Le protectionnisme intelligent l'est-il vraiment ?
Les vignerons, ou en tout cas les viticulteurs languedociens ont donné hier à Narbonne une image de la France pinardière qui nous ramène aux actualités télévisées des années soixante-dix. Je n'ai rien contre les couleurs fanées, les Renault 16 et le charme vintage des pattes d'éléphant, mais je me demande vraiment si ce genre de démonstrations n'est pas complètement hors-d'âge.
Pure question rhétorique, vous l'avez compris. Cette image est déplorable, catastrophique, c'est celle d'un Languedoc qu'on croyait, qu'on voulait révolu, celui de la piquette, du degré/hecto, des coopés. Resservir aujourd'hui, en costumes d'époque, le Midi rouge des luttes viticoles, c'est bousiller internationalement tout le travail, de communication notamment, fièrement réalisé depuis des décennies par les vignerons authentiques qui ont fait de cette région une terre où l'on peut boire bon, et sain.
Pure question rhétorique, vous l'avez compris. Cette image est déplorable, catastrophique, c'est celle d'un Languedoc qu'on croyait, qu'on voulait révolu, celui de la piquette, du degré/hecto, des coopés. Resservir aujourd'hui, en costumes d'époque, le Midi rouge des luttes viticoles, c'est bousiller internationalement tout le travail, de communication notamment, fièrement réalisé depuis des décennies par les vignerons authentiques qui ont fait de cette région une terre où l'on peut boire bon, et sain.
Le Midi rouge, justement, celui de la légende dorée des "luttes viticoles", des cartes postales de 1907, des photo-reportages de 1976, des stèles et des reconstitutions historiques subventionnées, parlons-en. Il a bien changé depuis, sa paysannerie aussi qui, massivement, a viré de couleur, glissant du rouge au noir. Cette glissade, je l'ai vue de près, y compris dans des villages que la "crise viticole", cette antienne, avait totalement épargnés. Jusqu'à ces appels à manifester qui parfois ne viennent plus des "rouges", mais des "noirs".
Les penseurs et les exégètes assermentés de la politique viticole, une fois de plus, me riront au nez: "Anecdote! Épiphénomène!" Pourtant les éléments de langage que je lis dans les propositions du Front National (premier parti d'Occitanie au dernières élections régionales, et encore davantage du Languedoc), il me semble les avoir entendues ici et là dans la bouche de braves viticulteurs, désespérés de voir leur vieux monde leur échapper. Ces mêmes braves viticulteurs qui s'en vont sans honte pousser leur caddie au supermarché du coin, lequel n'a évidemment aucun rapport (ça va de soi) avec cette maudite grande distribution qui étrangle les paysans…
La cible, pas besoin de faire un dessin, c'est l'Espadre, l'Espingouin, ce presqu'Arabe (puisqu'au Sud), ce salaud qui vient ôter le pain de la bouche de nos honnêtes vignerons. Et peu importe si le sang ibère coule encore davantage que le pastis dans les veines de tant de viticulteurs du Languedoc. La source de leurs malheurs, ce sont ces camions-citernes aux plaques étrangères qui passent la frontière au Perthus, à cause de l'Europe, bien sûr, éternelle fautive des maux que nous ne voulons pas assumer.
De fait, les importations de vrac espagnol ont considérablement augmenté. Oh, en valeur, ça ne représente pas grand chose, mais en volume! En valeur, la France était d'ailleurs quasiment à l'équilibre avec l'Espagne, c'est une baisse de nos exportations qui a creusé un petit déficit ces deux dernières années. Plutôt sur les vins tranquilles, car de l'autre côté des Pyrénées on est toujours très très friands de bulles françaises, de champagne principalement qui représente près de la moitié du total tricolore importé en Espagne.
Du coup, dans l'Aude, où il manifestait hier, le secrétaire départemental du FN, conseiller régional et viticulteur Christophe Barthès prône "le patriotisme économique, la francisation des aides et le protectionnisme intelligent".
"Protectionnisme intelligent", j'imagine que le terme fait mouche. Surtout quand on n'a pas envie de regarder trop loin de chez soi. Parce que franchement, quand est vigneron, vigneron français de surcroît, quelle plaisanterie! Quel foutage de gueule!
Les chiffres officiels* se suffisent à eux-mêmes: pour six-cent-soixante douze millions d'euros de vins étrangers importés en deux-mille-quinze dans l'Hexagone, on en a exporté huit milliards deux-cent-soixante-dix millions d'euros. Une paille! Un très léger excédent! Vive le protectionnisme et son intelligence…
Au passage, on notera que les viticulteurs languedociens, quand ils vont faire leurs courses phytosanitaires de l'autre côté de la frontière, à Figueres (phénomène qui est tout sauf anecdotique), ne se soucient guère de ce fameux "protectionnisme intelligent". Pas plus, diront les mauvaises langues, au moment de faire le plein à La Jonquera…
Et puis, comme le suggère la Confédération paysanne, qui n'a pas voulu se joindre à la manifestation de Narbonne, "nombre de ceux qui appellent à cette manifestation font partie du sérail qui indépendamment du problème des importations qui concurrencent certains vins français, participent à la destruction des viticultures de nos régions. Ils râlent quand ils sont victimes du libéralisme, ils applaudissent quand ils en sont bénéficiaires".
