(Pas) vu à la télé.


À Londres, Fergus et Trevor, mes copains du St.John, ont un terme dédaigneux, très dédaigneux, pour ça: "TV cooks", les "cuistots de la télé". Une sorte de grade inférieur, en dessous du chef cathodique, variété qui a fait florès dans la seconde partie du XXe siècle, permettant à certains maître-queux "de sortir de leur cuisine" (où l'on aimerait bien qu'ils retournent parfois…). 
L'intention, au début, était louable: perfectionner le savoir culinaire de la ménagère de moins de cinquante ans*, de telle façon qu'à table, au moins, elle comble son mari. Se succédèrent, escortés d'une speakerine un rien nigaude, le tonitruant Raymond Oliver, la gouaille de son fils Michel, le consensuel Michel Guérard**, avant qu'une productrice bordelaise de FR3 ait le coup de génie d'aller au fin fond des Landes chercher une Maïté plus vraie que nature qui expliqua aux téléspectateurs ébahis comment on zigouillait une anguille récalcitrante. On remarquera, par parenthèse, que le fil rouge, dans cette affaire, devenait le Sud-Ouest et son accent qui fait tant rigoler les Parisiens.


Puis vint la publicité, débarquèrent les sponsors. Pour renouveler le genre, qui s'essoufflait, on importa de chez les buveurs de Coca-Cola et les mangeurs de jelly la gastro-télé-réalité et ses insoutenables suspens. Une bénédiction! En prime-time, on allait enfin pouvoir achever de laver la cervelle des consommateurs, leur expliquant que la normalité gastronomique consistait à pousser un caddie et le remplir de tomates plastifiées en janvier. Tout ça avec l'imprimatur de cuistots étoilés et estampillés Sud-Ouest, l'accent faisant foi. Car, évidemment, certains, au lieu de s'en indigner et de défendre notre patrimoine gastronomique, coururent servir la soupe sur écran plat.


À Toulouse, alors que cet univers impitoyable se mettait en place, Gérard Garrigues, lui, s'évertuaient, en marge de son Pastel, à faire des jambons de vingt-cinq kilos, des saucissons hachés main, sans nitrites, avec des coches de races improbables***.
Et, quand je suis allé le voir dans son nouveau nid d'aigle tarnais, plutôt que de parler des tendances de la mode, savoir s'il fallait encore fleurir les assiettes ou favoriser les "pickles", se tatouer ou porter la moustache, on a causé de ce vieux monsieur de quatre-vingt-dix ans chez lequel, une heure plutôt, j'étais allé comme tous les ans me servir en ventrèche de compétition au marché de Réalmont. Vous pensez bien que, malgré son fier accent de Laguépie, ce n'est pas un renégat pareil qu'on allait mettre en avant dans le poste, un type qui n'a rien compris au progrès alimentaire et au temps de cerveau disponible. Il y en avait de plus malléables


Du coup, pendant que d'autres, à Toulouse et ailleurs, ont choisi de faire démonstrateur d'électroménager ou vendeur de supermarché, Gérard Garrigues s'est consacré à son métier. Jusqu'à rejoindre ou presque son pays natal, en se perchant avec sa femme Valérie, à Castelnau-de-Montmiral, un des sublimes villages du haut vignoble gaillacois****. Sa quête, loin des étoiles d'antan, c'est de vivre bien en faisant plaisir à ceux qui font les quelques kilomètres qui séparent son nouvel établissement, Le Ménagier, de Toulouse, Albi ou Montauban. Leur faire plaisir en leur servant le contraire de ce qu'on voit à la télé, dans les caddies et trop de restaurant métronomiques.


Ce mercredi, au menu à vingt-quatre euros, il y avait des figues fraîches, sa géniale pastilla d'agneau du Tarn, épicée au millimètres. Et puis aussi des girolles, du saumon sauvage. Et vous verrez les soirées gibier de l'automne, les lièvres, puis les truffes cet hiver!
Garrigues, son truc, c'est le goût. Il n'est pas cuisinier d'apparence, styliste culinaire.


Au passage, grâce à Valérie, on a bu un excellent canon, le rouge "des Anglais". Un domaine (et un château exceptionnel) que j'avais visité il y a quinze ans, davantage connu pour ses liquoreux. Là, à vingt euros sur table, c'est la plus jolie chose que j'ai goûtée dans cette appellation cette année. Un fruit éclatant, de la mâche, de l'énergie. Encore un truc hors-mode dont on ne parle pas dans le poste…




* À l'époque de la télévision en noir et blanc, c'était forcément la femme qui officiait aux fourneaux (Raymond Oliver a tenté une diversion). Pour la Fête des Mères, on faisait d'ailleurs son bonheur en la couvrant de cadeaux électroménagers qui allaient lui "simplifier la vie".
** Qui, soyons honnêtes, effectua la première glissade en signant un "pithiviers feuilleté, mousse de cresson beurre blanc" pour Findus, donc Nestlé
*** Il aime beaucoup les beauvais.
**** Au delà de la table de Gérard garrigues, si vous ne connaissez pas ce pays, foncez-y! Castelnau-de-Montmiral, Puycelsi, Bruniquel, Penne, Saint-Antonin-Noble-Val, et Laguépie, tout est beau par là, entre Vère, Grésigne et Aveyron.


Commentaires

  1. Autant j'ai de grands souvenirs du Pastel à Toulouse (le restaurant et aussi la brasserie), autant je n'avais pas été très emballé lors d'un dîner au Ménagier, quand Garrigues officiait à Vacquiers, à côté de chez moi (dans le Frontonnais).

    Mauvaise passe ? (il y avait aussi à l'époque ses interventions au restaurant du muséum d'histoire naturelle - le Moaï et au musée des abattoirs - l'hémicycle)

    Du bon dans et autour de Toulouse avec l'équilibre (Balma), l'art et du temps, le Place Mage, la binocle, les passionnés ...
    Il y aura très bientôt aussi le grain de sel à Clermont-Lefort, repris par un jeune chef talentueux (aimant le vin).

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  2. Dans le genre simple et authentique, on me disait beaucoup de bien du Relais de la Vère, au Verdier. Qu'en est-il vraiment ?

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    1. Non, je n'y suis jamais allé, Michel.
      Mais la cuisine de Gérard est tellement éblouissante…

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