Un Montagnard chez les Girondins.
– A-t-on encore un avenir aujourd'hui dans le vin haut-de-gamme sans passer par la case bio?
– Bien sûr que oui! Au contraire ! clament en chœur les supporters de Donald Trump et de ses clones. Le bio, comme le réchauffement climatique, est une invention chinoise pour ruiner la viticulture américaine* (française, espagnole, italienne, etc, rayez la mention inutile). Regardez d'ailleurs le site de la winery de Monsieur Fils, à aucun moment il n'est question de ces âneries terroiristes, le sol, en s'en tape!
– Évidemment que non! rétorquent, sûrs de leur fait, les défenseurs, neufs ou anciens, de l'agriculture biologique. Hors du label, no future!
– Évidemment que non! rétorquent, sûrs de leur fait, les défenseurs, neufs ou anciens, de l'agriculture biologique. Hors du label, no future!
Même si la grosse masse des grands crus bourguignons ou bordelais fait de la résistance, les faits semblent donner raison aux tenants du bio, ces derniers mois encore, plusieurs grosses pointures du Mondovino ont montré l'exemple, à l'image de la famille Frey et de sa célébrissime Chapelle dont le millésime 2015 sortira orné de la petite feuille verte. Idem avec La Lagune, ou ses voisins médoquins Palmer ou Montrose, eux aussi convertis.
Reste le cas de ceux que l'on va appeler les "compagnons de route", les "sans-papiers" du bio qui adhèrent aux principes du mouvement, les précèdent même parfois, sans toutefois aller au bout de la démarche, administrative notamment. Parmi eux, de grands noms, Reynaud, Chave, Allemand, Selosse, Vaillé**…
Celui dont nous poussons la porte en cette matinée gelée fait, qu'il le veuille ou non, partie des "compagnons de route" du bio.
L'église, sur le mamelon d'en face, c'est celle de Montagne. Puissante et romane, qui confère à l'ensemble un aspect plus guyennais que gascon. Relique d'une munificence passée***, la maison sommeille comme un gros chat, l'agitation touristique de Saint-&-Millions semble si loin malgré son extrême proximité. Le village de Montagne est d'ailleurs mitoyen d'une demi-douzaine d'appellations différentes, dont Saint-Émilion, Pomerol et Lalande.
Pierre Bernault n'est pas peu fier de ce terroir pauvre mais si riche en calcaire, posé tel un balcon sur ce que la rive droite de la Gironde possède de plus chic, de plus cher en matière vinicole. Un rien revanchards, les gens du coin aiment raconter que "le bas des marches de l'église de Montagne correspond au sommet du clocher de Saint-Émilion". Ce qui est vrai, c'est qu'ici le regard porte loin, des "sommets" de l'Entre-Deux-Mers au tertre de Fronsac. Après deux ou trois verres de montagne, on croit même apercevoir l'Océan…
Pourtant, quand on parle de labellisation à cet amoureux scientifique des sols, il voit rouge. Pourquoi?
"Parce que, explique-t-il, le bio est devenu un système mercantile et que je suis avant tout rebelle et que je tiens trop à ma liberté de choix, d'action et d'évolution.
Pour ne pas intégrer un mouvement qui se présente chaque fois qu'il peut comme étant la panacée en matière de respect de la Nature et de la santé humaine.
Parce que le bio n'est en aucun cas un critère de qualité. Parce que les produits de traitement bio peuvent être des poisons violents pour la Nature comme pour l'homme mais que les affiliés continuent à faire croire le contraire, par défaut. Parce que le bio permet d'aller jusqu'à la production industrielle (y compris hors-sol) de fruits et légumes dégueulasses dûment labellisés.
Parce que le bio prétend répondre à des besoins généraux et qu'il n'est pas approprié de faire la même viticulture, par exemple en Languedoc et en Bordelais. Les risques et pressions sanitaires n'ont rien en commun entre ces deux régions. Parce que le bio a opté pour le grand mal français du principe de précaution et se montre fermé à l'utilisation de produits modernes, performants et moins polluants que les produits que mon grand-père utilisait au début du siècle dernier… et qui l'ont tué!
Parce que je suis persuadé, et c'est mon quotidien, qu'il y a mieux à faire pour protéger la Nature et l'homme que de simplement suivre les préceptes d'une organisation qui n'est finalement qu'une organisation commerciale.
Parce que les bios entretiennent la posture mensongère qui consiste à laisser le consommateur (un sur deux en France) dans l'ignorance de la réalité : le bio utilise des pesticides, et certains sont des poisons mortels. Les bios utilisent plus de gazole que n'importe quelle autre méthode de conduite de vignoble. En Gironde en 2016 : entre seize et dix-sept traitements en moyenne chez les viticulteurs bio, huit chez les autres.
