La France a peur…
Vous vous souvenez de ce grand moment de télévision? Nous sommes le 18 février 1976, à vingt heures. "La France a peur" répète à quatre reprises Roger Gicquel, le présentateur vedette du journal de TF1, une anaphore qui marqua l'époque, montrant, précédant ou suscitant (selon les avis) la vague sécuritaire qui suivit cet odieux fait-divers.
Dans un tout autre domaine, la peur constitue le ressort principal d'un autre grand moment de télévision qui sera diffusé ce soir sur une des chaînes du service public. Vous, vous en doutez, je parle là de Vino Business, cette caricature de reportage qui à force d'amalgames, de parti-pris et de contre vérités nous fait croire que le vin se résume aux guéguerres de pognon et d'influence, à Saint-&-Millions et alentours, de quelques ultra-privilégiés de la viticulture (lire ici, ici et ici). La peur du monde qui change, la peur de l'étranger, du Chinois, de l'Américain, la peur de demain. Et, inévitablement, dans un pays hypocondriaque, tout le long de ce documentaire à charge, la peur du poison, du chimique, de la maladie. La peur des "pesticides" qui vont tuer ceux qui boivent du vin.
Pour bien ancrer cette peur dans la tête du téléspectateur de base, montrer à quel point les paysans sont diaboliques, il y a, au début du documentaire sus-cité, cette phrase-choc qui introduit le problème: "quand la météo est peu clémente, les viticulteurs ont une excuse toute trouvée pour utiliser massivement des pesticides". Ben oui, quand il pleut des cordes, tu as une excuse toute trouvée pour utiliser un parapluie…
Donc, c'est entendu, le vin est un poison. Et les vignerons des sagouins qui utilisent de plus en plus de "pesticides". C'est comme ça en tout cas que beaucoup l'entendront ce soir sur France 3. Le problème, c'est que "cette mutation" vers une viticulture chimique, assassine, dénoncée par Isabelle Saporta, c'est un énorme, un gigantesque mensonge!
Comme le souligne, chiffres en main, Le Monde du 29 janvier dernier (organe de Presse peu suspect de complaisance pour ce secteur d'activité), "la viticulture est la filière agricole qui a le plus vite embrassé le bio". Car, oui, au delà des peurs, des épouvantails, les chiffres existent, comme le montre le graphique ci-dessus*. Et, dès qu'on prend un peu de hauteur, on le constate: la tendance est nette, de plus en plus de vignerons français marchent dans la bonne direction!
Au passage, l'Agence Bio qui publie ces chiffres sur l'avancée d'une viticulture plus propre en France, nous donne un descriptif département par département de la situation. Et (comme c'est bizarre!), je n'arrive pas à retrouver les noires révélations que j'avais entendues durant mes visionnages du remake télévisuel de Mondovino. On m'y confirme que la terre promise du bio dans l'Hexagone, ce n'est ni la Côte d'Or ni la Gironde, mais, comme de bien entendu, le pourtour méditerranéen. On peut toutefois comprendre qu'il soit plus aisé de mettre en œuvre cette façon de travailler sous le climat de La Livinière ou de Maury qu'à Volnay ou Pauillac…
Donc, c'est entendu, le vin est un poison. Et les vignerons des sagouins qui utilisent de plus en plus de "pesticides". C'est comme ça en tout cas que beaucoup l'entendront ce soir sur France 3. Le problème, c'est que "cette mutation" vers une viticulture chimique, assassine, dénoncée par Isabelle Saporta, c'est un énorme, un gigantesque mensonge!
Comme le souligne, chiffres en main, Le Monde du 29 janvier dernier (organe de Presse peu suspect de complaisance pour ce secteur d'activité), "la viticulture est la filière agricole qui a le plus vite embrassé le bio". Car, oui, au delà des peurs, des épouvantails, les chiffres existent, comme le montre le graphique ci-dessus*. Et, dès qu'on prend un peu de hauteur, on le constate: la tendance est nette, de plus en plus de vignerons français marchent dans la bonne direction!
