Le droit (de la Femme) à servir le vin.


Quand ma femme* a débuté dans le vin, dans les années quatre-vingt-dix, être sommelière était encore un peu "étrange". Heureusement, elle avait eu la bonne idée de cacher sa féminité sous des cheveux courts de garçonne. 
Ça se passe à Londres, Londres des fortunes incommensurables, de l'argent dont le flot ininterrompu fait passer la Tamise pour un ruisseau. Nous sommes dans les casinos privés, le Ritz, Les Ambassadeurs, l'Aspinall's. Elle m'a raconté une soirée où un client lui a laissé en guise de pourboire un jeton de dix-mille livres, comme nous aurions laissé cinq ou dix euros. Au restaurant, et au bar, les étiquettes sont forcément prestigieuses, c'est tout juste si parfois, entre un vieux Pétrus et un Yquem hors d'âge, quelques pauvres acceptent de tremper leurs riches lèvres dans un verre de Montus ou de Château Musar, sortes de corbières ou de beaujolais des lieux.


L'anecdote que j'ai envie de vous raconter à l'occasion de cette Journée internationale des droits des femmes se déroule en mille-neuf-cent-quatre-vingt-seize, au bar des Ambassadeurs. Isabelle est à la manœuvre, épaulée par une jeune australienne. À une table, un "arabe" (ils sont nombreux dans les casinos privés), elle vient le saluer et lui proposer quelque chose à boire. Le type, visiblement en colère, est à deux doigts de lui balancer la wine list à la figure. Non pas qu'elle ait insulté sa foi en lui proposant une boisson alcoolisée (ce qu'on aurait pu à la limite comprendre), les musulmans fortunés qui fréquentent ce type de lieux ne se privent pas d'en boire, simplement, ce porc ne veut pas être "servi par une femme".


Entendons-nous bien, même si la condition de la Femme est une horreur, une honte absolue dans la plupart des pays musulmans, même si en la matière l'Islam a besoin d'un aggiornamento (dont on se demande bien quand il se produira), il n'est pas nécessaire pour un homme de pratiquer cette religion pour se comporter comme un porc. À travers le Monde, et parfois tout près de chez nous, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes, des animistes ou même des athées le font avec beaucoup de talent. Cette anecdote, finalement dérisoire au regard des outrages subis quotidiennement par le sexe dit faible, nous montre également que la maltraitance, le mépris, la connerie ne sont pas l'apanage des classes défavorisées; ceux dont on aurait pu espérer que l'argent leur offre l'éducation et le savoir-vivre n'en sont pas à l'abri et savent parfaitement se comporter comme des gros beaufs**. 
Quand nous n'en serons plus, sur le long chemin vers l'égalité des droits, qu'à nous battre pour celui, dérisoire encore une fois, de servir du vin (de le faire ou de le goûter***), l'Humanité aura gagné ou presque. Pensons-y tout de même.




* Si jamais vous ne la connaissez pas, c'est ici.
** Tenez, hier encore dans l'actualité, ce politicien français, Baupin, prétendu écologistes et authentique gros porc.
*** Là, en revanche, ironie du sort, l'inégalité est inverse, ce sont les femmes qui ont la main comme je l'écrivais ici.


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