Le Passard de Barcelone.


C'est "une des tables dont on parle", comme disent les échotiers mondains, ces pique-assiettes patentés qui ne font plus depuis longtemps (et heureusement!) la pluie et le beau temps. Son nom, d'abord, Céleri, qui traduit ouvertement la francophilie du chef, dans une ville où le rapport à la langue de Molière, très "je t'aime moi non plus" est parfois embrouillé par de vieilles histoires d'occupations et de défaites. 
Autant le dire tout de suite, nous ne sommes pas dans le quartier le plus sexy de Barcelone, mais ce passage, très légèrement à l'écart du boyau automobile et donc puant de la Diagonale, entretient l'illusion. Et le lieu, enfoui sous une "épicerie à bobos" comme disent les beaufs de chez Leclerc, est bien fichu, sobre et efficace. En tout cas, on s'y sent bien.


En fait, toute l'originalité du lieu inventé par Xavier Pellicer réside dans la disparition de la frontière parfois absurde entre la cuisine et la salle. Alors, je sais, vous allez me dire que des open-kitchens, on n'a pas attendu ce Céleri barcelonais pour en voir, et je ne vous donnerai pas tort. La grosse différence, c'est qu'ici, non seulement les fourneaux sont à la vue des clients, mais en plus, ce sont les cuistots qui viennent prendre la commande, et qui envoient directement les plats, comme dans les auberges d'antan, avant qu'il ne passent plus de temps à conter fleurette aux assiettes plutôt de mitonner de goûteuses* cocottes.


Les fleurettes, les fleurs, justement, évacuons le sujet. Xavier Pellicer en utilise beaucoup. Un poil trop à mon goût, on se croirait à Paris il y a deux-trois ans. Certaines sont judicieuses, comme les feuilles (feuilles, pas fleurs d'ailleurs) de capucine dans un des plats les plus réussis que nous ayons goûté, son gaspacho de betterave. D'autres franchement, sont davantage là pour la déco. Comme aux autres, ça lui passera, intéressons-nous plutôt aux goûts, car, au-delà de ce gimmick qui dans pas mal de restaurants ne sert qu'à masquer la vacuité de l'assiette, c'est bien d'une cuisine de goûts qu'il s'agit au Céleri


Une cuisine de goûts, donc, pleine de contrastes, malgré un parti-pris risqué, celui de mettre en avant, "comme à Paris", une cuisine qui privilégie le légume. D'où évidemment cette comparaison avec la vision d'Alain Passard, le précurseur, parce qu'il ne s'agit pas de s'enfermer dans un végétarisme obtus, bêtement militant (pléonasme?…) mais au contraire d'équilibrer davantage le menu, de le réorienter vers l'omnivore.


Là encore, bien sûr, si on ne connaît pas son parcours, on se dit que Xavier Pellicer, un peu à la façon d'un Ducasse subitement touché par la grâce, surfe sur la mode. Il y a toutefois cette antériorité, cette filiation avec Santi Santamaria, celui qui fut l'ultime rempart contre la becquetance chimique d'Adrià, puis des Roca, qui avec le soutien des multinationales de la malbouffe et la collaboration des idiots utiles du foodisme a déferlé sur l'Espagne. Les légumes et les jardins, il ne les a pas découverts la semaine dernière en lisant un magazine branché, mais au contact de l'apôtre de la cuisine "domestica" méditerranéenne qui déjà, alors que les crétins s'extasiaient devant les sphérifications et la débauche d'additifs, vénérait le travail du cultivateur.


Et de fait, les légumes ici sont excellents, très différents du (merdique) standard espagnol issu d'une agriculture qui depuis des années lèche le cul du monsantisme. Un des exemples les plus frappants, ce sont les petits pois, assurément le plus beau de cette temporada 2016, d'authentique lacrimas, petits et en forme de larmes, tendres, à la peau fine. Rien que pour cette charmante cocotte de petits pois aux tripes de morue, il faut aller à Céleri.


Pour les asperges de Tudela aussi, cette chose inexistante en Espagne, si l'on excepte les rares navarraises qui ne débarquent pas de Chine et les bouts de bâton fibreux poussés à la va-vite en Catalogne ou en Andalousie, et car, comme à L'Arpège, on ne crache pas ici sur un bon bout de bidoche, pour la viande. Ainsi, sans fioritures, ce morceau de pauvre, de la vieille vache en cuisson lente qui a fait chanter la rafale de rouges que nous avions à portée de main**, notamment ceux d'Olivier Rivière, apportés par son importateur dans la région, Ignacio Cano Liébanas (ci-dessous), de Barcelona Vinos.


Oui, parce qu'autant vous dire la vérité, nous étions aussi là pour travailler un peu, étudier les accords mets-vins que devait présenter quelques jours plus tard lors d'une conférence Arnaud Échalier (ci-dessous), autre ancien du restaurant de Santi Santamaria, parti depuis "faire fortune" à Macao.
L'occasion également de boire ou reboire quelques gentils flacons espagnols, à l'image de ce remarquable magnum, un mourvèdre d'Alicante signé Bernabé-Navarro***, rafraîchi par sa belle structure.






Comme chez Passard donc, il arrive qu'on apporte dans sa musette quelques bouteilles, et comme à L'Arpège, le chef-patron vient en siffler des canons avec les convives. À l'opposé de ces businessmen de la toque, au contact aussi marketé et glacial que leur pitance.
Car, malgré le quartier, on sent qu'il suffit ici d'un rien pour Barcelone soit une fête. Tiens, demandez à ce vigneron ligérien croisé fort tard au Céleri, avec ses anges rieurs. Plus qu'un restaurant, c'est une maison de plaisir qu'à voulu créer Xavier Pellicer. Encore un point commun avec l'adresse de la rue de Varenne.




* Je me suis rendu compte à ce sujet qu'après "goûtu", un des derniers tics de langages parisiens (plus pour le vin que pour la nourriture), c'était "sapide". Tout ce qu'on trouve bon à boire (ou à vendre…) est affublé de ce qualificatif. Pourquoi pas? Reste qu'avoir du goût ne suffit pas, encore faut-il, à défaut d'être bon, qu'il ne soit ni faux ni mauvais…
** Rassurez-vous, Céleri dispose d'une belle carte des vins (un poil chère mais infiniment moins que n'importe quelle gargotte parisienne!), avec notamment ce bourgogne dont j'aime autant le contenant que le contenu que je bois à L'Ànima del Vi et dont j'ai malheureusement oublié le nom.
*** J'avais notamment parlé de lui ici.


Commentaires

  1. Et puis quel "graphisme" dans certaines de ces assiettes...
    Splendide, vraiment.
    Grand regret en revanche de ne pas croiser les expressions "pousse-caddie" et "boîte-à-cons" dans ce billet. Cela nous manque...

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    1. Eh oui, mais le pousse-caddie, comme Xavier Pellicer ne se fournit pas (ses légumes ont une histoire), ça tomberait un peu à côté.
      Pour ce qui est de la boîte-à-cons, vous savez bien, cher El Boullé (pensez à l'Imodium®…) qu'on la regarde encore moins à table qu'ailleurs, c'est aussi toxique qu'un repas chez Adrià ou Roca!

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    2. C'est pourtant pas difficile à placer...
      Manque aussi "caca-cola"...

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    3. Et "buuuurgeeeer", et "pipe-à-Pinocchio", et tant d'autres saloperies qu'on croise trop souvent, mais heureusement pas à Céleri.

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  2. Infatigable découvreur que tu es, tu vas finir par nous attirer de nouveau dans les maille de cette ville de plus en plus surprenante.

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