Parce que les bios opposent systématiquement leur label au reste du monde : eux sont propres et ne polluent pas, tous les autres sont des assassins à la solde de Monsanto-Bayer. Il faut guerroyer sec contre les thuriféraires de cette marque commerciale pour qu'à regret, du bout des lèvres, et faute de compétence car ils ne chaussent bien souvent que des mocassins, ils finissent par accepter de reconnaître qu'il n'y a peut-être pas que le bio comme solution.
Et enfin, on n'entend qu'eux, alors qu'ils ne représentent que 6% du marché français du vin. Et que j'ai hâte de voir les preuves tangibles de l'absence de pollution soit-disant inhérente à ce label.
À part tout ça, je reconnais bien volontiers qu'il y a chez les non-Bio de véritables saligauds qui n'ont aucune conscience du massacre de la nature qu'ils perpétuent. Malgré les efforts faits un peu partout pour lister les produits que le Gouvernement autorise toujours et encore à la vente et qui seraient à interdire en urgence. Seul moyen à mon avis de commencer à protéger la Nature et l'Homme malgré l'existence perpétuelle des saligauds."
Voilà pour le discours, quasi intenable, inaudible, aujourd'hui dans le Mondovino. J'entends déjà d'ici les noms d'oiseaux, les procès pour "dérapage", les bûchers que l'on dresse.
Pourtant, en contrebas de la terrasse du château, les vignes de Pierre Bernault parlent pour lui, de son engagement, surtout, pour une agriculture plus raisonnable, "raisonnée" comme on a dit à une époque avant que ce label ne disparaisse. Ignorante du Round-Up, comme profonde malgré le peu d'épaisseur qui la séparent du souvenir des étoiles de mer****, l'argile vit.
Et que dire du verre? J'ai bu, rapportée de chez lui, une bouteille absolument remarquable, émouvante. Beauséjour 2007, cuvée 1901*****, l'âge des ceps de la parcelle évidemment. Étoffe et finesse, extrême longueur, tout ce que l'on demande à un (très) grand bordeaux; un fruit éclatant, tempéré par ce qu'il faut d'austérité, sans la moindre tentation de sucrerie, bien élevé ma non troppo, formidablement long. Oui, un 2007, vous avez bien lu, ce millésime qu'on considère souvent avec dédain en Gironde et qui là, sans nœud-papillon, juste descendu de son tracteur, hobereau distingué, nous raconte des histoires sinon de "grands crus" (concept ô combien dévoyé) mais de vins de terroir et d'auteur.
Inutile de vous faire un dessin, Pierre Bernault est un cabochard. Un cabochard méthodique, un peu anar sur les bords, comme un baba cool auquel les cheveux n'auraient pas poussé. En discutant avec lui, on se rend compte qu'il ne sera pas facile de l'enrégimenter. L'animal se cabre, regimbe. Il m'a glissé qu'il avait du sang ariégeois, je le crois volontiers.
La limite de son discours, c'est la généralisation. Vous le mettez dans la bouche d'un coopérateur productiviste des Corbières ou de La Mancha, et c'est l'horreur. À ce moment-là, sous couvert de "mais je n'en utilise que quelques gouttes", la terre des vignes va rapidement ressembler au sol d'Hiroshima, le 6 août 1945 au soir. En ce sens, il n'est pas un exemple, plus une merveilleuse exception.
C'est pour ça d'ailleurs qu'on a inventé les labels, pour rassurer le consommateur bien sûr, mais aussi comme garde-fou, pour encadrer des types à la précision plus aléatoire que le seigneur de Beauséjour, pour simplifier, ceux qu'il appelle "les saligauds". Afin de les contrôler (plus ou moins bien selon les certificateurs), de leur infliger des analyses de vins******, de sols qui permettent de voir si les actes sont en accord avec les paroles (ce qui à Montagne ne fait aucun doute).
Restent les irréductibles, les marginaux, forts-en-gueule à l'image de ce Montagnard girondin qui vous rappelle qu'avoir des convictions n'oblige pas à éteindre son cerveau. Hommes et vins de caractère, insoumis de la bouteille, libertaires.
Reste le cas de ceux que l'on va appeler les "compagnons de route", les "sans-papiers" du bio qui adhèrent aux principes du mouvement, les précèdent même parfois, sans toutefois aller au bout de la démarche, administrative notamment. Parmi eux, de grands noms, Reynaud, Chave, Allemand, Selosse, Vaillé**…
Celui dont nous poussons la porte en cette matinée gelée fait, qu'il le veuille ou non, partie des "compagnons de route" du bio.
