Émouvant !


Un ingrat, voilà ce que je me suis dit. Je feuilletais les pages d'Idées liquides & solides, glissant de bouteilles en plats, de restaurants en caves, pour me rendre compte, in fine, que je ne rendais que médiocrement hommage à l'alcool emblématique de ce Sud-Ouest qui me rappelle chaque jour sa généreuse noblesse: l'armagnac.
Et pourtant! Car si je ne suis pas très ami de l'alcool fort qui généralement "me brûle", si les douceurs du cognac me laissent de glace tout comme les coquetels que les rappeurs américains ou les golden boys chinois bricolent désormais avec, si les marcs souvent m'indiffèrent, l'aygue ardente me parle. Il y a une part d'habitude dans tout cela, un zeste de chauvinisme et beaucoup d'histoires, de souvenirs personnels.
L'armagnac, pour moi qui, par parenthèse, ait été créé mousquetaire, ce n'est pas qu'un digestif, c'est un bout de pays et tout son art de vivre, toute sa culture qui me coulent dans le verre. L'armagnac, c'est un instant, la fin d'un repas, d'un repas où l'on a mangé vraiment, de la viande, du gras, du bonheur. L'armagnac, c'est le soir, ou le début d'une nuit que l'amitié allongera.
Ma part gasconne aime s'y frotter, j'aime quand il se présente, que je regarde sa couleur, puis que, doucement, le haut du verre vient doucement se poser sur mon nez.


Vendredi dernier, c'était sur le balcon de Garonne d'une soirée d'été. Nous avions mangé quelques escargots, grillé du chevreuil frais. Il faisait doux, pas trop chaud, à nos pieds, vert émeraude, le fleuve décourageait l'orage de venir perturber le cours des choses.
Quand son heure est venue, qu'il faisait nuit noire, que les poules étaient couchées, il ne nous a pas fait de grands discours. Une vieille connaissance, racé, marquis certes mais d'un immense maintien, pas hâbleur pour un sou. Profond. Et vif! Soutenu par une remarquable acidité, celle des prunelles ou de la guigne, adoucie par des arômes de fève de cacao. 78, précisait l'étiquette de cet alcool de vin du grandissime terroir landais de Lacquy*, nous le voyions plus âgé, peu importe, il était droit comme un i, pas fatigué ni putassier pour un sou. Ses éthers, domptés, n'empêchaient pas de poser le nez sur le bas du verre. Il était calme, mais triomphant. Émouvant !




* Cet armagnac a une histoire puisqu'en son temps a été élevé en dehors de l'aire d'appellation, dans un chai de la famille Boisséson, à Bardigues, à une poignée de kilomètres d'Auvillar où je me trouve. Dans les Landes, on trouve sous l'étiquette Château de Lacquy des eau-de-vies produites par la même famille.


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