Au passage, l'Agence Bio qui publie ces chiffres sur l'avancée d'une viticulture plus propre en France, nous donne un descriptif département par département de la situation. Et (comme c'est bizarre!), je n'arrive pas à retrouver les noires révélations que j'avais entendues durant mes visionnages du remake télévisuel de Mondovino. On m'y confirme que la terre promise du bio dans l'Hexagone, ce n'est ni la Côte d'Or ni la Gironde, mais, comme de bien entendu, le pourtour méditerranéen. On peut toutefois comprendre qu'il soit plus aisé de mettre en œuvre cette façon de travailler sous le climat de La Livinière ou de Maury qu'à Volnay ou Pauillac…
Afin de voir si les vignerons français, comme c'est induit, sont de mauvais élèves qui se chauffent tranquillement contre le radiateur au fond de la classe, faisons un petit tour à l'étranger, écartons nos œillères. Eh bien, là encore, ce n'est pas si mal. En Europe, la France pointe en seconde position devant l'Italie, très loin devant la Grèce, l'Allemagne (pourtant si concernée) mais derrière l'Espagne. Dommage pour les idées reçues…
Les chiffres sont incontestables, il y a du mieux, mais est-ce suffisant? Bien sûr que non! Peut (beaucoup) mieux faire! Comme je l'ai maintes fois expliqué, au delà même de toute philosophie, de toute prise de conscience économique, du respect des travailleurs de la vigne, c'est de marketing dont il s'agit: dans les années à venir, il y a pas mal de pays où ce sera de plus en plus difficile, voire impossible, de vendre du vin qui ne sera pas bio (avec obligation de résultats, pas de moyens). Cela impliquera d'ailleurs tout un travail sur la chimie du bio, sur la façon de le rendre encore plus respectueux de l'environnement, notamment au sujet de l'impact du cuivre dans le sol et de la consommation d'énergie. Nul doute que l'on trouvera des solutions. Il n'y a pas le choix.
J'en profite au passage pour répondre à une remarque faite par un lecteur au sujet d'une note, dans mon dernier billet, où j'évoquais le gros retard des coopératives dans la conversion au bio. Là encore, je préfère répondre par des chiffres. Le schéma ci-dessus est publié par la les Vignerons-Coopérateurs de France. Il en ressort que ces structures, qui produisent 51% de l'ensemble du vin de ce pays, ne produisent que 20% du vin bio français.
Comme il se doit, la claque est convoquée. Saint-&-Millions Business est et sera accueilli avec enthousiasme par une certaine France médiatique, un peu nullasse sur le vin mais tellement experte en bons sentiments. Par cette France médiatique qui méprise et horripile la "vieille France". Par cette France médiatique qui, à l'abri du périphérique, flanquée de ses moralistes et de sa police de la pensée, renforce, propulse, nourrit tout ce qu'elle prétend combattre bruyamment. Là, elle est à la fête, les codes sont respectés: caresses dans le sens du poil, marketing politique opportun, mots qui collent à ce que l'on attend. Et en plus on casse du riche! Car visiblement ce documentaire, comme François Hollande, n'aime pas les riches… Enfin, vous imaginez, des vignerons? Bordelais de surcroît! Si ça, ça ne pue pas le riche!
Bref, on tient la bonne occase** de "rendre justice", puisque ça va être dit, vu à la télé (dans la boîte à cons où comme chacun sait on ne dit que la vérité, toute la vérité…), en prime time.
La haine du riche, donc, mais aussi finalement assez peu d'amour du vin. Vous me direz qu'il y a cette satanée Loi Évin qui au petit écran musèle, censure cet amour-là, mais quand même! Tenez, comparons avec Mondovino dont Saint-&-Millions Business n'est que le pâle remake franchouillard: malgré ses engagements, ses parti-pris, ses erreurs***, on sentait tout le long une profonde, une sincère intimité entre Jonathan Nossiter et le vin. Du désir, une culture. Sans parler de cet humour souvent corrosif, de ce dynamisme.
