Pinot noir, citoyen du Monde.


Quand j'étais petit, le pinot noir était un cépage de vieux. Et je dois dire que les souvenirs que j'en ai, de cette époque des années soixante-dix où j'ai pu pour la première fois y tremper les lèvres, me font dire que tout n'était pas mieux avant, loin s'en faut. Le pinot noir, en ce temps-là, c'était forcément bourguignon, tendance taste-vin et étiquette parcheminée, on ouvrait plutôt ça le dimanche, ça venait d'un petit vigneron qu'on avait rencontré (parce que le négoce, c'était encore pire…) et il fallait trouver ça bon. Obligatoirement.
On était loin, si loin du pinot d'aujourd'hui, jeune, éclatant et sexy, star de magazine qui donne son nom à des vernis à ongles glossy, dont on se tatoue le nom à même la peau. Le folklore du vieux moine bourguignon dans sa cave, éclairé à la chandelle, a pris un pet, c'est vrai, mais franchement, même s'il est toujours délicat de comparer ses souvenirs à son présent, je pense qu'il est autrement plus facile désormais de prendre son pied avec une bouteille de pinot noir. D'où qu'il vienne.


Parce que la réalité du pinot noir aujourd'hui, c'est aussi ça: le cépage à l'accent très probablement bourguignon* est devenu un citoyen du Monde. Plus de quatre-vingt-dix-mille hectares sont plantés sur notre planète, dont trente-mille environ en France. Contrairement à ce que l'on croit d'ailleurs, la Bourgogne n'est pas son premier terroir d'élection; avec dix-mille-six-cents hectares, elle est précédée par la Champagne** (treize-mille hectares) et suivie par le Languedoc***, le Val de Loire****, puis l'Alsace*****.
À l'étranger, ce sont les États-Unis qui qui nous emboîtent le pas avec un vignoble de plus de vingt-mille hectares de pinot noir, principalement en Californie (qui a oublié la Saab de Sideways?…) et en Orégon. Viennent ensuite l'Allemagne (11800 ha), l'Australie (5100 ha) et la Nouvelle-Zélande (4800 Ha).


Produire du pinot noir un peu partout dans le Monde, c'est sympa, mais (j'entends déjà ici les quolibets des Bourguignons…) quel pinot? Quel style? "Du lourd, pas aussi fin que chez nous".
D'où l'intérêt, loin de toute prétention de reproduire un machin dans le genre de ce fameux Jugement de Paris (au terme duquel nous étions censés avoir compris que la supériorité franchouillarde, c'était fini), de régulièrement comparer ce qui se fait ici et ailleurs. C'est que nous propose régulièrement notre copain Russell Raney qui en plus d'écrire sur le vin, et d'en vendre, a tenu avec son épouse Mary un domaine pinotant chez lui, en Orégon, Evesham Woods. Font partie de l'aventure Michel Smith et madame, ainsi que Bruno Stirnemann, le roi des accords mets-vin.


Alors bon, je ne vais pas nous infliger nos (im?)pitoyables commentaires de dégustation, retenons juste l'idée-force que chaque confrontation de ce genre confirme: on trouve désormais des choses superbes aux quatre coins de la planète****** (tous les amateurs un tant soit peu éclairés savent).
En comparant les mots des uns et des autres, et en mettant des noms de domaine sur les numéros, il est évident que plusieurs de ces bouteilles font de remarquables compagnons de table; les plus remarquables d'entre elles ont d'ailleurs fini sur la paire de beaux poulets d'Ariège qui doraient dans le four. Chacun avait ses préférences, mais un certain consensus se dégageait autour d'un tiercé de tête composé du néo-zélandais de Pyramid Valley (ci-dessous), du frétillant autrichien de Sepp Moser et du très séduisant Italien du Haut-Adige de Abbazia di Novacella. Accessit également, étonnant accessit pour le très "bourguignon" canadien de l'Ontario de Norman Hardie, un poil boisé à mon goût, mais vraiment très bien fichu. Pour ma part (Bruno et Isabelle aussi), c'est le sérieux du All-Black qui m'a marqué, un style très gevrey-chambertin, construit, avec beaucoup de fond. Michel, lui, à préféré l'Italien de la montagne.


