Enfumons moins le vin !


Hier, je suis passé dans une espèce de Disneyland barcelonais. Le Poble espanyol, vous connaissez? Non, peut-être pas, c'est une vision du tourisme qui fleure bon les années soixante, les robes-vichy et les 4cv. Le Poble espanyol, El Poble español, Iberona de son nom original, c'est une espèce de pot-pourri des différentes influences architecturales d'Espagne, réunies en un même lieu, en une espèce de ville idéale, tendance carton-pâte où se mêle Andalousie, Pays basque, Castille et toutes les provinces du royaume.


Contrairement d'ailleurs aux idées reçues, véhiculées par ignorance, il ne s'agit en rien d'une idée franquiste pour espagnoliser la Catalogne mais de l'œuvre (antérieure à la Guerre civile*) de plusieurs architectes locaux dirigés par Puig i Cadafalch, un des pontes du modernisme dont les touristes ont surtout retenu Gaudi. Il s'agissait, lors de l'Exposition universelle de 1929, de célébrer la richesse et la diversité culturelle de l'ibérité dans une Barcelone s'en rêvant capitale et où tout le monde alors parlait castillan (on disait espagnol**…), bien avant les légendes nationalistes. Le lieu avait été conçu pour être temporaire mais son succès populaire assura sa pérennité.


Si je suis allé au Poble espanyol, ce n'est pas exactement, malgré le dépaysement, pour y faire du tourisme. Le temps ne s'y prêtait guère d'ailleurs, un froid de gueux (moins de vingt degrés!) et une pluie battante. Après avoir battu l'hiver dernier sa plus longue période sèche enregistrée (plus de cent jours), Barcelone connaît un de ses printemps les plus pourris.
Se tenait en fait un petit salon solide et liquide, Vella Terra, organisé par l'ancien serveur d'un inestimable restaurant italien, vénitien, le Xemei, installé dans le quartier voisin de Poble Sec. L'occasion de goûter le pain de deux boulangers barcelonais*** qui ont tourné le dos aux horreurs industriels locales, en commençant par le commencement, ils utilisent de la bonne farine, celle de Chirac en Lozère, et du levain.


Au rayon liquide, de gentilles rencontres aussi. Du très "classique", avec les vins de Nicolas Joly, promu en Espagne notamment gourou-conférencier professionnel; une coulée-de-serrant plutôt sympa, assez guillerette, bien moins défectueuse qu'on le raconte parfois (parfois à juste titre…) mais un Clos de la Bergerie qui est peut-être un des blancs les plus réduits qu'il m'ait été donné de goûter, ambiance caca-de-poule en bouche comme au nez.
Du plus rock n'roll aussi avec un joli canon italien, tordu avec grâce, Nibiô 2008, un rouge de punkette, genre Siouxsie anachronique; je le verrais bien sur une tranche de thon aux câpres, de préférence (pour faire branché) celles de l'architecte-vigneron milanais Gabrio Bini, présent lui aussi. Nibiô produit en Piémont par Stefano Bellotti, c'est un peu un style de dolcetto, souple et facile.
Sans oublier une étonnante malvoisie d'Émilie-Romagne, Vej, par Alberto Carretti, un blanc de macération assez déroutant avec ses arômes caractéristiques de pomme très évoluée de la très chic bière Cantillon, la star bruxelloise. Bon, moi, je n'aime pas du tout la Cantillon (je sais, ça ne se dit pas…), son espèce "d'odeur de vomi", mais c'est très mode, il y a des inconditionnels et il ne faut pas en dégoûter les autres. Le Vej existe également en version effervescente, encore plus surprenante.