Face à cette inventivité, avec son style propagande est-allemande, la copie, courte sur pattes, se montre bien en dessous de l'original. Ne lui reste donc que la peur pour marquer les esprits, ce message, stupide, oublieux, qui restera: le vin, c'est dangereux.
Les chiffres sont incontestables, il y a du mieux, mais est-ce suffisant? Bien sûr que non! Peut (beaucoup) mieux faire! Comme je l'ai maintes fois expliqué, au delà même de toute philosophie, de toute prise de conscience économique, du respect des travailleurs de la vigne, c'est de marketing dont il s'agit: dans les années à venir, il y a pas mal de pays où ce sera de plus en plus difficile, voire impossible, de vendre du vin qui ne sera pas bio (avec obligation de résultats, pas de moyens). Cela impliquera d'ailleurs tout un travail sur la chimie du bio, sur la façon de le rendre encore plus respectueux de l'environnement, notamment au sujet de l'impact du cuivre dans le sol et de la consommation d'énergie. Nul doute que l'on trouvera des solutions. Il n'y a pas le choix.
J'en profite au passage pour répondre à une remarque faite par un lecteur au sujet d'une note, dans mon dernier billet, où j'évoquais le gros retard des coopératives dans la conversion au bio. Là encore, je préfère répondre par des chiffres. Le schéma ci-dessus est publié par la les Vignerons-Coopérateurs de France. Il en ressort que ces structures, qui produisent 51% de l'ensemble du vin de ce pays, ne produisent que 20% du vin bio français.
Que
voulez-vous, il est quasiment impossible de sensibiliser à ça un
viticulteur kolhozien qui comme je l'écrivais se fout comme son premier bidon de Round Up de la finalité du raisin ou même qui n'a jamais acheté une bouteille d'un autre vin que le sien. Je parle d'expérience, dans les Corbières, en tentant d'en faire avancer à cette question (et pas que le type de base), je suis généralement tombé sur un mur. Ça amenait même parfois au résultat inverse, à des provocations, où, par bêtise, on se faisait encore plus chimique que chimique!
Comme il se doit, la claque est convoquée. Saint-&-Millions Business est et sera accueilli avec enthousiasme par une certaine France médiatique, un peu nullasse sur le vin mais tellement experte en bons sentiments. Par cette France médiatique qui méprise et horripile la "vieille France". Par cette France médiatique qui, à l'abri du périphérique, flanquée de ses moralistes et de sa police de la pensée, renforce, propulse, nourrit tout ce qu'elle prétend combattre bruyamment. Là, elle est à la fête, les codes sont respectés: caresses dans le sens du poil, marketing politique opportun, mots qui collent à ce que l'on attend. Et en plus on casse du riche! Car visiblement ce documentaire, comme François Hollande, n'aime pas les riches… Enfin, vous imaginez, des vignerons? Bordelais de surcroît! Si ça, ça ne pue pas le riche!
Bref, on tient la bonne occase** de "rendre justice", puisque ça va être dit, vu à la télé (dans la boîte à cons où comme chacun sait on ne dit que la vérité, toute la vérité…), en prime time.
La haine du riche, donc, mais aussi finalement assez peu d'amour du vin. Vous me direz qu'il y a cette satanée Loi Évin qui au petit écran musèle, censure cet amour-là, mais quand même! Tenez, comparons avec Mondovino dont Saint-&-Millions Business n'est que le pâle remake franchouillard: malgré ses engagements, ses parti-pris, ses erreurs***, on sentait tout le long une profonde, une sincère intimité entre Jonathan Nossiter et le vin. Du désir, une culture. Sans parler de cet humour souvent corrosif, de ce dynamisme.
