Inauguration de chrysanthèmes.


Une très sérieuse étude de France Agrimer et de l'interprofession des horticulteurs* nous apprend que l'an dernier, rien que dans l'Hexagone, on a dépensé cent-soixante-sept millions d'euros pour fleurir leurs tombes. Et comme de bien entendu, c'est le chrysanthème qui demeure la star des cimetières. Pour ma part, demain, le deux novembre, j'irai jeter une rose rouge dans la Méditerranée.
Le Jour des Morts est une chose, la Toussaint en est une autre, l'horrible, la macdonaldesque fête d'Halloween en est une troisième. La bonne nouvelle, c'est que même dans la très américaine Espagne, cette nouvelle tradition commerciale semble régresser d'année en année, malgré l'appui sincère des leaders de la malbouffe. Je ris encore de cette histoire racontée par Charles Xerri un restaurateur normand, voisin du Mont Saint-Michel, dont les menus me font rêver**: au lieu de bonbons, il conseillait de distribuer des grains d'ail aux enfants grimés en monstres hollywoodiens. Si vraiment vous préférez les sucrerie, lisez cet article de Munchies où deux sommelier de Miami et d'Atlanta détaillent les accords entre les saloperies de confiseries d'Halloween et des vins.


"Inaugurer les chrysanthèmes", en revanche, n'est pas une activité saisonnière, certains en font profession toute l'année. C'est de politique qu'il est question bien sûr. L'expression a été popularisée par le général de Gaulle, en 1965, lors d'une de ses fameuses conférences de Presse. Récemment, le terme a été repris par l'écrivain-journaliste très engagé, Dominique Jamet, qui a surnommé François Hollande, "Monsieur chrysanthème". "Comme son boulimique prédécesseur, écrit Jamet, il prétend à la fois gouverner et régner. Aussi n’est-il guère de jour, depuis quelque temps, qui ne le voie – entouré d’un maximum de ministres qu’il distrait de leur tâche, le buste droit, la paupière tombante, et le regard vague, apparemment fixé sur la ligne bleue des sondages à venir – saluer des policiers, des militaires, des veuves, des orphelins, des cercueils, déposer une gerbe au pied d’une statue, dévoiler une plaque mal orthographiée***, écouter, recueilli, Johnny Hallyday".


En cette période de Toussaint, c'est un lieu gorgé de vie que nous inaugurons à Barcelone. Que je vais d'ailleurs m'empresser d'ajouter à mon mini-guide des adresses liquides & solides de la ville. Vous connaissiez Gresca, l'excellente table de Rafa Peña, eh bien, il vient de lui adjoindre un bistrot-à-vin, Gresca Bar. Il s'agit en fait de l'ancien chinois mitoyen du restaurant, réuni par le truchement d'un office flambant neuf, ouvert sur les deux salles, la nouvelle et l'historique. La partie bar, à l'élégant dépouillement, est plus chaleureuse, avec notamment un très joli coin bar où l'on peut picar en tête-à-tête. Pour ce qui est du piano (si l'on excepte un option contre-nature), je suis jaloux, plantxas et feux vifs sont royaux, à la hauteur du talent du chef et de son équipe.


Fidèle à lui-même, Rafa propose au bar une alléchante cuisine de palace en short. L'autre soir, alors que je n'avais pas faim, j'y ai dévoré des tripes (et cap i pota et pois chiches) superbement relevées au piment fumé d'Estrémadure (pimentón de la Vera), un pied de porc au chou, farci, et une belle "brioche perdue". J'adore d'ailleurs le clin d'œil, aller manger de "bas-morceaux" dans l'Eixample où les señoritos ne supportent que le filet. Les plats sont vivants, directs, goûtus, sont tout le contraire de ce quartier où l'on s'ennuie a calculer tristement le prix de la montre de son voisin où ce que lui ont coûté ses nouvelles fringues, tout en poussant au bord de l'assiette, d'un dos de fourchette dédaigneux, l'immense masse des aliments que l'on ne juge pas digne de son palais bourgeois.

