Albi, France moche, #fakenews ?
Même ma maman que j'aime m'a envoyé un email. Il faut signer une pétition, Albi, cette ville que nous chérissons est en danger. Le Figaro lui aussi s'est emparé de l'affaire, par la plume guerrière d'Eugénie Bastié, je l'ai lue à sa Une numérique. On ne parle pas de rien, la préfecture du Tarn part en couille, et c'est même marqué en gros dans le New-York Times.
Je vous résume l'affaire? Adam Nossiter (ce patronyme ne vous dit rien?*) à l'intérieur de l'important organe de Presse sus-cité nous explique que "dans un pays comme la France, qui foisonne de beauté et dont les
traditions semblent immuables, il n’est pas aisé de prendre la mesure
des changements, voire de la décomposition en cours. Elle saute pourtant
aux yeux, à Albi comme dans des centaines d’autres communes. La France
perd, une à une, ses villes de province de taille moyenne — ces pôles de
vie denses et raffinés, profondément ancrés dans le milieu rural, où
les juges rendaient justice, où Balzac situait ses romans, où les
préfets émettaient des ordres et où les citoyens pouvaient acheter une
cinquantaine de fromages différents."
Le mot n'est pas prononcé, écrit, mais évidemment, il saute aux lèvres: décadence. Ou en tout cas "déclin" comme il est plus poli de le dire en titre d'un journal respectable.
Alors, oui, nous avons vu dans cette ville, "comme dans des centaines d’autres communes", la France, celle qui fait rêver, écrire, chanter. Oui, nous l'avons vécue, jouée, mangée, bue, baisée, pleurée, hurlée. À même ses rues, ses belles rues, ses recoins, ses cloîtres, ses palais inconnus. Adam, je ne te connais pas (accepte cependant ce tutoiement confraternel), Adam, je partage, et j'ai devancé ton agacement. Cette France se perd. Cette France que j'ai il y a longtemps qualifiée de France du pousse-caddie**, cette "France moche". Cette France des "villes moyennes" comme disent les technocrates, charmante, aussi délicieuse que les femmes de ses notaires, de ses bijoutiers. Cette France qui a vendu son âme à quelques parkings de banlieues sordides qu'elle s'est inventées pour se donner de grands airs qui n'étaient que viciés. Oui, Adam, Albi n'échappe pas à la règle: pour pénétrer sa beauté médiévale, il faut se farcir un immonde rempart, des "zones", ce paroxysme de la laideur, là où l'homme, patiemment, précisément, méthodiquement va chercher ce qui peut l'éloigner de l'humain. Moi même, je me suis agacé quand on a envoyé des architectes, reîtres policés, normaliser le marché couvert***, là où l'on allait voler les poireaux de vignes aux vieilles. On a modernisé, on a merdé. Pas parce que c'était mieux avant, juste parce qu'on n'avait pas eu le nez, qu'on été brutal, irrespectueux.
Là, en revanche, où je te déteste, Adam, et là où tu me fais penser à ton frère quand il se gaufre dans Mondovino avec le pseudo-sauveur Guibert de la Vaissière, c'est en utilisant l'exemple d'Albi pour étayer ton propos que, dans ses grandes lignes, je partage pleinement. Par esprit de lucre, radinerie et laisser-aller, la France a bradé ses villes moyennes à la mafia du soi-disant "moins cher que moins cher", c'est malheureusement exact.
À Albi, certes, les dégâts sont importants, je n'ai pourtant pas l'impression qu'ils soient plus considérables que dans des dizaines de préfectures ou sous-préfectures. Au contraire. Ce fait, tu l'effleure d'ailleurs au cœur de l'article ("certaines plus durement touchées qu’Albi"), presque comme si tu te disais que tu aurais du aller faire ton reportage ailleurs. Regarde, même chez moi à Barcelone, ville gouvernée par les néo-communistes de Podemos, la mairesse n'a rien trouvé de mieux que d'autoriser une hideuse supérette à cinq mètres de l'ajuntament, sur la très symbolique plaça Sant Jaume.
Adam, je ne t'accuse pas, d'une façon trumpienne (désolé de remuer le couteau dans la plaie), de balancer des #fakenews, j'affirme juste que tu noircis le tableau****. Que tu utilises cette cité comme une illustration plaquée sur l'excellent thème de ton papier. Et, excuse-moi, mais je crois, peut-être égaré par un "lanceur d'alerte" un rien égocentrique dans sa lecture du problème, que tu t'es trompé d'illustration. J'en profite au passage pour te signaler que si tu veux, à Albi, acheter "une cinquantaine de fromage différents" (je ne sais pas si on en trouvait autant à l'époque de Balzac…), et de grande qualité, tu n'as qu'à aller en plein centre, en face du marché couvert, à la Fromagerie cathare, chez Marilyn (ci-dessous), tu te rendras compte que ça aussi c'était une bêtise. Pense à lui prendre du cantal, c'est peut-être le meilleur que j'ai goûté de ma vie. Et du Phébus aussi, d'Ariège. Sublime!