Et puis, je l'avoue, quitte à passer pour un snob, j'ai connu un beau moment de grâce face à la délicatesse des rouges d'Emidio Pepe. Pour la première fois, j'avais la chance de faire une petite verticale de ces montepulciano-d'abruzzo, me régalant de les sentir, d'y plonger mon nez, de les faire tourner dans ma bouche, fouillant leur complexité avec ma langue, profitant de leur précieuse rétro-olfaction jusqu'à ce que…


… jusqu'à ce que je me fasse pourrir la dégustation par un groupe de sagouins qui n'ont rien trouvé de mieux à faire que d'allumer leurs saloperies de clopes à dix mètres de la table où Sofia Pepe avait la gentillesse de nous faire goûter ses merveilles. Oubliées les Abruzzes, fini le voyage en Italie et l'histoire d'amour avec ses vins en dentelles! Bienvenue dans les bas-fonds, le rade pourrave, le commissariat de banlieue, les petits matins glauques parfumés au mégot et éventuellement aux dessous-de-bras. En un millième de seconde, le vin de marquese, distingué, subtil, cultivé, s'était métamorphosé en un vociférant Mimile le routier, spécialiste du grattage de couilles et du jeux-de-mots à deux balles, rires gras et odeur de frites en prime.


Alors, je veux surtout pas jouer au prohibitionniste. Que ceux qui prennent du plaisir à fumer continuent à le faire, mais pas au détriment du plaisir des autres. Nous étions là dans un salon de vin, une fête des arômes, des fragrances, du bouquet. Le Poble espanyol s'étend sur quarante-neuf-mille mètres carrés dont beaucoup à l'air libre, largement de quoi justement libérer l'air de ceux qui n'ont pas envie de déguster le nez dans un pot d'échappement, dans une cheminée d'usine.
C'est une question d'éducation, de respect aussi. Respect des autres, de ceux qui aiment le vin, respect aussi des vignerons comme la famille Pepe qui se sont cassé le cul pour nous offrir des bouteilles pareilles, divines. Et que vous gâchez.
Ce problème, ce n'est évidemment pas la première fois que je le rencontre chez un caviste, dans un salon (y compris ceux qui comme celui-ci se réclament de la Nature!), mais il me semble utile d'en parler une bonne fois pour toutes. La pollution tabagique est aussi grossière qu'insupportable, le tabac est l'ennemi du verre, il le détruit.
Alors, amis fumeurs (et je sais que certains d'entre vous font attention), dans ces occasions comme dans d'autres, si vous voulez que nous vous considérions, arrêtez de nous enfumer le vin! Merci de le comprendre.




* Il a en fait été conçu sous une autre des dictatures qui ont rythmé l'histoire espagnole, celle de Miguel Primo de Rivera, le capitaine-général de Catalogne, instaurée à la suite de désordres politiques et d'attentats anarchistes; elle dura de 1923 à 1930.
** Amusant de voir que les nationalistes dans leur brouillon de constitution catalane (qui a de grandes chances de rester lettre morte) projettent d'effacer l'espagnol de l'ADN régional…
*** Pour ceux qui souhaitent arrêter à Barcelone de s'empoisonner avec les saloperies industrielles, il s'agit de Pa Serra (c/ Olivera, 31, 08004) et du Forn Sant Josep (C/ Roger de Lluria, 98, 08009). Deux adresses qui s'ajoutent à Baluard évoqué ici.


Commentaires

  1. Tout à fait d'accord!
    Si la cigarette était d'ailleurs interdite partout, au moins on n'aurait pas à supporter ces tocards de fumeurs "gratteurs de couilles"...

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    1. Allons allons, pas de prohibition, Ségolène, juste du "vivre-ensemble". Et un peu d'éducation.

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    2. Ahhh... le "vivre-ensemble"... "l'éducation"... Et quand on fumait dans tous les restaurants de France avant 2007? Oui, j'oubliais, c'est vrai que nous étions vraiment tous des arriérés, tous des gros cons. Heureusement que la loi d'alors nous a sauvés. Heureusement, depuis, nous sommes passés de l'ombre à la lumière.

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    3. Franchement, quand "on fumait dans tous les restaurants de France", c'était un peu la merde. Pour ceux qui étaient à côté, dont le repas était gâché, et, on l'oublie, pour le personnel qui s'empoisonnait gratuitement tout en travaillant, qui rentrait chez lui puant le mégot froid.

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    4. O tempora, o mores. Vincent, une bonne nouvelle, je connais une autre personne qui n'aime pas la Cantillon. Tu n'es plus seul.

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    5. En fait, je pense que nous sommes plus nombreux que ça, mais ce sont des choses qui ne se disent pas…

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    6. Ségolène,
      tous les fumeurs ne sont pas des gros cons mal élevés sans respect des autres,si si j'en connais...
      veuillez éviter la stigmatisation

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