Et la tendresse, bordel ?
C'est le lendemain. Le soleil de six heures se lève sur la terrasse, s'immisce entre les feuilles du figuier, brûle déjà les carreaux de l'entrée. À l'étage, les draps de lin enveloppent les seins tièdes d'une ultime fraîcheur. Pas un souffle de vent; dans la vigne du haut, la turbine de la sulfateuse qui a devancé le jour est formelle. Aujourd'hui, il va faire chaud.
À cette heure-là, le vin est incongru. On le remercie juste de ne pas trop nous rappeler la veille, la vague de grenache de midi, les bulles sur la plage, le braucol (bro'cool comme on dit maintenant) de minuit… Boire bon, sain, est un investissement sur le lendemain, ce n'est pas tout à fait un axiome, il existe des exceptions, mais elles sont rares. Le vin est incongru, l'eau chauffe, quatre-vingts degrés, pour le sencha, "la tisane de gabels" comme disent, disaient, les vieux du coin, on verra à midi, sur l'aïoli.
Pourtant, il y a le souvenir de cette bouteille, bue d'un trait. "Trop facilement" auraient peut-être dit les puristes, ceux qui aiment les vins "sérieux". Ça doit-être le plateau australien, je me dis que ce pinot aurait pu mûrir du côté de Melbourne, un peu comme celui dont je parlais ici.
C'est pourtant du bourgogne. Rien à voir avec l'île-continent et cette carte cachée dans un recoin de la maison, qui m'attire et m'effraie (la phobie des serpents).
Du pur bourgogne, d'un millésime "pourri" en plus. Si l'on avait écouté les oracles médiatiques, on n'aurait pas du faire de vin cette année-là. Et encore moins en boire. Heureusement qu'on n'écoute pas toujours les oracles…
En 2013, l'optimisme créatif, travailleur, nous enseigne qu'il y avait "la possibilité d'une île". Pas un continent, une île. Île-des-vergelesses, c'est son cru, un premier, plus tendre peut-être que ce que sont désormais devenus, tarifs et internationalité oblige, en Bourgogne, les grands.
Tendre. Voilà, en buvant mon thé, c'est le mot qui me vient quand je pense au moment d'amour que m'a donné ce vin. Certains y auraient bu du luxe* (cette drogue), se seraient excités devant l'étiquette et surtout le médaillon de la contre, ce "no added sulfites" un rien bling-bling mais dont l'impression jet d'encre durera peut-être moins longtemps que le vin. Je n'y ai vu qu'un regard, la douceur d'une aréole (on y revient). De la tendresse, oui.
Le "no added sulfites", cela étant, a son importance dans ce vin. L'information d'abord, parce que si vous vous amusez à conserver ce vin ailleurs que dans une cave climatisée (naturellement ou artificiellement, à l'hygrométrie parfaite, il y a peu de chances qu'il vous accorde l'inattendu moment de tendresse auquel j'ai eu droit. Il est de ce style de vin comme de certaines femmes (toutes?), mieux vaut en prendre soin. Rester frais. Je n'ai pas écrit "vert" ce qui serait tout l'inverse de ce vin chatoyant.
Tendre et chatoyant. Ce second épithète s'imposait, je suis allé dans le dictionnaire vérifier que l'émotion ne me faisait pas dériver:
CHATOYER (verbe intrans.): Briller tout en changeant de couleur selon les jeux de la lumière, à la manière de l'œil d'un chat.
C'est exactement ça. Merci pour ce moment.
* Le luxe, on est obligé d'en parler. J'en ai déjà parlé d'ailleurs (à propos notamment d'un vin de ce domaine que j'avais bien moins apprécié), du point de vue tarifaire. Ce vin offert par un ami et bu à l'aveugle, est assez coûteux comme le veut la (nouvelle) loi bourguignonne, dans les cinquante euros m'indique Wine Searcher. Franchement, ça les vaut. Et puis, quand on aime, on a la délicatesse de ne pas compter.
Magnifique ! Vous lire est aussi un moment de tendresse.
RépondreSupprimerMerci.
Loïc C.
Magnifique ! Vous lire est aussi un moment de tendresse.
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Loïc C.