Longtemps après que les poètes ont disparu.


Entre ses chasses et ses champs immenses, j'éprouve une certaine tendresse pour cette terre terrienne du Loir-et-Cher. Peut-être parce que finalement ce pays rural, parfois suranné, représente un peu l'inverse de Barcelone, et que l'on a besoin de l'inverse pour se ressourcer. Peut-être aussi parce que je n'y vis pas l'hiver. Peut-être enfin parce que j'ai la chance d'y avoir un ami qui y parle le vin couramment, sans accent, quelqu'un qui n'a pas appris dans les livres.


Chez Pierre, on allume des barbecues de gitan, on mange Bambi, son papa ou sa maman, sous le regard convoiteux de Bambou le labrador, tandis que la queue-de-cochon du limonadier s'use plus que de raison. Il aime découvrir, et faire découvrir. Avec (condition sine qua non) infiniment peu d'a priori. À tout point de vue, il est l'inverse du sommelier barbu et tatoué qui en ville traite le pinard comme de la fringue. Ou du réciteur de guides à-la-papa. La vie lui a appris à fuir les certitudes et à user de libre-arbitre.  


Il y a quelques étés, Pierre m'a fait goûter les bouteilles d'un de ses presque voisins, Patrice Colin. J'avais beaucoup aimé le blanc, sec sans mollesse, à l'opposé des vins chewingumant qui enchantent la génération Coca-Nutella. Mais le rouge m'avait vraiment séduit, le nez chantait à tue-tête le refrain épicé du pineau d'Aunis, ces notes de poivre blanc dont j'ai appris depuis qu'elle signaient la sous-maturité de ce cépage délicat. C'est techniquement vrai, il n'empêche que pour boire tous les jours…


Patrice Colin produit donc des coteaux-du-vendomois, le genre d'appellation qu'on ne connaît pas, sauf à être né dans le coin. Déjà, Vendôme, pour moi, avant que Pierre ne m'y emmène faire le marché et mirer l'eau des canaux, c'était surtout une place parisienne à côté de laquelle j'allais manger landais et acheter le même parfum androgyne que Jeanne Moreau
Enfin, ce n'est pas tout à fait exact. l'AOP en question, j'en avais vaguement entendu parler en éclusant moult bouteilles d'un vin (de France) dont la marque branchée, parisianno-compatible, avait éclipsé l'origine géographique loir-et-chérienne.


Las, comme dans la chanson, les Poètes ont disparu, et contrairement à ce qu'affirme Trénet, leurs Verres ne courent plus les rues. Émile Hérédia a du se séparer du domaine, et la relève n'est pour l'instant pas en place. Il faut dire qu'avant même de faire du vin, ici, sur les coteaux humides du Vendômois, cultiver la vigne n'est pas un sport facile. L'auteur du Verre des Poètes y a renoncé, celle qui a pris sa suite fait, pour l'instant, dans la douleur, ses gammes.


– alors, on y va? me demande Pierre au sortir de l'andouillette fondante que produit une paysanne de Lancôme (je vous avais mis au parfum ici…). C'est à vingt minutes, à Thoré-la-Rochette, au bord du Loir.
Passé Vendôme, la voiture rebondit, virevolte sur des coteaux vert-laitue où apparait soudain la vigne. Le village au clocher effilé est blotti en contrebas. L'accueil (par l'épouse de Patrice Colin) est exactement celui que l'on souhaite dans tous les domaines du Monde: simple, sympathique, technique et généreux. Vigneron, quoi.


Les vins? Ils sont tels qu'on les attendaient. Un poil plus mûrs peut-être, millésime oblige, avec donc pour certains une pincée de poivre blanc en moins que sur les années plus fraîches qui ont précédé; ils y gagneront en durée. Le blanc Pierre à feu (un chenin dont mon petit doigt me dit qu'il plonge ses racines dans les silex) est au rendez-vous, tranchant, impeccable, le Vieilles Vignes aussi; j'ai besoin en revanche de m'acclimater à la cuvée Pente des Coutis, plus riche, dont le côté oxydatif peut dérouter.


