Cochon d'Amour, pas Cochon Business, Jacques.


C'est Jacques Berthomeau, blogueur impénitent et ancien bras droit de Michel Rocard*, qui m'a interpellé ce matin sur un réseau social, se demandant (question rhétorique), si je réalisais un documentaire sur le cochon, à quoi il ressemblerait. Son interpellation n'était d'ailleurs pas tout à fait innocente, la bête singulière servant de prétexte à une éventuelle conversation sur l'exégèse du remake hexagonal et télévisuel de Mondovino que j'ai publiée hier.
Mais, dans la touffeur de cette après-midi barcelonaise, alors qu'en cave quelques bouteilles (dont un poison bordelais, Jacques…) ne rêvent que de filer en terrasse rafraîchir les invités du dîner, j'ai envie de me prendre au jeu. Et, malgré mon peu d'attirance pour la boîte à cons, de répondre à la question.
Un documentaire sur le porc? Alors, bien sûr (on ne peut pas ignorer la réalité de la consommation de masse), que j'attaquerais** par quelques images sordides, celles de ces cochons d'usine qui quand ils meurent vont au Paradis parce que c'est en Enfer qu'ils ont passé leur vie. Nous irions, vite fait en Bretagne, en Catalogne, en Hollande, en Roumanie, au Mexique, en Chine… Chez Shuanghui, les repreneurs des délicieux Américains de Smithfield Foods qui se cachent derrière tant de marques bien franchouillardes. On parlerait de pollution et de dopage et, au passage, je dirais aux animalistes de tout poil de réserver en priorité leurs larmes de Disneyland à ces pauvres bêtes plutôt que de faire de la sensiblerie sur le séjour terrestre cinq étoiles du toro brave.
Tant qu'à y être, pour monter en gamme, j'évoquerais à nouveau l'escroquerie du Cerdo ibérico de denominación incontrôlée (jusqu'à 60% de contrefaçon!), celui-là même qui fait les délices des jeunes chefs créatifs français tendance Métro-bobo-gastro.


Et, alors, passée cette visite au musée des horreurs, nous partirions au pays si proche de ce qui fait rêver, de ce qui tire vers le haut, de ce qu'on ne trouve pas au pousse-caddie. Ça me fait d'ailleurs penser qu'il faudrait que j'en remette un petit coup sur le pousse-caddie. Parce que, tant qu'à se bagarrer, autant le faire avec des gros, ces gros avec lesquels la bonne Presse a, à mon goût, un peu trop tendance à passer et repasser la langue, surtout en ces périodes de foires aux vins.
Normalement, à ce point du documentaire (20' à peu près), je devrais filer directement à Lascabanes, chez Patrick Duler, pour forcer le contraste. Car je sais que la télévision, malgré l'apparition assez ancienne de la couleur, préfère le simplisme du noir et blanc. En plus, ça me vaudrait les acclamations, à Paris, des foodistes de la Gauche-jambon (le caviar, c'est has-been…). Eh ben non, désolé! Certes, je resterais dans le Sud-Ouest (il paraît que c'est tendance chez les cathodiques, l'accent est vendeur) mais direction le Gers, à la ferme de la Payroulère, chez Arlette et Michel Grangeon, paysans engagés, bio et pragmatiques. Et là, on irait visiter les parcs et les maisons des cochons avant de se régaler de leur inoubliable saucisson.
Tant qu'à se balader dans le coin, on monterait en Ariège, dans le Couserans, trancher dans la chair de ces noirs gascons de compétition dont je servais le boudin, le pâté de tête et les coustelous cet été en Minervois. Plus modestement, nous irions dans le Tarn, tout en haut des Monts de Lacaune, à Moulin-Mage, saluer le charcutier arabe de mon papa, Akim Zerouali, et voir s'il ne lui resterait pas un peu de melsat et un jambon de coche.
Des adresses, il faudrait en donner, en donner beaucoup, montrer que ça existe encore, que ce n'est pas si loin de chez soi, en Loir-et-Cher, dans le Massif central, et même en Corse, où les joues de porcs nustrales sorties du séchoir-fumoir de François Albertini, à Loretu-di-Casinca demeurent un de mes grands souvenirs gourmands insulaires.


Et bien sûr, car c'est aussi par le luxe, par la haute-couture que la France continuera éventuellement de briller, j'irais dans le Lot, au Domaine de Saint-Géry, chez Pascale et Patrick Duler. Et là encore, nous parlerions d'écologie positive, de développement durable, nous montrerions aux gamins autre chose que des nuages noirs, nous leur prouverions qu'il y a un avenir, fait d'ambition et de labeur. Patrick Duler qui me raconterait inlassablement la viande mais aussi le sel, la pureté du sel, la nécessité de se méfier du sel nitrité et du salpêtre, et des efforts que ça implique.
Puis, il évoquerait, lui qui vend peut-être les jambons les plus chers du Monde, le nécessaire élitisme*** de ce genre de production. Le fait que la qualité, ça se paye, et que l'argent n'est pas obligatoirement mauvais. À cet égard, il expliquerait aussi aux téléspectateurs qu'on peut regarder ce documentaire autrement que sur un écran plasma géant qui coûte le prix d'un jambon de luxe mais nourrit moins efficacement l'âme et le corps. Et pour conclure, tous les deux, nous nous lancerions dans un couplet, couteau en main, avec une de ses vieilles ventrêches en arrière-plan, sur le bonheur de cuisiner les "bas-morceaux", sur le besoin de revenir à des modes de consommation plus réalistes, plus respectueux de nous-même et de ce qui nous entoure.
Oui, Jacques, dans Cochon d'Amour (c'est comme ça en fait que je l'intitulerai le documentaire), je tenterais d'abord de faire rêver, pas de dégoûter. D'inciter. Parce que le cochon, comme le vin, je l'aime, je l'aime d'amour. Parce que le cochon, ce "prince de janvier, tant de nos ancêtres ont vécu, survécu grâce à sa mort. Parce qu'il est en nous, il est notre culture, et que cette culture nous devons la transmettre.
Et, on verrait des ripailles. Des types en train de manger du cochon, se régaler, gaiement, en buvant du vin à grosses gorgées (ah non, merde, la Loi Évin, on en est en France…). On verrait vraiment que dans le cochon tout est bon, des oreilles aux andouillettes (fais-moi d'ailleurs penser à te donner l'adresse des andouillettes presque vendéennes de Bressuire, la Rolls!).
Et puis, dans ce documentaire, j'essayerais aussi d'être un peu précis sur la technique, d'éviter de trop proférer d'âneries à heure de grande écoute, j'éviterais de prendre un ton entendu pour "révéler" au grand public qu'avant de le transformer en jambon, le cochon doit être sacrifié


