Le vin 'naturel', c'est interdit.


C'est une de ces petites histoires bien de chez nous qui font le quotidien de ceux qui ont le mauvais goût de se démener pour que le pays ne meure pas en silence. Rien de bien méchant, de la tracasserie administrative made in France, mais en la matière, c'est souvent l'accumulation qui agace.
Nous sommes en pleine campagne du Pas-de-Calais, à Bermicourt. Dans une ferme dépendant de la maison familiale, Sébastien de La Borde a ouvert en 2005 un néobistrot rural, La Cour de Rémi, dans la lignée de ce qu'il a appris chez Stéphane Jego. Du produit, donc, d'ici et d'ailleurs, arrosé comme il se doit de vins "décontractés du gland": Plageoles, Reynaud, Puzelat ou encore Lapierre. Et c'est justement à cause d'une citation de feu Marcel Lapierre, inscrite sur une ardoise (ci-dessous) que Sébastien de La Borde vient de recevoir un courrier comminatoire du Directeur Départemental par intérim de la Protection des populations. Cette citation, beaucoup d'entre vous la connaissent, elle figure ici sur le site du domaine et donne la définition que ce vigneron avait du "vin naturel".


Mais, ce terme "vin naturel" a visiblement déplu aux vigilants contrôleurs du Directeur Départemental par intérim etc… Et il ressort le texte selon lequel "le terme naturel ne peut être appliqué qu'à un produit que l'on trouve dans la Nature ou aussi proche que possible de son milieu naturel, non traité, et ne comportant que des constituants normaux sans additifs". Ajoute que "les vins, au regard notamment de leur mode d'élaboration et l'ajout en règle générale d'anhydride sulfureux, ne peuvent être qualifiés de naturel ou de tout terme équivalent". Et conclut en rappelant que selon l'article L121-1 du Code de la Consommation, il s'agit là d'une pratique commerciale trompeuse.
Bref, Sébastien a intérêt à virer l'ardoise avant la contre-visite!


Ce truc-là, ce n'est pas nouveau, ça dépend juste du QI et du degré de tolérance du fonctionnaire. Je me suis moi même déjà fait prendre par la patrouille il y a près de quinze ans pour avoir tenté d'utiliser ce terme sur une étiquette. Interdiction également d'utiliser le qualificatif "pur" ou même d'évoquer de trop près le raisin. J'avais ainsi été retoqué en 2002 en tentant de baptiser une cuvée "jus de raisin"; je m'en étais sorti avec "envie de raisin". Bref, entre la multiplications des textes réglementaires (vous en voulez, vous du millefeuilles administratif?) et la lecture qu'en ont les ronds-de-cuir plus ou moins vétilleux chargés de les appliquer, on est loin de pouvoir écrire ce que l'on veut, même si c'est vrai, sur une étiquette, une carte ou une publicité de vin.


La question que je me pose, concernant ce cas précis des "vins naturels", c'est de savoir s'il n'est pas temps de combler le vide juridique, réglementaire qui les entoure. Dans une affaire comme celle de La Cour de Rémi, cela résoudrait le problème, le fonctionnaire aurait de la paperasse à se mettre sous la dent, et n'importe quel restaurateur, bistrotier ou caviste pourrait sur sa carte ou son tarif indiquer le style de vin dont il est question. Au passage, j'ai la faiblesse de penser que le consommateur s'y retrouverait: de la même façon que pour le bio ou la biodynamie, il sait que le label implique une charte et les contrôles afférents, il aurait l'impression qu'on lui donne ainsi une certaine garantie, susceptible de décourager d'éventuels tricheurs.
Je sais que cette idée ne sera pas du tout du goût d'une bonne partie des producteurs de "vins naturels" (surtout ceux de la mouvance néo-soixante-huitarde) qui devront alors se mettre d'accord sur une définition précise, et, surtout, commune! Il n'empêche qu'il faudra bien y passer un jour ou l'autre, et pas seulement à cause des réglementations françaises. Restera à trouver un nom. Vin "nature" ou "naturel, apparemment, ce sera compliqué. Vin "nu", comme on me le souffle ici et là, ça ne marchera pas dans tous les pays (c'est déposé en Grande Bretagne et aux USA par nakedwines.com), vin "pur" non plus, vin "libre", c'est déjà fait. Il est temps d'ouvrir un concours d'idées.




Les photos de La Cour de Rémi sont signées Franck Hamel, merci à lui.

Commentaires

  1. Et si on parlait de vin "spontané" ?

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    1. Ah oui, c'est pas mal. Même si ça me rappelle un peu le texte que j'avais écrit pour Élian Da Ros à la fin des années 90 pour sa cuvée Sua Sponte…

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    2. Michel, Vincent, vous devriez le savoir : le seul vin qui a le droit d'utiliser le nom, c'est... Le Vin Doux Naturel. Et malgré ça, on arrive plus à en vendre. Va comprendre, Charles...

