de rentrée.
Je ne sais pas si à l'heure de l'orthographe SMS et de la syntaxe "nature", le jour de la rentrée, les jeunes élèves ont encore droit à la traditionnelle rédaction: "racontez ce que vous avez fait durant vos vacances". L'Éducation nationale française, qui est à l'instruction publique ce que le rockabilly est à la musique, a sûrement trouvé un idée géniale pour en finir avec cette pratique discriminatoire et passéiste. En tout cas, moi, je m'y colle, d'autant qu'en ce mardi où les gamins français reprennent leur cartables, je profite de quelques jours de congé, ici, à Barcelone.
Je vous passe la première partie de l'été, ce beau mois de juillet dans le Sud-Ouest, à L'Horloge d'Auvillar, je vous ai déjà tout raconté ici, ici ou encore là: Castañuelo, ce toro d'une demi-tonne que nous avons mis en pièces détachées, la maestria de Serge François, les visites des un(e)s et des autres, les longues soirées vigneronnes, l'émouvant hommage d'André Daguin, le "fratriarche" (pour reprendre le titre de son copain Kléber Haedens) de la cuisine gasconne… Auvillar, il me tarde d'y revenir.
Puis, il y a eu août, on the road again, le changement de paysage. Retour via Albi vers la Méditerranée, versant montagne, Montagne noire, Félines-Minervois. Réouvrir Charivari, l'OVNI liquide & solide de mon frérot Michel Escande, l'amiral des vignes, le yachtman du canal, à Borie de Maurel, c'était mon second job d'été. Je ne vais pas tourner autour du pot: là encore, je me suis régalé! Et d'abord en cuisine. Tenez, jetez un œil à l'étalage*, ça vaut mieux que de longs discours!
Vous l'avez compris, comme en juillet, en août, grâce à la réouverture de Charivari, j'ai eu le privilège de mettre les doigts dans des produits qui malheureusement ne franchissent plus la porte de la quasi totalité des restaurants normaux. De travailler la même matière première, saine et goûteuse, que les plus heureux d'entre nous utilisent à la maison, bref de nourrir mes convives à partir d'un garde-manger "de luxe".
Je suis conscient que c'est une chance inouïe. Je sais, je l'ai déjà écrit, que la pression fiscale et réglementaire dont la France s'est fait une spécialité mondiale plus renommée encore que sa gastronomie, condamne bon nombre de cuistots, y compris étoilés, de travailler de la came de pousse-caddie. Je voudrais tant que les gratte-papiers qui règnent de l'autre côté des Pyrénées comprennent le mal qu'ils font depuis des années à un des éléments clefs du tourisme français lequel, qu'on le veuille ou non, demeure une des dernières vraies industries profitables de l'Hexagone**. Et que le "normal", ce soit le "bon", pas le médiocre.
Cuisiner, découper, cuire, griller, rôtir, braiser des produits des produits sincères, des produits francs (pour faire un clin d'œil à l'excellent tripier des halles de Carcassonne), du bio le plus souvent, c'est, je l'espère, le rêve de toute personne qui entend nourrir son prochain. Traiter avec des artisans honnêtes, négocier avec les paysans du coin, dévaliser le potager du voisin, courir les marchés, filer à la manade chercher le toro de sa daube, prier pour qu'Angel redescende quelques cagettes de girolles de la montagne… Ainsi, au rythme de la saison et de l'approvisionnement, loin des paillettes, des modes et du maniérisme, la cuisine renoue avec la simplicité, se fait plus directe. Disparaît le besoin d'alambiquer, de masquer, de tricher. Revient l'acte essentiel: nourrir.
Évidemment, le petit apprenti que j'étais et que je demeure a eu besoin d'aide pour dompter ce garde-manger de folie. Il y a eu bien sûr ma chère Fanny, ma "cuisinière des Corbières", sorte de cheftaine du chef que jadis des malfaisants traitèrent comme une souillon. Je t'embrasse, Fanny.
Le reste s'est fait naturellement, amicalement, fraternellement. Merci aux chefs qui spontanément sont venus me donner la main en cuisine.
Le reste s'est fait naturellement, amicalement, fraternellement. Merci aux chefs qui spontanément sont venus me donner la main en cuisine.
Merci à Serge François, L'Horloger d'Auvillar, arrivé avec une pleine malle de marchandise gasconne, dont de vigoureuses coucou-de-rennes. Je pense que tous les deux, nous nous souviendrons longtemps de ce service incroyable où, l'orage aidant, nous avons fini de cuire et dresser les plats, à la lueur des bougies. À l'armagnac aussi qui a rallumé la lumière.
Merci à Guillem Oliva, le Catalan pur et dur, débarqué de Barcelone avec ses adorables fillettes devenues commises en un clin d'œil. Guillem, quelle émotion que cette "salade de girolles en pensant à Santi Santamaria"; ton maître aurait été fier de toi. Il me tarde de voir comment tu vas mettre du terroir, du rythme et de l'identité dans la cuisine de ce Monvínic rénové dont tu tiens désormais les rênes.
Merci à Bruno Stirnemann, l'Alsacien de Pézenas, l'accordeur de pianos. Tu es venu client, tu es reparti chef, par la grâce de ces quelques bouteilles de fino que nous avons bues, un lundi de relâche, chez Michel Smith (Michel qui, le temps d'une nuit, est devenu commis-sommelier à Charivari tandis que sa Mireil tenait le bar…). Bravo encore pour cette crème de lentilles/truite des haut-cantons fumée, et à l'accord avec cette Lune blanche 2004 dont Daniel Leconte des Floris a eu la gentillesse de nous porter des magnums.