Il y a le plus, et il y a les moins. Merci d'abord au passage à nos amis bouchonniers de nous avoir baisé la bouteille californienne de Copain. Compte-tenu du fait que plusieurs échantillons étaient heureusement munis de capsules à vis, cela nous confirme dans le fait que de nos jours dix pour cent******* des bouteilles sont endommagées, amoindries d'une façon ou d'une autre par le liège. Quand aura-t-on l'intelligence d'en finir avec ce système de bouchage complètement désuet, vieillot, pour ne pas dire ringard?
Et puis, il y a bien sûr les vraies grosses déceptions. Je ne parle pas de cet innommable "pinot noir" espagnol engraissé dans le Penedés auquel j'ai réussi à mettre une note négative, mais du seul bourgogne de la bande: le vosne-romanée 2005 d'Emmanuel Rouget (qui n'est pourtant pas le premier venu). Si l'on excepte le zozo catalan, il termine bon dernier de ce qui n'est qu'un classement informel********. "Nez fatiguant ai-je écrit sur ma feuille, bouche banale". Si j'avais su de qui il était question, j'aurais ajouté "peut beaucoup mieux faire"…




* En l'état, on n'a pas pu déterminer son origine géographique exacte, mais tout laisse à penser selon Galet qu'elle est bien bourguignonne. Selon des descriptions faites par l'agronome Columelle, "nos ancêtres les Gaulois" le cultivaient déjà, ce qui fera plaisir à un politicien tellement français qu'il ne boit pas de vin…
** Ah, cet ambonnay d'Égly-Ouriet!
*** Eh oui, le Languedoc où l'on peut vraiment se régaler de pinot noir, ici, ici ou . Et même le Roussillon où il me tarde goûter celui-ci.
**** À Sancerre notamment, chez Vacheron.
***** J'ai un peu de mal avec les pinots alsaciens, mais pas avec ce litron-là. Et je me suis aussi bien régalé, en croisière, d'un voisin lorrain, un côtes-de-toul.
****** Pour aller plus loin dans cette découverte des nouveaux grands pinots du Monde, voici quelques liens.
En Australie, allez à l'extrême-sud chez Philip Jones, ou même en Tasmanie, dernière terre avant l'Antarctique. Ou encore ici, au pied des Grampians, chez Hochkirch.
En Autriche, j'ai le souvenir ému d'un accord sexy avec un tartare de poulain.
En Suisse, il y en a plein, mais je retiens cette "composition autour du pinot" rêvée par Jacques Perrin et consommée sur une divine tarte aux grouses.
En Californie, c'est parfois compliqué, mais le bonheur peut y être joyeusement décadent, comme ici tandis qu'en Orégon, visiblement on n'a pas peur de passer pour un mouton noir.
Au Chili, j'avais bien aimé le Refugio de l'Alsacien André Ostertag.
En Espagne, on a parfois des surprises aussi atypiques que musclées.
N''oublions pas évidemment de rendre hommage à la Bourgogne qui, même si elles sont devenues horriblement chères, nous offre aussi de belles bouteilles, à l'image de ce Clos de Tart, de ce Clos de l'Arlot, ou plus modestement (mais pas moins brillamment), de celle de cet exaltant "sans SO2 ajouté" de Chandon de Briailles.
******* La langue de bois pinardière et les publi-reportages rabâchent inlassablement les communiqués de Presse optimistes des vendeurs de liège selon lesquels désormais seulement un à deux pour cent des bouteilles sont bousillées par leurs saloperies de bouchons. Malheureusement, quand on creuse un peu, et qu'on s'adresse à des professionnels attentifs, munis d'un nez à la place d'un bec-de-zinc, les chiffres sont bien plus catastrophiques. Vous imaginez franchement une autre industrie que le vin où l'on s'autoriserait des pourcentages de pertes aussi dingues?
******** Encore une fois, aucune prétention dans ce genre d'exercice où nous avons par exemple mélangé des millésime, ce qui peut fausser le jugement. Il ne s'agit pas de dire "les bourgognes ne valent plus tripette" mais de constater que leur concurrents de France et du Monde peuvent les égaler voire les dépasser.




Commentaires

  1. Treize jours et Guillaume ne s'est toujours pas indigné.
    Tout se perd.

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