Ces petits riens.
Juste l'air encore frais du printemps. La pénombre diurne, l'ombre luxueuse des frondaisons de la carrer del Parlament. Un cocktail de toutes les langues de la Terre aux terrasses des cafés. Cette voix, comme dans la nouvelle de Drieu; non, ce n'est pas elle. L'envie de laisser le temps s'étirer. Barcelone qui te chuchote des mots d'amour, qui te fait sentir qu'elle est tienne.
"Quartier de bobos" répliqueraient les beaufs. Laissons les catégories aux cons, à ceux qui ne sentent à l'aise que rangés dans des cases, aux faibles d'esprit qui ont besoin d'agiter des drapeaux pour croire qu'ils existent.
La carte de ce tout petit bistrot n'agite pas non plus de drapeau, ne défile pas derrière des banderoles. Une seule certitude, on y boit du vin, et c'est déjà pas mal. On boit de plus en plus de vin d'ailleurs dans les parages. "El vino está de moda", tant mieux. Et que tout le monde y trouve son compte loin des chapelles idiotes, cousines des drapeaux du même tonneau.
La carte, donc. "Faite maison", ce qui est déjà une particularité dans une ville où trop souvent, parfois par arrangements*, ce sont les distributeurs qui décident à la place des restaurateurs ou des bistrotiers. Avec un peu de tout, du nature, du pas nature, de la vie quoi. En fonction des moments et des envies, on y trouve aussi bien la négrette de mon docteur, meilleur marché qu'à Toulouse, ou ce toro sans le nom d'Alvar de Dios. Derrière le bar, il y a une sommelière, elle a un peu envie de parler technique mais elle a vraiment un plus beau sourire quand elle décrit le plaisir de boire; son "rico" est goloso. Je choisis, je crois, le vin le moins cher de la carte, dix-sept ou dix-huit euros mais elle me le raconte comme si j'avais commandé un Petrus. Je ne sais pas si je ne suis pas le premier à acheter une bouteille, je la sens un peu émue. Le bar, me dit-elle, Doga, n'est ouvert que depuis cinq jours…
Un vin de Madrid, oui je sais, c'est un peu provocateur dans cette ville tellement frustrée de ne pas être capitale qu'elle préfère être la première au village. Un tempranillo de la sierra de Gredos, délayé d'une pointe (20%) de malvar, un cépage blanc assez productif et vinifié par un adorateur du grenache, Marc Isart, ex-membre du localement célèbre Comando G. C'est frais, ça coule de source. "Goloso", on vous dit, gourmand, "gouleyant" comme disaient les vieux. C'était pas si mal, "gouleyant", délicieusement suranné, une vertu que feraient bien de remettre à la mode les fabricants de vins piqués, de vins techno, ça sent la Loire, le plaisir de boire sans en foutre plein la goule.
La cecina est délicieuse, avec un point de sel assez bas. Ce n'est pas exactement de la cecina d'ailleurs puisqu'elle ne vient pas de León mais de La Pobla de Segur, dans le Pallars Jussà, cette partie des Pyrénées catalanes, au dessus de Leida, où l'on produit justement, en plus du bétail, le sel de Gerri. Le fromage n'est pas mal non plus.
Rien de bien spectaculaire donc, juste un lieu, doux, bien fait, bien éclairé, sans gros moyens. Le service balbutie encore un peu, comme une équipe de rugby qui n'a pas encore trouvé ses marques. Sur le pré, c'est embêtant, là, c'est charmant, vraiment. La clientèle est sympa aussi, hier soir il y avait même un teckel rigolo aux yeux bleus qui s'appelait Luis. Plein de petits riens mis bout à bout.
* Le pire, ce sont les bouclards comme Tickets ou certaines brasseries clinquantes de l'Eixample où les usines à vin doivent payer un ticket d'entrée, comme en grande distribution, pour mettre leurs bouteilles à la carte, laquelle devient inévitablement une grosse merde.
Un vin "glou-glou" donc, avec une belle "torchabilité"...
RépondreSupprimerOn est plutôt "sur" le fruit ou plutôt "dans" la "tension minérale"?
Une finale "sapide" j'espère?
Il manque "slurp" ou "miam"…
SupprimerAvec "une belle lecture" des différents cépages aussi, et "une autre vision" du terroir...
SupprimerEt, c'est essentiel, des assiettes 'créatives' couvertes de fleurs Métro.
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