Les rouges sont donc un poil plus mûrs peut-être que dans mon souvenir, avec en conséquence pour certains une pincée de poivre blanc en moins que sur les années plus fraîches qui ont précédé; ils y gagneront en durée. C'est idiot, mais j'ai un coup de cœur immédiat pour le petit vin, la cuvée Pierre François, plus jeune puisqu'il s'agit d'un 2016. Un mélange original de pineau d'Aunis (60%), pinot noir (30%) et cabernet-franc (10%). Ça coûte dans les quinze euros, c'est furieusement actuel et je me dis que c'est exactement le vin de tous les jours qu'un caviste non vendeur d'étiquettes pourrait proposer aux amateurs de vins de Loire, ou de vins de soif. J'ai fait le test avec mon docteur, résultat, on a tout bu!
Gros plaisir aussi avec le Vieilles Vignes, dont le mari, tout juste descendu de son tracteur (le bio dans ce coin, ça se mérite!), m'assure qu'il pourra se garder longtemps. Tu parles, vu le coefficient de torchabilité du machin, je n'ai pas vu la garde du carton atteindre un mois! Patience en revanche pour la cuvée Émilien Colin, ainsi que pour le haut-de-gamme dont j'ai oublié le nom (genre L'extravagant); ça me fait d'ailleurs penser qu'on en a un 2009 chipé dans la cave de Pierre.


Histoire d'être presque complet* sur ce domaine déjà dont je regrette de vous avoir parlé, saluons l'étonnant gris de pineau d'Aunis (que je rêve d'essayer sur de belles huîtres de La Tremblade, des n°2 bien charnues) et le lambrusco maison (cousin du Turbulent du Domaine Sérol en Côtes Roannaises), un gamay de silex effervescent dont raffole la maman de Pierre.
Comment, au pays de Ronsard**, ne pas conclure cette chronique que je trouve (ça doit être la rentrée) aussi scolaire qu'un article de la Presse pinardière par une belle séance de récitation? C'est du maître, bien sûr, et comme l'aurait aimé Jules Chauvet, ça commence par une histoire de roses et de vin.

   Verson ces roses pres ce vin,
   De ce vin verson ces roses,
   Et boyvon l’un à l’autre, afin
   Qu’au coeur noz tristesses encloses
   Prennent en boyvant quelque fin.

   La belle Rose du Printemps
   Aubert, admoneste les hommes
   Passer joyeusement le temps,
   Et pendant que jeunes nous sommes
   Esbatre la fleur de noz ans.

   Tout ainsi qu’elle défleurit
   Fanie en une matinée,
   Ainsi nostre âge se flestrit,
   Làs ! et en moins d’une journée
   Le printemps d’un homme perit.

   Ne veis-tu pas hier Brinon
   Parlant, et faisant bonne chere,
   Qui làs ! aujourd’huy n’est sinon
   Qu’un peu de poudre en une biere,
   Qui de luy n’a rien que le nom ?

   Nul ne desrobe son trespas,
   Caron serre tout en sa nasse,
   Rois et pauvres tombent là bas :
   Mais ce-pendant le temps se passe
   Rose, et je ne te chante pas.

   La Rose est l’honneur d’un pourpris,
   La Rose est des fleurs la plus belle,
   Et dessus toutes a le pris :
   C’est pour cela que je l’appelle
   La violette de Cypris.

   La Rose est le bouquet d’Amour,
   La Rose est le jeu des Charites,
   La Rose blanchit tout au tour
   Au matin de perles petites
   Qu’elle emprunte du Poinct du jour.

   La Rose est le parfum des Dieux,
   La Rose est l’honneur des pucelles,
   Qui leur sein beaucoup aiment mieux
   Enrichir de Roses nouvelles,
   Que d’un or, tant soit precieux.

   Est-il rien sans elle de beau ?
   La Rose embellit toutes choses,
   Venus de Roses a la peau,
   Et l’Aurore a les doigts de Roses,
   Et le front le Soleil nouveau.

   Les Nymphes de Rose ont le sein,
   Les coudes, les flancs et les hanches :
   Hebé de Roses a la main,
   Et les Charites, tant soient blanches,
   Ont le front de Roses tout plein.

   Que le mien en soit couronné,
   Ce m’est un Laurier de victoire :
   Sus, appellon le deux-fois-né,
   Le bon pere, et le fàison boire
   De ces Roses environné.

   Bacchus espris de la beauté
   Des Roses aux fueilles vermeilles,
   Sans elles n’a jamais esté,
   Quand en chemise sous les treilles
   Beuvoit au plus chaud de l’Esté.


            Pierre de Ronsard, Les Odes.





* Je n'ai pas goûté le moelleux…
** Le Prince des Poètes, amoureux de ce pays de Vendôme,  était natif de Couture-sur-Loir, à une dizaine de kilomètres des vignes de la famille Colin.




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