Dão / Macao / Chicago / Porto.
L'autre jour débarque à la maison ce monument du vin portugais, le seigneur Tavares de Pina (ci-dessous en compagnie d'une admiratrice scandinave), avec Luisa, sa femme. Hobereau naturiste, il se bat pied à pied pour faire vivre un domaine noyé dans la nature au parfum celte des anciennes "terras de Tavares"*, au cœur des montagnes du Dão.
Et avant que nous passions aux fourneaux (car pour faire bouillir la marmite, il est aussi cuistot intermittent à Porto), il sort un livre de son sac de voyage. Ce sont des copains à lui qui l'ont écrit, restaurateurs à Chicago, à l'enseigne du Fat Rice, le "riz gras", le riz-au-gras comme on dirait dans le Sud-Ouest, ce qui ma foi n'est pas un nom pour me déplaire.
Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans une chronique gastronomico-littéraire, paresseuse et bouche-trou, voleuse des mots des autres. De plus, comme les bouquins pinardiers, les livres de bouffe m'ennuient souvent. Soit que l'on use abondamment de la photocopilleuse, soit qu'à la façon foodiste on joue les béni-oui-oui de telle ou telle mode plus ou moins ridicule (pardon pour le pléonasme).
Mais, c'est sa première particularité, le livre que vient de m'offrir João est attrayant, sexy, rock n' roll. Ça rebondit, ça vibre, ça donne envie de manger et de boire. Photos et comics se mêlent au texte dans un foutoir soigneusement organisé, à l'opposé du style permanenté à la Côté Sud qui prévaut si souvent en France. Fat Rice, grâce à Abraham Gonlon, Adrienne Lo, Hugh Amano, sans oublier le photographe Dan Goldberg et la dessinatrice Sarah Becan, met les coudes sur la table. On est là pour manger, non de Dieu! Pas pour se tirer sur la nouille devant trois infimes merdouilles artistiquement posées au fond d'une assiette ornée d'une giclée de sperme coloré dont la finalité n'est pas de nous régaler mais d'être photographiée, instagrammée, réseausocialisée.
Et puis, bien sûr, il y a le fond. D'abord une célébration. Celle de la cuisine de Macao. Celle en fait de la cuisine de fusion née de la rencontre entre l'Asie et l'Europe durant les quatre cents années où ce bout de Chine fut comptoir portugais, jusqu'à en être l'ultime en 1999. Autant la fusion-food bricolée dans les laboratoires des chimistes des années quatre-vingt-dix m'emmerde, autant je suis enthousiasmé par la sincérité des plats que l'on nous donne à manger ici. Des viandes simples, des abats**, le geste technique, la précision des épices…
En ça, ce livre est un voyage. Loin, très loin du Macao factice des casinos et du vice organisé lequel, comme la cuisine, aime sa part d'improvisation. Plus proche de ce mot magnifique, "la ville de l'indulgence".
Pour tout vous dire, j'ai tellement kiffé ce bouquin que j'ai pris le risque de bousculer un menu d'anniversaire prévu le lendemain soir pour un marchand de vin parisien et dilettante*** à cause d'une recette géniale devant laquelle je suis tombé en arrêt. J'y ai mis mon grain de sel, bien sûr, et sans filet, j'ai préparé la salade d'oreilles de cochon de la page deux-cent-seize. Une recette de génie populaire, délicate, fraîche et soucieuse des textures. En attendant de me lancer dans l'estufado de queue de bœuf au vin portugais aux oignons frais, au bok choy, au piment et à la badiane. Que j'arroserai évidemment de rouge de Dão.
* Je racontais dans cette chronique qui me plaît (j'aime la relire…) l'univers de João Tavares de Pina.
** Manger les animaux de la tête aux pieds, y revenir, toujours!
*** Ce mot est magnifique, les professeurs dans les conseils de classe l'ont sali, plus encore, mille fois plus encore que les putes de Macao ont perverti l'amour. Concernant le dilettante en question (même si à côté il a un vrai métier), il exerce, en compagnie de Catherine Leconte des Floris dans le cadre de Territoires Bio, qui distribue pas mal de beaux canons dont les précieux nouveaux bourgognes de Chandon de Briailles évoqués ici avec tendresse.
Ca me fait penser à Fat Freddy et aux Freak Brothers...
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