L'église, sur le mamelon d'en face, c'est celle de Montagne. Puissante et romane, qui confère à l'ensemble un aspect plus guyennais que gascon. Relique d'une munificence passée***, la maison sommeille comme un gros chat, l'agitation touristique de Saint-&-Millions semble si loin malgré son extrême proximité. Le village de Montagne est d'ailleurs mitoyen d'une demi-douzaine d'appellations différentes, dont Saint-Émilion, Pomerol et Lalande.
Pierre Bernault n'est pas peu fier de ce terroir pauvre mais si riche en calcaire, posé tel un balcon sur ce que la rive droite de la Gironde possède de plus chic, de plus cher en matière vinicole. Un rien revanchards, les gens du coin aiment raconter que "le bas des marches de l'église de Montagne correspond au sommet du clocher de Saint-Émilion". Ce qui est vrai, c'est qu'ici le regard porte loin, des "sommets" de l'Entre-Deux-Mers au tertre de Fronsac. Après deux ou trois verres de montagne, on croit même apercevoir l'Océan…
Pourtant, quand on parle de labellisation à cet amoureux scientifique des sols, il voit rouge. Pourquoi?
"Parce que, explique-t-il, le bio est devenu un système mercantile et que je suis avant tout rebelle et que je tiens trop à ma liberté de choix, d'action et d'évolution.
Pour ne pas intégrer un mouvement qui se présente chaque fois qu'il peut comme étant la panacée en matière de respect de la Nature et de la santé humaine.
Parce que le bio n'est en aucun cas un critère de qualité. Parce que les produits de traitement bio peuvent être des poisons violents pour la Nature comme pour l'homme mais que les affiliés continuent à faire croire le contraire, par défaut. Parce que le bio permet d'aller jusqu'à la production industrielle (y compris hors-sol) de fruits et légumes dégueulasses dûment labellisés.
Parce que le bio prétend répondre à des besoins généraux et qu'il n'est pas approprié de faire la même viticulture, par exemple en Languedoc et en Bordelais. Les risques et pressions sanitaires n'ont rien en commun entre ces deux régions. Parce que le bio a opté pour le grand mal français du principe de précaution et se montre fermé à l'utilisation de produits modernes, performants et moins polluants que les produits que mon grand-père utilisait au début du siècle dernier… et qui l'ont tué!
Parce que je suis persuadé, et c'est mon quotidien, qu'il y a mieux à faire pour protéger la Nature et l'homme que de simplement suivre les préceptes d'une organisation qui n'est finalement qu'une organisation commerciale.
Parce que les bios entretiennent la posture mensongère qui consiste à laisser le consommateur (un sur deux en France) dans l'ignorance de la réalité : le bio utilise des pesticides, et certains sont des poisons mortels. Les bios utilisent plus de gazole que n'importe quelle autre méthode de conduite de vignoble. En Gironde en 2016 : entre seize et dix-sept traitements en moyenne chez les viticulteurs bio, huit chez les autres.
Parce que les bios opposent systématiquement leur label au reste du monde : eux sont propres et ne polluent pas, tous les autres sont des assassins à la solde de Monsanto-Bayer. Il faut guerroyer sec contre les thuriféraires de cette marque commerciale pour qu'à regret, du bout des lèvres, et faute de compétence car ils ne chaussent bien souvent que des mocassins, ils finissent par accepter de reconnaître qu'il n'y a peut-être pas que le bio comme solution.
Et enfin, on n'entend qu'eux, alors qu'ils ne représentent que 6% du marché français du vin. Et que j'ai hâte de voir les preuves tangibles de l'absence de pollution soit-disant inhérente à ce label.
À part tout ça, je reconnais bien volontiers qu'il y a chez les non-Bio de véritables saligauds qui n'ont aucune conscience du massacre de la nature qu'ils perpétuent. Malgré les efforts faits un peu partout pour lister les produits que le Gouvernement autorise toujours et encore à la vente et qui seraient à interdire en urgence. Seul moyen à mon avis de commencer à protéger la Nature et l'Homme malgré l'existence perpétuelle des saligauds."
Voilà pour le discours, quasi intenable, inaudible, aujourd'hui dans le Mondovino. J'entends déjà d'ici les noms d'oiseaux, les procès pour "dérapage", les bûchers que l'on dresse.