Face à cette inventivité, avec son style propagande est-allemande, la copie, courte sur pattes, se montre bien en dessous de l'original. Ne lui reste donc que la peur pour marquer les esprits, ce message, stupide, oublieux, qui restera: le vin, c'est dangereux.
* Un graphique de l'Agence Bio française qui intègre également les raisins de table, ce qui concernant la Bourgogne et en Gironde représente peanuts.
** Il faut reconnaître que dans le rôle du repoussoir, Hubert Déboires, le Monsieur Plus de Saint-&-Millions, est aussi performant pour Bordeaux que Nicolas Sarkozy pour la Droite aux dernières élections présidentielles…
*** Aimé Guibert de Daumas Gassac, rebelle dans Mondovino, ça valait mille: "le vin est mort! Le vin est mort".
Et Thunevin qui aurait soit disant recours à plusieurs types de raisins pour élaborer ses vins ...
RépondreSupprimerLes bras m'en sont tombés !
:-)
Oui, une énorme "révélation"! Ça vaut le Pullitzer, le coup du Watergate, à côté, c'était de la rigolade…
SupprimerJe comprends Vincent...
RépondreSupprimerLe bio.
Les cons.
Et avant ils étaient moins cons ?
Très kaléidoscopal tout ça...
Bises.
Tom B.
Non, Tom, je ne dis pas le bio et/ou les cons. Mais la montée en puissance du bio, au delà d'un part d'opportunisme, montre une prise de conscience.
SupprimerPour le reste, rien que dans la dernière semaine, j'ai bu plein de grands vins non-bios, Selosse, Reynaud, Chave… Pas bio, certes, mais tellement soucieux de leurs sols et de leur environnement.
On peut difficilement comparer une coopérative avec Chave ou Selosse.
SupprimerPas les mêmes objectifs, pas la même clientèle, pas les mêmes moyens, pas les mêmes marges de manœuvre...
Les chiffons et les torchons.
Le monde du vin a sûrement besoin des 2. Et c'est louable de vouloir qu'ils "s'améliorent".
Mais leurs marges de manœuvre sur les coopérateurs est limitée.
On ne peut pas reprocher aux chiffons de ne faire que le travail que font les chiffons.
On en a besoin, on aime les retrouver et les utiliser.
Tom B.
Effectivement il y a des amalgames, des naïvetés, quelques erreurs dues, me semble-t-il, à un intérêt porté davantage aux aspects commerciaux et financiers des grands crus bordelais qu'à un véritable amour du vin.
RépondreSupprimerMais enfin, pas de quoi lui tomber à ce point sur le paletot à la Saporta.
A moins d'aimer à jamais le jus de planches, l'extraction de parquet, les parkings dans les vignes pour rester "classé", les boutanches d'Angélus avec les prêtres sur écran géant et les danseuses montées sur plateau entre les pieds de vigne.
Vino Business, ça ne va pas chercher très loin dans l'ensemble, on est d'accord, mais de là à croire que cela va nuire au vin, faudrait pas exagérer. Le mec qui ne boit jamais une goûte ou l'innocent qui ignore tout de l'univers pinardier, certain qu'il ne s'est pas infligé l'heure et quart du documentaire.
C'est effectivement ce qu'on peut espérer, c'était tellement chiant qu'il a zappé pour regarder le foot ou la série américaine…
SupprimerAh oui, Sud-Ouest. Je ne sais pas si c'est cet extrait-là que j'aurais choisi…
RépondreSupprimerDe toute façon ce truc n'a fait que 5% d'audience...alors...influence de quoi, hein ?
RépondreSupprimerAu-delà, force est d'admettre que la formation des futurs viticulteurs a changé avec des effets positifs et la "norme" qui s'éloigne du tout rendement et du tout traitement. Autour de Pézenas, chez d'assez nombreux coopérateurs la fertilisation organique remplace les ammonitrates, les phosphonitrates, et les autres. L'enherbement semble aussi s'être largement répandu. C'est déjà beaucoup, sans s'intéresser au résultat en bouteille.
RépondreSupprimer