La magie du vin, plus forte que celle de Noël.
C'est drôle, cette manie de ne jamais vouloir faire comme les autres. Là, dans la Presse pinardière, dans les blogs, c'est à celui qui sortira la plus grosse, la plus belle. Noël arrive, les réveillons, les repas d'accumulation, la tradition consiste donc à parler de bouteilles avec paillettes, de Grands Crus Plaqués Or, bref de trucs qu'on sera obligé de trouver bon puisqu'on les aura payés chers…
Moi, je me suis fait Noël, la bouteille de Noël, avant l'heure, tout seul, "en Suisse". C'était la semaine dernière, à Barcelone. J'étais à Monvínic, le lounge-bar-à-vin local, aluminium, verre fumé, bois debout, banquettes en poulain et fond jazzy. Le genre d'endroit où, sur le papier, on s'imagine plutôt se taper une infusion de chêne, dans un grand verre, avec de la glace et un trait d'Angostura. Les Helvètes que j'attendais n'arrivaient pas (saloperies de montres automatiques…). Et j'avais soif.
Une soif précise, d'ailleurs, ciblée. De celles qui m'évoquent les vacances, du côté de la Loire, qui font ressurgir des images nettes, lumineuses, virgiliennes, à l'antithèse du designo catalan et de la pollution barcelonaise. Je pense un instant à un verre de Cristal (pas le champagne que les Russes boivent sur les plages de Saint-Trop'…); malheureusement, de ce cabernet, il n'y en a pas encore à la carte. Finalement, ce sera une fillette (je dis ça dans le cadre de la lutte contre l'alcoolisme et surtout parce que c'est joli) d'un côt du Loir-et-Cher dont je me suis régalé quelques jours auparavant. Un côt ligérien, un peu comme celui qu'on boit en août, quand on arrive du sud. Ce parfum d'herbe coupée dès qu'on ouvre la portière, l'humidité du ruisseau qu'on devine en bas du champ, après les moutons. Un "petit" jaja pas cher, bien charmant, que le voisin, Alain Simonneau, le représentant de commerce, vend aux débits de boissons des Deux-Sèvres.
Là, c'est un peu différent, avec ce Clos Roche blanche 2007*. Un nez fumé, assez discret à l'ouverture. Comme s'il était intimidé par le décor, par tous ces gens qui parlent un patois différent du sien. Vous l'imaginez, vous le type? Il était bien tranquille dans son village de Mareuil-sur-Cher, il vivait sa vie, entre vignes et forêts, chez ses parents, Catherine Roussel et Didier Barouillet . Et voila qu'on l'a fichu dans une bouteille, enfermé. Qu'un monsieur, une célébrité du coin, François Chidaine, l'a embarqué dans sa camionnette pour lui faire découvrir le Monde et les environs. On extirpe la bouteille de son carton, ploc! On le libère de sa bouteille et, hop, le voila dans mon verre, à Barcelone, à écouter Coltrane!
Les Suisses ne sont toujours pas là, les calibres de La-Chaux-de-Fonds ne sont désormais plus ce qu'ils étaient. Tant mieux parce que, verre après verre, le gars de Mareuil-sur-Cher m'en donne largement pour mon argent (dix-huit euros sur table). Il est bavard, me prend par les sentiments en me racontant des histoires de violettes; vous savez cette violette double qu'on cultive au nord de Toulouse, chez les maraîchers de la route de Fronton, celle qui sent tellement bon qu'on en fait des parfums et des sucres d'orge. Il est malin d'ailleurs le Tourangeau, si on n'avait pas vu ses papiers, on le prendrait pour une syrah très fine, mais à la peau claire, presque une peau de rousse, pas basanée pour un sou.
Gentiment, le Clos Roche blanche m'emmène en voyage entre Poitou et Touraine. On traverse le bocage, salue la Loire, la Vienne, le Cher… On est très loin de Barcelone. Oublié le sommelier qui défile au pas-de-l'oie, la ville qui meurtrit le vin. Des gamins rigolent dans une barque, la pâtissière d'Amboise nous parle de ses éclairs au café. Un troupeau de Parthenaises est encore au pré; deux taureaux les couvent du regard. Douce France, cette douce France que, soit dit en passant, ses gouvernants successifs devraient moins négliger, traiter avec davantage de considération. La "France profonde", ce n'est pas une honte, il n'y a pas de quoi prendre de grands airs! Le Tourangeau et moi, on s'en tape de la condescendance des messieurs de Paris. On va d'ailleurs appeler sa petite sœur à la rescousse. Pourvu qu'elle soit aussi sautillante que lui…
"Attends", qu'il me dit, le type, sous l'œil terrifié de la serveuse qui craint que, d'un coup de tire-bouchon, je ne multiplie par dix la mortalité journalière des bouteilles dans son établissement. "Cassons la croûte!" Il n'a pas tort évidemment, on ne parle pas souvent pour rien dire à la campagne. Et là, je repense aux repas de vacances, en Gâtine. J'imagine la bonne compagnie que nous pourrions nous trouver, le Tourangeau, sa petite sœur et moi: une andouillette, une andouillette de compétition comme on en trouve dans les Deux-Sèvres, chez Bernier, à Bressuire. Pas une espèce de hachis informe, mais une œuvre d'art, roulée comme la tripe d'un grand havane, juste passée à la poêle, au beurre de la laiterie d'à côté, La Viette. Une andouillette à la peau croustillante comme un nem (d'où mon surnom de "nem du Poitou") et fondante à l'intérieur. Nom de Dieu! J'avais soif et voila que maintenant, en plus, j'ai faim! Et voila que je jure à moins d'une semaine de Noël! Bah, la foi n'est qu'une forme d'ivresse…
Évidemment, plus encore que la magie de Noël, c'est celle du vin qui a opéré. Pour l'andouillette, à Barcelone, je peux bien sûr me brosser. D'ailleurs, je vois déjà d'ici la tronche des clients de ce très austère quartier de l'Eixample à l'arrivée de cette merveille fumante, je vois les hommes outrés, murés dans le silence, les femmes à deux doigts de défaillir. C'est un truc à voir débarquer la police, les forces anti-émeutes, avec casques, boucliers et balles en caoutchouc!
N'empêche que ça ferait une bien jolie entrée chaude pour le réveillon de Noël… Mon andouillette de luxe, de beaux verres bien remplis de touraine, ça nous ferait l'été en hiver. En attendant les Suisses…
* Normalement, ce côt de Mareuil, on devrait pouvoir se le procurer à La cave insolite, chez Manuéla et François Chidaine.
Super choix Vincent – ce Côt! Parmi les vignes pour faire ce vin il y a quelques rangs de plus de 110 ans.
RépondreSupprimerMalheureusement, j'ai bu toutes les bouteilles disponibles à Barcelone! Il n'y en a plus!
SupprimerGoûté et aimé avec Jim... Joli choix !
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