Truffe, kilomètre 14487.


Ici, à Auvillar, aux confins de la Guyenne, du Quercy et de la Gascogne, et d'autant plus en été, on vénère la "truffe du pauvre". Parce qu'on est évidemment en zone de production. Beaumont-de-Lomagne, à une trentaine de kilomètres, terroir de truffe blanche. Et Cadours, un peu plus loin, là, la couleur, c'est violet. Puis bien sûr (et pas que par chauvinisme!), mon chouchou, la truffe rose, quand on file vers le Tarn voisin.
Hier, le papy de Beaumont-de-Lomagne, c'est donc en toute logique qu'il nous porté des manouilles blanches, joufflues, parfumées, qui appelaient la volaille grasse, le tourin jauni aussi…


Car, vous l'avez compris, cette "truffe du pauvre" qui donne tout son accent à la tendre, à la maternelle cuisine du Sud-Ouest, c'est l'ail. L'ail, dans toutes ses couleurs, aromate, aliment, tonique, médicament. L'ail qui donne de l'esprit au foie gras, qui fait chanter le croustet dans le cul du poulet, l'ail qui revigore, qui embaume et qui, finalement, ne fait de tort qu'aux individus et aux vins chétifs.
Pourtant, malgré notre amour immodéré pour la "truffe du pauvre", c'en est une autre, incroyable, mystérieuse, addictive, que nous sommes allés quérir à l'autre bout du Tarn-et-Garonne. D'Auvillar, il nous a fallu franchir Garonne par le vieux pont de Saint-Nicolas-de-La-Grave, puis filer par Moissac, Lafrançaise et Molières, sur les routes ombragées du Bas-Quercy…


Le terme de ce long voyage tranquille au pays du radicalisme-cassoulet, c'est Caussade, où je crois avoir de vieilles racines. Le dealer de champignon magique, une vieille connaissance dont on dit qu'il est un caïd du Milieu, se trouve juste en face de la mairie. 


Chez Jean-Luc Clamens, il faut se faire connaître, frapper au heurtoir, s'annoncer comme chez les diamantaires d'Anvers. C'est un peu le même métier d'ailleurs, à l'antique Maison Gaillard, on joue dans la cour des grands, côté luxe, prestige.
La grande spécialité, c'est la noire, la vraie, la pure, modèle pour cuistots exigeants. Rien à voir avec avec les bouts de bois grisâtres qu'on vous vend ici et là, qu'on râpe généreusement sur votre assiette mais qui ont autant de saveur qu'une rave bouillie. Truffes de Gotland et d'ailleurs, fadasses, mais largement assaisonnés, sauvées à l'huile synthétique, artificielle. Vous savez cette fameuse "huile de truffe" (hé, les fonctionnaires des Fraudes, vous en pensez quoi?) parfumée au méthyl 2-butanol, un de ces mercaptans qui servent de marqueur au gaz de votre Rosières. Bon, le tour de passe-passe est chimiquement amusant (rémunérateur aussi), ça fait se pâmer les foodistes, mais au prix auquel on prétend vendre ces succédanés, il me semble tout aussi efficace et bien plus avantageux de se payer une bouteille de butane et de la sniffer…


Bon, assez digressé à propos des âneries à la mode. Revenons dans le monde opaque, certes, mais sérieux de l'authentique Tuber melanosporum. Contre toute attente, en plein mois de juillet, c'est ce que nous venons chercher à Caussade. Jean-Luc nous a fait goûter ça l'été dernier, de la vraie truffe noire, fraîchement ramassée, de la vraie truffe d'hiver. 
L'hiver, vous suivez? L'hiver, en juillet, c'est of course aux antipodes que ça se passe, en Down Under,. En Australie très exactement, tout au sud-ouest du continent, entre Margaret River (connue pour ses chardonnay et ses cabernet-francs) et Albany. La ferme se trouve très exactement à Manjimup, ses propriétaires (qui produisent également du vin) sont passionnés de truffe; ils étaient encore l'été dernier (pardon l'hiver pour nous!) dans le Sud-Ouest, l'un deux est d'ailleurs venu dîner à Auvillar, à L'Horloge pour qu'un spécialiste lui mette le nez sur la Tuber de chez nous.

 
Je sais qu'on va me tomber dessus comme la vérole sur la bas-clergé, moi, le défenseur du terroir, de la cuisine de proximité en train de vanter les mérites d'une truffe qui à presque fait la moitié du tour de la terre. Car, mine de rien, les diamants noirs que vous voyez ci-dessus ont parcouru 14487 kilomètres entre la ferme de Manjimup et le restaurant d'Auvillar! C'est sûr qu'à cet égard, la doctrine du Kilomètre Zéro en prend un sérieux coup dans les gencives, pas très écolo comme approvisionnement…
Mais en même temps, soyons réalistes: on parle là de Tuber melanosporum, et donc de quantité plus qu'infimes à côté des centaines de millions de tonnes de fruits, de légumes (parfois même vendus comme bio!) et qui arrivent, frais ou transformés, de Chine, du Kenya ou du Brésil,. Sans parler du flux ininterrompu de primeurs espagnols ou marocains qui encombrent nos autoroutes. Bref, en matière de signature carbone, on est dans l'epsilonesque, dans l'insignifiant, pas au niveau des épices* mais presque, loin en tout cas derrière les accros des week-ends en avion. On fera donc la fête avec nos truffes (et notre toro!) sans arrière-pensées, ni sentiment de culpabilité.


Reste la question cruciale**: l'intérêt olfactif et gustatif, au delà de la bizarrerie d'en manger en été, de cette truffe du bout du Monde. Très franchement, après quelques essais (même si ça nous chagrine un peu…), elle nous semble, le chef et moi, très comparable à une bonne truffe française du Quercy ou du Périgord. Le nez est peut-être un peu moins puissant, et sa tenue à la cuisson moindre; sur ce dernier point, il suffit de la travailler différemment, d'adapter les recettes. Ça d'ailleurs, je vous le montrerai bientôt, notamment en association avec un cochon d'exception dont nous venons de rentrer une pépite. Vous allez voir que ça a du jus la truffe d'Aussie!




* Ça me fait penser qu'il faut que je vous parle bientôt de notre merveilleux "poivre humanitaire"!
** en plus du prix, comparable à celui de la bonne truffe locale.



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