Profite-en pour faire le marché, d'ailleurs. En plus d'y aller saluer mon pote immigré, tu iras le samedi, au milieu de producteurs locaux à l'image de la dame dont je parle ici ou là; je te souhaite juste de ne pas être agoraphobe, parce qu'évidemment, en toutes saisons, c'est bondé…
D'une certaine façon (pour détendre l'atmosphère), tu me fais penser à un copain biterrois (tu en veux un centre-ville sinistré?) qui, sur Facebook, chaque fois qu'un acteur, un chanteur meurt, fait exprès de poster la photo d'un autre acteur ou chanteur de la même génération, accompagnés de l'inévitable RIP. Bref, en un mot comme en cent, tu as tapé à côté, au karaoké journalistique, tu as collé les mauvaises paroles sur la bonne musique. Ou l'inverse.
À Albi, certes, les dégâts sont importants, je n'ai pourtant pas l'impression qu'ils soient plus considérables que dans des dizaines de préfectures ou sous-préfectures. Au contraire. Ce fait, tu l'effleure d'ailleurs au cœur de l'article ("certaines plus durement touchées qu’Albi"), presque comme si tu te disais que tu aurais du aller faire ton reportage ailleurs. Regarde, même chez moi à Barcelone, ville gouvernée par les néo-communistes de Podemos, la mairesse n'a rien trouvé de mieux que d'autoriser une hideuse supérette à cinq mètres de l'ajuntament, sur la très symbolique plaça Sant Jaume.
Adam, je ne t'accuse pas, d'une façon trumpienne (désolé de remuer le couteau dans la plaie), de balancer des #fakenews, j'affirme juste que tu noircis le tableau****. Que tu utilises cette cité comme une illustration plaquée sur l'excellent thème de ton papier. Et, excuse-moi, mais je crois, peut-être égaré par un "lanceur d'alerte" un rien égocentrique dans sa lecture du problème, que tu t'es trompé d'illustration. J'en profite au passage pour te signaler que si tu veux, à Albi, acheter "une cinquantaine de fromage différents" (je ne sais pas si on en trouvait autant à l'époque de Balzac…), et de grande qualité, tu n'as qu'à aller en plein centre, en face du marché couvert, à la Fromagerie cathare, chez Marilyn (ci-dessous), tu te rendras compte que ça aussi c'était une bêtise. Pense à lui prendre du cantal, c'est peut-être le meilleur que j'ai goûté de ma vie. Et du Phébus aussi, d'Ariège. Sublime!
Profite-en pour faire le marché, d'ailleurs. En plus d'y aller saluer mon pote immigré, tu iras le samedi, au milieu de producteurs locaux à l'image de la dame dont je parle ici ou là; je te souhaite juste de ne pas être agoraphobe, parce qu'évidemment, en toutes saisons, c'est bondé…
D'une certaine façon (pour détendre l'atmosphère), tu me fais penser à un copain biterrois (tu en veux un centre-ville sinistré?) qui, sur Facebook, chaque fois qu'un acteur, un chanteur meurt, fait exprès de poster la photo d'un autre acteur ou chanteur de la même génération, accompagnés de l'inévitable RIP. Bref, en un mot comme en cent, tu as tapé à côté, au karaoké journalistique, tu as collé les mauvaises paroles sur la bonne musique. Ou l'inverse.
En revanche (désolé chère maman), même si le cœur y est, je ne signerai pas la pétition que tu m'as envoyée, laquelle prétend laver l'honneur souillé de la cité épiscopale.
D'abord parce que je ne crois pas que ça ça serve à grand chose.
Surtout parce que c'est dans l'action qu'on pourra réparer ce qui doit l'être, faire que les 7,3% de taux de vacance des commerces albigeois (taux inférieur à la moyenne nationale qui est de l'ordre de 10%) baisse encore davantage, et arrête surtout d'augmenter. Que l'on contraigne aussi les horreurs de banlieues à camoufler leurs parkings, leurs enseignes, leur laideur, que pour entrer dans Albi, on n'ait pas, comme dans toutes les villes de France, à franchir une haie de déshonneur. Qu'ici on donne l'exemple (comme avec cette belle histoire d'auto-suffisance alimentaire*****) d'une ville qui a décidé à son échelle d'en finir avec la France défigurée.
* Adam, le frère de Jonathan Nossiter, l'homme de Mondovino, avec lequel on ne se parle plus depuis cet article. Celui-là déjà l'avait un peu agacé.
** J'ai bien du écrire une centaine de chroniques sur la Pieuvre française, sur la mafia de la grande distribution, si grande qu'elle rend les gens petits. Lis juste, si le cœur t'en dit, celui-ci et celui-là.
*** À propos du marché-couvert d'Albi, lire cet article qui avait localement fait débat.
**** Le coup de "la ville abandonnée" le dimanche soir, franchement… On aurait pu l'écrire il y a trente ans, je te promets.
***** Lire ici.
C'était mieux avant...
RépondreSupprimerJe ne crois pas que ce soit le propos. Pas le mien en tout cas, non plus (à mon avis) celui d'Adam Nossiter.
SupprimerIntéressant débat hier soir sur France Info (emission les informés) à ce propos.
RépondreSupprimerA réécouter en zappant la partie sur les dérives fric réac du cancre assisté de l'élection afin d'éviter une poussée d'urticaire.