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    3. Ce n'est pas plus mal que le legislateur puisse se pencher sur cette question de vin naturel... Il y a de plus en plus de négoces peu scrupuleux appeller "Nature" une cuvée simplement parce que c'est à la mode... des vins assez éloignés de la définition de Marcel Lapierre, on s'en doute...
      Au grand dam de vignerons bios qui s'aperçoivent que le terme de nature ou de naturel n'est pas protégé voire serait même interdite.

      La définition d’une mention « vin naturel » dans les zones ou elles sont développés pourrait toutefois assez simplement se mettre en place... (en Anjou particulièrement) : il existe largement suffisamment d’usages loyaux et constants sur ce territoire pour valider la mise en œuvre d’une mention. A la manière du « Vin Jaune », la mention se superpose à l’AOC et elle génère un cahier des charges (rendements, exigences de fabrication, et dans le cas présent vraisemblablement tolérance de dégustation plus élevée vis-à-vis des brettanomyces et de l’éthanal…)
      C’est une solution simple qui permet à la fois de bénéficier de l’origine « Anjou », de spécifier la présence d’un vin singulier sans aller passer sa vie de procès en procès en promenant ses chevaux dans les tribunaux (procès qui ne peuvent qu'être perdus, vu la loi actuelle) et qui n’exige qu’une chose : que 30 vignerons bio, écolo (mais sacrément indépendants... dirais-je même libéraux à leur manière) constituent une association (et pas 3) et se mettent d’accord pour en faire la demande à l’INAO.

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    4. Un vin VSAC (Vin sans ajouts chimiques ou Véritablement sans...) pour copier les VSOP...

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  2. Le producteur, dont la démarche consiste à mettre en bouteille l’expression la plus juste de ce qu’il estime être son terroir, celui qui, pour parvenir à ses fins, s’emploie sans compter à revenir aux fondamentaux (je vais le mettre entre guillemets) « traditionnels », le producteur qui, quand bien même il lui en coûterait de passer deux à trois fois plus de temps à la vigne et au chai n’emprunte jamais aucun raccourci et dans le même mouvement, raye de son livre de recettes toute intervention jugée inutile, superflue, brutale ou (je vais le mettre entre guillemets aussi) « chimique » – celui-là, c’est sûr, a toute mon admiration, et soyons dingue, allons-y franchement, tout mon amour.

    Oh, bien sûr, on sait, on en a tous fait l’expérience une fois au moins, qu’il lui arrive aussi (et plus souvent qu’à son tour) de livrer à l’énamouré citadin d’innommables piquettes, qu’en dépit du sens commun le plus élémentaire, il sera de bon ton d’apprécier et d’encenser dans les salons. Mais il a souvent le respect de sa terre, le respect de la plante, le respect du fruit et du travail bien fait. C’est un honnête homme. Il est souvent bien plus philosophe qu’on ne le croit et bien moins que ne le laisse entendre dans les médias. Cependant, il faut l’aimer. Ce qu’il incarne est, à notre époque, crucial.

    Pour autant, je n’aime pas l’intitulé « nature » ou « naturel ». A mes yeux, ces qualificatifs ont quelque chose de fallacieux et relèvent, paradoxalement, si l’on considère que le bon paysan à grosses mains calleuses n’aurait jamais seulement l’idée d’une telle forfaiture commerciale, de l’arnaque marketing bien étudiée et dans l’air du temps. Enfin, on me reprochera peut-être d’être un rien pointilleux, mais ces qualificatifs ont fâcheuse tendance, aussi, à disqualifier la concurrence et favorisent l’instauration d’un débat manichéen, opposant les purs aux salauds, les sincères aux empoisonneurs et les gentils aux méchants.

    Que celui qui n’a jamais vibré en s’enfilant sans se gratter l’éthique une petite merveille de pinard pas naturelle pour un rond me jette la première pierre. Il est possible qu’il soit passé à côté d’un fort joli moment.

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  3. Vin vivant, et encore, Est-ce vraiment satisfaisant?

    Et puis il y a un autre angle mort, celui des cavistes, dont certains sont excellents, qui vendent des vins naturels mais aussi quelques quilles plus conventionnelles. C'est le cas à Toulouse du Tire-Bouchon ou du Temps des vendanges par exemple. Pourront-ils afficher quelque chose.

    Par ailleurs, il existe de très bons vignerons, reconnus et assimilés comme faisant partie de la mouvance naturiste, qui d'une année sur l'autre peuvent utiliser des doses minimales de soufre. A titre personnel, je n'y vois aucun problème. Alice Feiring a bien évoqué la question dans son second ouvrage "Le Vin Nu", justement.

    L'essentiel me parait davantage être dans la démarche que dans l'étiquette.

