Grands crus, sans paillettes.


Ce qui frappe, en arrivant chez Alliet, c'est le naturel, la simplicité, la modestie. Aucune emphase ici, à l'inverse d'un monde du vin passé en trente ans des mains rugueuses du papy bourguignon à celles, manucurées, de LVMH, de la 4L à la Porsche Cayenne. Ne tombons pas d'ailleurs dans le travers gaucho-franchouillard: ce n'est pas parce que le vigneron crevait de faim que la bouteille était meilleure, l'argent a permis d'immenses évolutions, l'émergence de crus formidables, jusqu'alors méconnus, dont nous nous régalons désormais. Mais comme partout, c'est l'excès qui blesse, qui heurte, qui détruit.


Aucun bling-bling donc ici à Briançon, tranquille hameau de bord de Vienne du mythique Cravant-les-Coteaux, sorte de Saint-Émilion ou de Vosne-Romanée encore vierge du pays du breton. Le cabernet se porte ici franc, paysan. Précis aussi. La disposition des terroirs, des vignes de bord de Vienne, celles des vins à grosses gorgées, aux parcelles de calcaire pur où mûrissent, abrités du nord par la forêt, les grand crus de Chinon. 


Comme Cahors, dont elle partage la réputation patinée, cette appellation fait partie des monuments historiques du vignoble français. Heureusement pour nous, pauvres buveurs de vin, les mondainvineux, les snobs et les milliardaires ne l'ont pas encore compris. Les jus y sont donc encore accessibles au commun des mortels et, de surcroît, toujours préservés des falbalas de la mode; on n'y goûte guère la pipe-à-Pinocchio ou l'autolyse acétique.


J'exagère? Je ne sais pas, je ne pense pas. Et des siècles d'amour de ces vins harmonieusement dessinés parlent pour moi*, aussi élégamment architecturés que le bâti des environs, parfois écrit avec autant d'énergie, de génie et de folie que le grand Rabelais, notre maître (qui m'a reçu récemment en sa maison et dont je dois bientôt vous parler).


Trêve de généralités, c'est de Philippe Alliet et de sa famille dont il question aujourd'hui. Bizarrement, bien que fréquemment époustouflé par les vins de ce monsieur, je n'avais jamais fait l'effort d'aller pousser sa porte. Il suffisait d'un coup de fil, sans chichis-tralala: "si vous pouvez venir à onze heures s'il vous plaît, monsieur, avant nous serons à la vigne, et après, il nous faut préparer une mise."


Parlons-en de la mise en question. Coteau-de-Noiré 2014. Quand j'ai poussé la porte de métal du chais aux impeccables cuves de ciment, son parfum m'a sauté au visage. Sans agression aucune, juste l'envie de plonger dans la piscine rutilante, veloutée, fruitée où cette merveille transitait. Nous avions bu la veille au soir, mais je vous promets qu'à cet instant, tout était oublié, une soif inextinguible s'emparait de moi, géante, rabelaisienne donc.
Ce Coteau-de-Noiré 2014 de chez Alliet (mise en bouteille fin septembre) est un vin indispensable, ce n'est pas une boisson, juste une sensation, une plénitude, un accomplissement. Une image parfaite de ce délicat équilibre, de ce court moment où le cabernet-franc quitte toute idée de poivron sans basculer le moins du monde dans la surmaturité. La vinification est au diapason, sobre, respectueuse, et l'élevage a discrètement retrouvé sa place; le demi-muids a remplacé la barrique, "grâce à mon fils qui nous a rejoint et qui peut désormais aider son père" nous explique madame Alliet.


Mais une belle cave, c'est aussi ce que les marketeux appellent une "gamme". Qui y peut le plus y peut le moins. Définition même de la cuvée "tradition" du domaine, une bombe de fruit, dopée par la gourmandise du millésime 2015. On se demande pourquoi ce vin n'a pas été uniquement mis en bouteille en magnums, histoire d'éviter l'abus d'usage du tire-bouchon?
Et puis, il y a le remarquable "vieilles vignes" 2014, un jus "du bas" lui aussi, plus rapidement accessible, mais déjà doté de cette structure qui appelle la table. En attendant le Coteau-de-Noiré et la belle Huisserie, il fera mieux que de nous aider à patienter.


La patience, parlons-en. En ces temps cacacolesques, nutellesques, où, comme au Moyen-Âge, le vin (si possible sans tanin, carbonisé et sucrailleux) doit être bu et pissé dans l'année qui suit sa vendange,  Alliet, Chinon et tout le beau pays du breton nous rappellent ce pilier de l'amour du vin. Oui, il y a les gentils vins ronds et gouleyants (il faudrait ressortir ce vieux mot joli dont la musique me rappelle le goloso espagnol), mais comme en musique, en lecture, en peinture et dans tant d'autres activités humaines, il est parfois intéressant (nécessaire) de passer au grade supérieur. D'approfondir. De toucher au "grand cru". Sans pour autant s'adonner au paillettes. 



* J'en quand même moi aussi un peu parlé, ici et là, de Joguet, Baudry, de Lenoir, de Rousse, de Corbineau, de Marula, de Pichard en son temps, d'autres dont je ne me souviens plus ce matin. Là, en fait, je pense davantage à l'andouillette de ce soir.


Commentaires

  1. Un élevage plus mesuré sur le Coteau de Noiré est une excellente nouvelle.

    CR complet, 2011/1997 :
    http://invinoveritastoulouse.fr/index.php/degustations-thematiques/verticales-domaine/728-verticale-du-domaine-alliet-a-chinon

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