On va donc bien manger au Gresca Bar, gaiement, sincèrement, en sauçant copieusement (le pain est excellent). Et on va boire du même tonneau. La carte, impressionnante, est à tendance naturiste, mais pas que. Très française, aussi. Une magnifique collection d'Allemand et de Clape, du Graillot, Barral en magnum pour les amateurs du genre, Jeff Coutelou pour les francs buveurs, Boulard pour les fêtards (tu aimes la rime, Francis?), le délicieux Cyril Fhal et son Rouge-Gorge rouge, de grands bordeaux même, tout cela est assez luxueux.


Et nous, qu'avons nous bu? Un coup de blanc d'abord, le gouleyant aligoté d'Alice et Olivier de Moor. Mettez leurs chablis en cave, aux côtés de ceux de Thomas Pico, oubliez-les un peu, et régalez-vous de ce cépage modeste, tranchant ma non troppo. On notera que pour ce nouveau millésime, les de Moor ont eu l'excellente idée d'utiliser non pas du liège (avec tout son cortège de problèmes) mais une capsule à vis. Bravo! Il serait temps que dans le naturisme on privilégie ce mode de bouchage respectueux du vin, qui, de surcroît, nécessite un usage plus réduit du SO2. J'en profite, puisque l'on parle de vignerons chablisiens, de rappeler leur utile croisade contre le goudron autoroutier avec lequel on menace leurs vignes.


Pour le rouge, on a fait le hat trick, comme au rugby. Trois bouteilles consécutives du joyeux gamay auvergnat de Jean Maupertuis, sa cuvée joliment baptisée La Plage à cause de son sol sablonneux. Et puis, sous les pavés de l'Eixample, ça fait rêver… J'aime beaucoup aussi le pinot de ce vigneron de Saint-Georges-sur-Allier, Neyrou, je crois malheureusement qu'il n'en reste plus une bouteille à Barcelone (y compris à L'Ànima del Vi, son importateur barcelonais), on a tout bu!


Évidemment, comme on pour toute inauguration digne de ce nom, on a fait péter la roteuse. Du Boulard (du coup, on a fini tard…) mais aussi le champagne de bataille du taulier, celui, pas coûteux du tout, de ce cher Franck Bayard qui à quarante euros sur table a tout de la bulle de prolétaire. Il faut dire que sous son étiquette qui sent bon l'iMac translucide des années quatre-vingt-dix se cache un jus de l'excellent Pascal Gerbais, émérite famille auboise.
Heureusement qu'on avait au four un cuissot de cerf de mon bon docteur pour le lendemain, histoire de se refaire la cerise, après ce coupage de ruban…



* Consultable ici.
** Le Sillon de Bretagne, à Brée, entre Caen et Saint-Malo.
*** À propos de dévoiler une plaque, allez voir l'hilarante vidéo de la télévision néo-calédonienne, où le ministre de l'Éducation bataille, avec humour et bonne grâce, pour inaugurer le lycée Michel-Rocard.
**** Lire cette chronique.


Commentaires

  1. Dominique Tesson ? Sylvain plutôt ? Gilles

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    1. Oh pardon, Dominique Jamet, bien sûr, l'ancien président de la BNF, comme l'indique le lien. Le lapsus calami (corrigé maintenant) provient du fait qu'il sévissait au Quotidien de Paris en tant que rédacteur-en-chef, sous les ordres de Philippe Tesson.

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    2. Par parenthèse, Sylvain Tesson, l'écrivain-voyageur (que vénère notamment Jacques Perrin) est le fils de Philippe.

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    3. Quelque chose me dit que "les chemins noirs" devraient vous plaire...Gilles

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    4. J'ai effectivement envie de le lire.

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  2. Démarré les chemins noirs hier ...
    Un vrai plaisir (idem pour Bérézina - en side-car avec Napoléon)

    Le style de Sylvain Tesson est de plus en plus proche de celui de Nicolas Bouvier (et son magistral usage du monde).

    L'occasion de dire du bien de Kaufmmann (remonter la Marne). Il y a une proximité entre Bérézina et Outre-Terre du même Kauffmann.

    On pourra aussi savourer les chemins de Compostelle de Ruffin et chemin faisant de Jacques Lacarrière.

    Pas mal d'autres encore, tel le touchant "un beau matin d'été" de Laurie Lee.

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