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    1. C'est bien pour ça que Naked Wines était cité. Cela étant, à terme, il faudra trouver un nom, et surtout une charte qui "garantisse", qui pose cette démarche et la protège des petits malins.

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  4. Bonjour! Planteado así es una cuestión política nominal importante, oui! Sin embargo, si comprendemos que lo que llamamos natural es un estilo de vida, una manera de ocupar la vida, entonces crearíamos redes fuertes de circulación del vino natural, sin necesitar la "aprobación burocrática". Me refiero sobre todo a extender el concepto de pureza (que puede ser naïv) a una práctica y un relacionamiento económico no tóxico con el mercado. Si el vino es, digamos, natural, hasta la puerta de la bodega y a partir de ahí, participa de procesos y prácticas tóxicas de mercado, puede ser irrelevante encontrarle un nombre apropiado. Juntos estamos mejor. Colaborando estamos mejor todos. Distinguiendo claramente dónde está el "enemigo" le hacemos el verdadero homenaje y reconocimiento al vino. Entendiendo que el canal de comunicación y comercio es tan importante como el de creación se hará la verdadera revolución. Ejemplo: si la estrategia de venta es sólo lo que "yo" encuentro, entonces no compro un vino natural porque no la "descubrí yo"? Si el vino natural participa de procesos comerciales monopólicos, ¿sigue siendo natural? La pregunta que me gusta plantear es ¿hasta dónde es natural un vino natural, hasta la puerta de su bodega o hasta los brazos de su amante? No es fácil, pero resulta imprescindible. Je vous embrasse Vincent et amis.

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  5. Mes petits amours, vous avez tous raison et tous TOUT FAUX. Voilà à nouveau ressurgir un travers bien français: vous aimez les catégories (et les classements, qui sont leur corollaire). Je ne dis pas qu'elles sont inutiles, notamment pour étudier un sujet, ou pour l'enseigner. Mais, dans la vie de tous les jours, elles ne servent pas souvent à grand chose et elles sont toujours chiantes. Mais c'est vrai que dans chaque Français dort un donneur de leçons. Pourtant, vous n'êtes guère tendre avec votre propre Education Nationale (sans doute à juste raison). Hervé a raison, les VDN ont droit à cette détermination, mais ne font pas un tabac, alors que le marché du Porto est en croissance continue (même si elle s'infléchit un peu). peut-être est-ce parce que mes amis du Cima Corgo ont eu l'intelligence de se donner le droit d'utiliser des TRES BELLES eaux-de-vie pour muter, et pas de l'alcool de pharmacien? Souvent, elles sont charentaises, d'ailleurs. Non, là je blague: les meilleurs Maury, Banyuls et même Rivesaltes n'ont pas à rougir au niveau qualitatif devant la production lusitanienne. Quant à Rasteau (et dans une moindre mesure Beaumes), il en est aussi d'excellents. Je ne parle ici que des rouges, bien sûr.

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    1. Luc, j'imagine qu'Hervé faisait de l'humour à propos des vins doux naturels qui comme chacun sait ne sont pas "naturellement" doux. Et dont l'appellation remonte à une époque où l'on se fichait comme de son premier bidon de Round-Up de la naturalité.
      Celà étant, oui, je pense qu'il serait bon d'encadrer et de certifier.

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  6. C'est pourquoi l'AVN ne parle plus de « vin naturel » mais de « vinification naturelle » et souhaite que ça devienne une mention légale pouvant figurer sur l'étiquette.

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    1. Donc on en revient à ce que nous sommes plusieurs à dire…

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  7. Nous pouvons retourner le problème dans tous les sens. Appelez ces vins comme vous le souhaitez, cela reste un vin, produit dans les règles de l'art, dans le respect des traditions mais aussi de la santé des consommateurs. Du vin, un vin, ce vin, témoignage du savoir-faire d'un vigneron, de l'ADN d'un terroir, d'un cépage...toute une histoire, beaucoup de sens. Il y en a beaucoup moins, de sens, à vouloir trouver une appellation particulière pour un vin "normal", alors que "l'empoisonneur" lui n'est astreint à aucune exigence. Ce serait pourtant à lui de préciser que son vin est "chimique", "technologique", "standardisé", "dénaturé"... On l'appelle même vin conventionnel. Je m'étouffe en disant cela...

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    1. Cher Anonymous, dire que tous les vins, hors ceux qui se revendiquent "naturels" (sans toutefois aller jusqu'au bout en faisant valider officiellement un cahier des charges) sont chimiques, technologiques, standardisés, dénaturés, c'est un poil simpliste, non?

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    2. Pourquoi les gens ayant des opinions tranchées et fortes, ce qui en soi est généralement sympathique, sont aussi souvent des LACHES. Je déteste les anonymes ! Donne ton nom ou boucle-la !

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