Pourtant, en contrebas de la terrasse du château, les vignes de Pierre Bernault parlent pour lui, de son engagement, surtout, pour une agriculture plus raisonnable, "raisonnée" comme on a dit à une époque avant que ce label ne disparaisse. Ignorante du Round-Up, comme profonde malgré le peu d'épaisseur qui la séparent du souvenir des étoiles de mer****, l'argile vit.
Et que dire du verre? J'ai bu, rapportée de chez lui, une bouteille absolument remarquable, émouvante. Beauséjour 2007, cuvée 1901*****, l'âge des ceps de la parcelle évidemment. Étoffe et finesse, extrême longueur, tout ce que l'on demande à un (très) grand bordeaux; un fruit éclatant, tempéré par ce qu'il faut d'austérité, sans la moindre tentation de sucrerie, bien élevé ma non troppo, formidablement long. Oui, un 2007, vous avez bien lu, ce millésime qu'on considère souvent avec dédain en Gironde et qui là, sans nœud-papillon, juste descendu de son tracteur, hobereau distingué, nous raconte des histoires sinon de "grands crus" (concept ô combien dévoyé) mais de vins de terroir et d'auteur.
Inutile de vous faire un dessin, Pierre Bernault est un cabochard. Un cabochard méthodique, un peu anar sur les bords, comme un baba cool auquel les cheveux n'auraient pas poussé. En discutant avec lui, on se rend compte qu'il ne sera pas facile de l'enrégimenter. L'animal se cabre, regimbe. Il m'a glissé qu'il avait du sang ariégeois, je le crois volontiers.
La limite de son discours, c'est la généralisation. Vous le mettez dans la bouche d'un coopérateur productiviste des Corbières ou de La Mancha, et c'est l'horreur. À ce moment-là, sous couvert de "mais je n'en utilise que quelques gouttes", la terre des vignes va rapidement ressembler au sol d'Hiroshima, le 6 août 1945 au soir. En ce sens, il n'est pas un exemple, plus une merveilleuse exception.
C'est pour ça d'ailleurs qu'on a inventé les labels, pour rassurer le consommateur bien sûr, mais aussi comme garde-fou, pour encadrer des types à la précision plus aléatoire que le seigneur de Beauséjour, pour simplifier, ceux qu'il appelle "les saligauds". Afin de les contrôler (plus ou moins bien selon les certificateurs), de leur infliger des analyses de vins******, de sols qui permettent de voir si les actes sont en accord avec les paroles (ce qui à Montagne ne fait aucun doute).
Restent les irréductibles, les marginaux, forts-en-gueule à l'image de ce Montagnard girondin qui vous rappelle qu'avoir des convictions n'oblige pas à éteindre son cerveau. Hommes et vins de caractère, insoumis de la bouteille, libertaires.
* Qui heureusement n'est pas aussi crétine que son président élu. Le bio se développe à grande vitesse aux États-Unis, avec une croissance de l'ordre de 20% par an. Le pays est actuellement au sixième rang mondial en terme de surfaces derrière l'Espagne, l'Italie, la France, l'Allemagne et l'Autriche (source Agence Bio).
** Pour ne citer que ceux-ci compilés par Sylvie Augereau dans cet article de La Revue du Vin de France consacré à ces "sans-papiers" du bio.
*** Racheté en 2005 par Pierre Bernault, venu faire ici son retour à la terre après avoir brillé dans l'informatique, Château Beauséjour, un immense hameau viticole en fait, raconte la fortune passée d'une grande famille girondine de propriétaires-négociants, les Laporte.
**** Nous sommes, sur ces cimes du Saint-Émilionnais, sur une dalle de calcaire "à astéries", reconnaissable à ses milliards de souvenirs marins fossilisés, enchevêtrés, dont les bras d'étoiles de mer. C'est avec cette pierre, doucement dorée à la lumière du soir, qu'a été édifiée Bordeaux.
***** J'ai beaucoup aimé aussi son "générique", Château Beauséjour, notamment ce 2011 déjà aimable quoiqu'en devenir. Le type fabrique d'ailleurs plutôt des vins de garde, je ne le sens pas encore prêt pour se lancer dans le bordonouvo qui fera bientôt fureur chez les buveurs de carbos…
****** Le thème des analyses de vins finis est un de ces sujets qui immanquablement suscitent chez moi de profonds doutes. Je l'avais évoqué dans cette chronique, en terme d'obligation de résultats plus que de bonnes intentions. À chaque fois qu'il est évoqué ressurgit la frontière entre les paroles et les actes.
Très bel article, domaine à découvrir !
RépondreSupprimerLES CAVES
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