Un merci tout particulier enfin à Trevor Gulliver, qui avec son associé Fergus Henderson va fêter le mois prochain les vingt ans du St. John. Oui, je sais, Trevor, tu n'es entré en cuisine (et à de nombreuses reprises!) que pour savoir ce que tu allais manger, mais, ce rôle de "mentor" comme tu dis, tu l'as joué à merveille, sorte de fil rouge de ce Charivari 2014. Bien sûr, je serai là, nous serons là le 25 octobre pour souffler les bougies de ce restaurant qui fait que lors de mes séjours à Londres, je demande l'asile gastronomique aux quartiers de Smithfield et Spitalfields Market. Parce que chez toi, aller déjeuner ou dîner, c'est aller faire la fête!
La fête, tiens, parlons-en. Fête solide & liquide. En matière de vin***, sous la houlette d'Isabelle Brunet (avec même les congratulations de Mistress Jancis et de son mari…), on a bu de tout, en toute liberté. Du frétillant et de l'antique, des caisses de vins de Borie de Maurel à l'image de ce stratosphérique Esprit d'Automne
2013, mais aussi des vins d'ailleurs: le corbières de Philippe Courrian
venu en voisin avec son collègue Michel Péresse ou L'Azerolle
(en verticale pour la soirée carignan) de Raymond Julien; du Braucol de
Plageoles, grand rescapé des vendanges 2013, ou le rioja d'Olivier
Rivière; un sancerre de la famille Vacheron ou l'Outre-Rouge d'Élian Da Ros (quelle émotion il y a quelques jours en voyant cette bouteille dans les mains d'un Soulages ravi!); du jerez andalou ou du minervois du Viala… Ça, et plein d'autres choses encore, ce qu'on veut, on vous dit!
Cette liberté (consubstantielle de l'âme de Charivari), cette ouverture d'esprit, cette générosité ne sont malheureusement pas à la portée de tout le monde; un échec récent nous l'a prouvé. Elle nécessite de l'intelligence, de la volonté, de l'envie, sans compter un indéfectible respect du produit et un sincère amour du vin. Pour tout ça, malgré les écueils, merci, Michel!
Merci de nous avoir aidés à transformer une nouvelle fois cette vieille Borie de Maurel, cette maison que tu as remontée pierre par pierre, où j'ai passé tant de temps, en un incroyable club de rencontres****, à l'opposé de ce Languedoc, viticole notamment, dont on aimerait qu'il fasse preuve d'un peu plus d'ambition et de vista, qu'il "pense un peu moins pantacourt".
Oui, le Charivari a de l'avenir, il suffit d'avoir le pied marin…
* Parce que je sais bien que quelques esprits chagrins, alliés parfois même sans le savoir de l'Internationale de la Malbouffe, vont m'accuser de faire étalage de tant de richesses, ce à quoi je leur rétorquerai que je ne rêve que de restaurants (je l'ai notamment expliqué ici) où, comme à L'Horloge, les premières pages de la carte sont occupés par la liste exhaustive des fournisseurs de la maison. Ça vaudrait bien le ridicule décret fait-maison qui visiblement n'a pas passé l'été…
** À cet égard, les chiffres de l'été qui s'achève ne sont pas brillants semble-t-il. Peut-être faudrait-il éviter de se réfugier derrière l'excuse météo. La France devient triste, grise, les étrangers nous le disent, il faut en prendre conscience!
*** Si des abstèmes s'étaient présentés, nous avions pour eux du jus de carignan du Minervois, le jus de pommes de Citou, la limonade roussillonaise et l'Alter-Cola assorti. Ça n'a pas beaucoup servi, à part pour les petit-déjeuners…
**** Quel bonheur de voir mélangés des gens si différents, connus ou inconnus, Le Gosse (qui est passé de l'autre côté du bar), Xavier (X2), Hassina, Olivier (X2), Florence, Aurélien, Pascal, John, Nicola, Philippa, Charlotte, Gilles, Jean-Baptiste, Jean-Luc, Fredo, Mathilde, Bruno, James, Simone, Toni, Clément, Gaetane, Sophie, Leïla, Patrick, Valérie, Maxime, Nathalie, Baron, Albert, Benoît, et tous les autres que j'oublie ici. Merci à vous tous de m'avoir offert parmi les plus belles vacances de ma vie, fucking working holidays!
Ca donne faim et soif tout cela ! Et ces "gueules"..!
RépondreSupprimerLe vin est une fête !
SupprimerOui. Là, je, oui !
SupprimerÀ toi, merci ! Et à tous les souvenirs que cela engendre à jamais. Vive la vie !
RépondreSupprimerDes souvenirs, Michel, nous en avons encore des tonnes à bâtir! Merci, tu as été le meilleur commis-sommelier de Charivari!
SupprimerQuel délicieux moment "Carnivore", du Glou-Glou, de la Fraternité...
RépondreSupprimerQuand le jour se lève... c'est là que l'on se dit "Le Bonheur... est en Livinière !"
Night & Day... Je vous Aime,
Amour et Partage...
Il est 7 heures, La Livinière s'éveille…
SupprimerTu bois quoi, sur des aloses? Un Corton ?
RépondreSupprimerSur l'alose, la grosse, non feinte, celle de l'Adour ou de la Garonne, plutôt un rouge qui viennent se frotter à son côté terreux. Là, à la volée, je dirais un Braucol 2013 de Plageoles car j'en ai 6 bouteilles sous la main.
SupprimerSur l'alose, on peut penser aussi à une folle noire d'Ambat du château le Roc (Fronton, négrette) ou un Côtes de Duras (Mouthes le Bihan) ou encore Coteaux du marmandais (Chante-Coucou).
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