Car, tu t'en doutes, je montrerais une tuerie. Oui, je sais, Jacques, les normes, etc, etc… On flouterais les visages, comme quand on filme des vendeurs de drogue. Je la montrerais parce que c'est beau, parce que je le répète, cette mort est la vie. Je la montrerais pour enseigner au plus jeunes, à ceux qui n'ont connu que des frigos pleins, la valeur de la viande. Je leur montrerais cette bête si proche de nous (plongez votre lame à l'intérieur, vous verrez la leçon d'anatomie), saoulée aux patates et au vin pour moins gueuler, estourbie, maintenue, sacrifiée sur l'autel de nos besoins. Je montrerais le geste du saigneur, tout le rituel, le rasoir, les tripes qui tombent fumantes dans les torchons immaculés, le charcutage, la fête.
Là encore, on parlerait de respect de la nature et de ses ressources, bien plus qu'avec des coups de pub un peu convenus comme celui de Ducasse expliquant aux moutons médiatiques qu'il ne servirait plus de viande au Plaza Athénée (ce qui est inexact). Par parenthèse, c'est du cochon, animal écologique, qu'il devrait servir dans son restaurant. C'eut été de plus une belle preuve d'indépendance dans ce palace détenu, via Dorchester Collection, par le très islamiste Sultan de Bruneï


Enfin, tu vois, Jacques, c'est juste un petit synopsis, comme ça, sur le coin de la table, en buvant un coup de blanc (excellent, d'ailleurs, c'est le fond de manzanilla pasada dont je parlais ). Mais, je le sens bien, ce Cochon d'Amour. Et en plus, à la fin, je me dirais, avec une certaine satisfaction, que j'aurai peut-être donné envie au téléspectateur lambda de se taper un sauciflard ou un pied pané. Que j'aurai sauvé quelques éleveurs, quelques charcutiers de qualité. Que, pour reprendre ton expression à propos du vin, j'aurai peut-être contribué à l'extension du domaine du cochon. Plutôt que de le réduire encore.


Les images qui illustrent cet article sont tirées d'une série réalisée lors d'une des tue-cochons auxquelles j'ai participé, dans le Sud du Tarn (mon record personnel est de 246 kg vif, je peux vous dire, ça bouge!). J'ai égaré les tirages, ce ne sont que des scans de planche-contact, de qualité médiocre mais qui permettent de retranscrire ce moment sacré, ce moment où l'on tue pour vivre.
Le cochon n'était qu'un large-white, un large-white de ferme toutefois, élevé et fini comme il se doit; je préfère à un porc noir du pousse-caddie, dont la chair fraîche sent l'urine.



* Je n'oublierai jamais que c'est avec son soutien que j'ai commencé à faire le nettoyage dans les écuries d'Uncle Bob, avant qu'ensuite Jim Budd n'entre à son tour dans la mêlée.
** J'éviterais en revanche, contrairement au remake de Mondovino, de réutiliser la technique parfaitement mise en œuvre par Jonathan Nossiter, ces aller-retours fréquents entre le"beau" et le "moche".
*** Pour en revenir encore une fois, Jacques, à Saint-&-Millions Business, les "pauvres gens" n'ont pas plus les moyens (et parfois aussi l'envie) de se payer des vins de Dominique Derain que d'Hubert Déboires.
À propos d'élite, toi qui en fais partie, tu sais bien qu'on a besoin de cette élite, mais aussi qu'elle doit représenter la diversité de la société. Alors, s'il te plaît, si tu peux, touche un mot à tes amis du Gouvernement de la France du scandale de la suppression des bourses pour les élèves de prépas. Merci, Jacques. 

Commentaires

  1. Vincent, je t'adore.Tu serais une meuf' que peut-être ....
    J'apprécie Berthomeau, son intégrité, son côté soupe-au-lait, sa vision du futur.
    Mais il n'a jamais été le bras droit de Rocard. D'abord celui-ci - mon modèle parmi les politiciens français, après Arlette Laguilliers - n'a pas eu de bras droit, peut-être à la limite une main gauche. Berthomeau a peut-être été son index, ou son majeur. ce qui n'est pas si mal!

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  2. Ce que c'est que d'être curieuse, de regarder par les fenêtres des autres pour voir comment est décoré leur intérieur ! de Facebook en Facebook, voilà que je découvre pour la première fois votre blog. Hop ! en favoris pour des lectures futures. Et vive Internet, et vive vous !!!

    Lavalliere

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