(Portugal #1) Comme l'eau de la source.
Bien avant la cloche grave et la lumière dans les frondaisons, c'est le bruit de l'eau qui m'a réveillé. En fait, une source passe sous la maison. Même les murs de granite, vieux de trois ou quatre siècles ne peuvent l'arrêter. Les propriétaires de la quinta se partagent son flux avec les paysans voisins, regroupés plus bas, autour de l'église déjà un peu galicienne de Padreiro.
La trace agricole ici ne fait aucun doute. Jusque dans les arbres, démesurés, on sent la main de l'homme. Le liquidambar se mélange avec un ciel étonnamment bleu. La pluie, ici, est une amie, elle parle avec détermination de l'Océan tout proche.
La trace agricole ici ne fait aucun doute. Jusque dans les arbres, démesurés, on sent la main de l'homme. Le liquidambar se mélange avec un ciel étonnamment bleu. La pluie, ici, est une amie, elle parle avec détermination de l'Océan tout proche.
“Autrefois, m'explique Vasco Croft (ci-dessus), là ou tu vois des vignes, il y avait des champs et des jardins”. Les treilles se contentaient de couvrir les chemins, en forme de dais majestueux sous lesquels on est heureux de marcher à l'abri d'un soleil qui sait aussi être féroce. Il fallait d'abord se nourrir, un constante dans ce pays pauvre dont on dit qu'il a eu la culture, l'éducation, avant l'argent. À la quinta, en plus du loureiro et du vinhão, on a donc planté un verger, et l'on prépare la terre du potager, qui jouxtera un grand poulailler.
Je ne sais pas si je vous ai déjà dit mon amour du légume portugais. Je le connais mal, mais à chaque fois, j'ai aimé sa netteté de goût qui me rappelait les mains calleuses des cultivateurs de la plaine de Gaillac. A midi encore, dans une modeste taverne de Porto, en accompagnement de sardines de compétition, j'ai été fasciné par la longueur de l'oignon, par la douceur de ces petites pommes de terre à la chair aussi jaune que les azulejos, les céramiques de certains immeubles de cette ville inoubliable.
Comme par hasard, à la table de Vasco, dîne avec nous un couple allemand* qui a entrepris ni plus ni moins que de sauver le patrimoine portugais des semences légumières. “Pour que surtout ce pays arrête de singer l'Espagne, il n'est pas fait pour ça!” m'explique Bettina. Installés dans le centre depuis peu, ils parcourent donc les campagnes, les centaines de milliers de jardins pour récupérer ces graines anciennes qui nous parlent du bonheur de manger bien tout en faisant la nique aux multinationales de la malbouffe dont les ignares de la gastronomie, par cheffaillons créatifs interposés, font la promotion.
Nous sommes à Arcos de Valdevez. Tout au nord du Portugal. À deux grosses heures de voiture de Porto. Au pays de ce vinho verde tant méprisé, de ce vin de paysan que j'aime tant, qu'il reste blanc comme les murs de l'ancienne chapelle devenue théâtre par la grâce d'un arrière-grand-mère républicaine et laïque, ou rouge, pour arroser le sanglier amoureusement tué par le chef de culture.
Par malchance, je ne comprends pas un mot de portugais ; la conversation, dense, passionnante, vire de l'espagnol au français, en passant bien sûr par l'anglais, et quelques bribes d'allemand. Mais la musique de Pessoa est sublime, liquide comme cette langue, comme ce vin dont je veux vous parler, un vin qui n'a pas choisi son camp. Ni blanc ni rouge, et même pas rosé. Il aime tout sauf l'affrontement, le rapport de forces ou “la convergence des luttes”. Le petit matin du grand soir, c'est tous les jours pour lui, plus par l'action que les mots.
Phaunus-Palhete est en fait un mélange de vingt pour cent de rouge (du vinhão) et de quatre-vingts pour cent de blanc (du loureiro). Vinifié dans les amphores géantes de la cave au-dessus de laquelle se trouve la salle-à-manger. Je l'ai attaqué sur des fèves du jardin aux gambas, il m'accompagne gentiment, en attendant mon cher vinhão, sur le début du sanglier. Il parle doucement, calmement, sans chercher à faire de grandes phrases. J'ai presque l'impression qu'il essaye de me faire comprendre les paroles de la musique du portugais. Il se boit comme l'eau de la source qui m'a réveillé ce matin.
* Bettina et Stefan Doeblin achève de monter Sementes vivas à Idanha-a-nova. Ils ont pour ambition d'alimenter le Portugal et (on l'espère!) quelques agriculteurs espagnols intelligents et consciencieux.
Quinta de Padreiro, la maison familiale de Vasco Croft et ses dépendance architecturées, est également une merveilleuse chambre d'hôtes.
L'eau et le vin... Comme toujours indissociables !
RépondreSupprimerMagnifique billet, magnifiques photos. À l'heure ou une partie du Portugal brûle encore. C'est bon de lire ça.
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