Oui, parce que l'on dit moins lors de ces grand-messes du kolkhoze, c'est qu'une bonne partie du vin espagnol est importé par les groupes coopératifs** dont les actionnaires sont ceux qui ont manifesté, entre autres (mais principalement) contre ces importations. Tenez, comme un clin d'œil, un lecteur m'envoyait hier une photo d'un de ces camion-citernes ibères, perdu dans une zone industrielle des abords de Carcassonne, à côté de l'UCCOAR, un des groupes sus-cités…
Bref, au delà des vrais problèmes économiques, sociaux, humains qui se posent en Languedoc, peut-être serait-il temps de passer aux choses sérieuses. De sortir du discours syndicalo-politique des années soixante-dix, et agir pour réellement réformer ce vignoble qui a pour lui tant d'atouts, jouer la carte de la qualité, appuyer un vrai discours environnemental, aller de l'avant. Et, même si ça semble un peu utopique, donner l'amour du produit à de trop nombreux viticulteurs qui ne l'ont pas***.
Et pour oublier ce qu'on lira ici et là dans la presse internationale, et qui forcément ne fera pas de la pub aux vins languedociens****, au contraire, moi, j'en ouvrirai une bouteille à midi. Depuis Barcelone, depuis l'Espagne, du corbières en plus, appellation déshéritée s'il en est, du vrai bon corbières***** pour saluer ce qui se fait de bon dans cette région, et dont il faut être fier. Pour célébrer au passage les soixante ans du commencement d'une Europe qui nous a valu de connaître la plus longue période de paix entre ses pays membres.
Et pour oublier ce qu'on lira ici et là dans la presse internationale, et qui forcément ne fera pas de la pub aux vins languedociens****, au contraire, moi, j'en ouvrirai une bouteille à midi. Depuis Barcelone, depuis l'Espagne, du corbières en plus, appellation déshéritée s'il en est, du vrai bon corbières***** pour saluer ce qui se fait de bon dans cette région, et dont il faut être fier. Pour célébrer au passage les soixante ans du commencement d'une Europe qui nous a valu de connaître la plus longue période de paix entre ses pays membres.
* Source France Agrimer, émanation du ministère de l'Agriculture français.
** Groupes déjà évoqués ici notamment.
*** Sinon, comment expliqué ces hectolitres de vin déversés sur le bitume, ces cuves vidées (souvenez-vous cette affaire), ces bouteilles cassées?
**** Lire déjà ce qu'à écrit hier soir le journaliste franco-belge Hervé Lalau dans Les 5 du Vin. Il est difficile de lui donner tort.
***** Les clos perdus, j'en parlais ici.
** Groupes déjà évoqués ici notamment.
*** Sinon, comment expliqué ces hectolitres de vin déversés sur le bitume, ces cuves vidées (souvenez-vous cette affaire), ces bouteilles cassées?
**** Lire déjà ce qu'à écrit hier soir le journaliste franco-belge Hervé Lalau dans Les 5 du Vin. Il est difficile de lui donner tort.
***** Les clos perdus, j'en parlais ici.
Tres bon papier et rappel des faits particulierement necessaire en ces temps de ''faits alternatifs''.
RépondreSupprimerJulien
PS: Tres interessant votre choix de Corbieres. Excellents vins Les Clos Perdus. Faits par un ancien danseur contemporain Australien et un jeune Anglais, lui-meme ancien etudiant des Beaux-Arts... Veritables OVNIS installes au coeur du village de Peyriac de Mer, ou le FN a amasse le plus grand nombre de voix au 1er tour des elections departementales en 2015.
Merci, Julien,
Supprimerj'avais évoqué 'Les clos perdus' ici, en 2012: https://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/09/real-wine-le-bourgogne-des-corbieres.html
C'est un domaine que j'aime beaucoup, et que je suis depuis ses débuts.
Ces histoires me font penser à Pierre Desproges et son célèbre : "J'ai juste eu le temps de la tondre, les FFI arrivaient."
RépondreSupprimerCertains schizophrènes doivent en avoir des maux de tête.
Aïe ! Ça cogne dur en Médoc…
SupprimerEn Languedoc, le plus gros problème depuis longtemps, c'est clairement lié à la défaillance de la coopération... si elles n'avaient pas (pas toutes, heureusement) une politique autodestructrice, on ferait un grand pas en avant.
RépondreSupprimerSur le kolkhoze en général, lire cet article qui résume un peu la situation: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2015/01/le-kolkhoze-gagne-toujours-la-fin.html
SupprimerOn va parler de triomphe de la médiocratie.
SupprimerMon cher Vincent, pour cultiver votre respect pour la coopération , je vous conseille la lecture de André Valadier L'Aubrac au coeur éditions du Rouergue , mais qu'est-ce que ça vient faire là ?
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