Le retour du poil?


C'est évidemment un sujet compliqué. Ça touche à l'intime, à la sensation personnelle, au toucher digital ou lingual. C'est la question du con: naturel ou épilé? Imberbe, balthusien, ou broussailleux, vintage comme un tabouret en plastique orangé?
Franchement, personnellement, je n'ai jamais été capable de trancher. Aucune religion dans tout ça, la mode, je m'en tape, les convenances itou. Question d'instant.


Loin des bunnies de Playboy, des créatures naturellement hirsutes de Lui et d'histoires plus intimes, j'y repensais en buvant mon thé vert l'autre matin sur les hauteurs de La Livinière. À quelques mètres de la terrasse, une vigne m'écartait ses cuisses. Une vigne entre deux âges, plus tout à fait jeune mais loin d'être vieille, qui du haut de ses vingt ans a déjà donné tellement d'amour.
D'autant, soyons clairs, que la belle ne jouit pas d'une très bonne réputation: elle est de celle que les esthètes bavards du NeoMondovino boivent en cachette, comme leurs aïeux allaient aux putes. C'est une syrah, la rouquine vicieuse, la gagneuse orientale, d'autant plus méprisée qu'elle est née"trop au Sud". Il est vrai qu'en matière de pinard, dans cette région, les esthètes sus-cités n'ont pas attendu le Nanard de Béziers pour clairement afficher leur amour de la ségrégation.


Cracher sur les syrah du Sud, du Languedoc-Roussillon notamment, ça donne une contenance, ça pose son homme. On a ainsi quelque chose à dire, quelque chose qui immédiatement vous situe dans l'aristocratie pinardière, chez ceux qui font la tendance, impavides, rebelles, libres de dire ce ce qu'ils pensent (ou ce qu'il faut penser…).
La syrah, chez les gens bien, c'est une chasse gardée, on la cultive uniquement entre Vienne et Valence; ailleurs, c'est caca, c'est encore plus vulgaire que les starlettes passagères de la télé. On dit même qu'en dessous du 45e parallèle, elle devient maléfique et peut porter malheur!
Pourtant, quitte à faire un peu démodé, à passer pour un rastaquouère, moi (outre certaines immigrées américaines, suisses ou australiennes), la bonne syrah languedocienne, celle qui, au contraire des radasses, ne s'est pas cramé la peau sur la plage (ou plutôt dans la plaine), je l'aime ouvertement, sans honte, voluptueusement. Je vous l'ai déjà dit ici et ici.


Cette syrah, qui accompagnait mon petit déjeuner de l'autre jour, que je fréquente avec joie de temps à autres, il me semble la connaître bibliquement. Sauf erreur, c'est elle qu'on trouve dans la petite syrah de "l'Anglais", La Touge de Château Maris que vinifie mon pote Benjamin Darnault*. À moins que ce ne soit Les Planels. Peu importe, ce que je sais, c'est qu'elle se boit comme de l'eau de source, une eau de source généreuse, un peu à l'image de celle d'un autre Darnaud qui nous accompagnait hier soir, celui de Crozes, Emmanuel, grand vigneron du Rhône septentrional.

Le thé vert réveille et relaxe à la fois. Les bottes aux pieds, ma tasse de porcelaine bleutée à la main, je m'en suis allé taquiner la parcelle**. Protégée du midi par un bourrelet de calcaire, de grès et d'argiles, elle débourrait tranquillement au soleil rasant du matin. Tendre et molle, mon pas s'y enfonçait avec gourmandise, comme dans la chair.


"Horreur!" se seraient écriés les censeurs devant cette beauté imberbe. Pas d'herbe, pas de poil, la terre dans son exquise nudité. Je ne sais pas d'ailleurs ce qu'il me prend de montrer pareilles images. Impossible aujourd'hui d'imaginer un "grand vin" qui ne sorte pas de vignes dont les ceps disparaissent, se noient dans une épaisse toison, gage de "naturalité".
"Poison!" auraient hurlé, choqués, indignés, les agronomes citadins du NéoMondovino à la vue de cette vigne "chimique", souillée par la main "impure" de l'homme. Je vois d'ici la sortie de crucifix pour chasser le démon roundupien


Rassurez-vous, braves gens, continuez de polluer en paix en prêchant la bonne parole. Cette vigne épilée à la californienne, cette parcelle où même avec le nez dessus le souvenir du poil est effacé est juste fraîchement labourée. Elle est vierge depuis le premier janvier, aucun traitement. Son régime annuel consiste en trois-quatre passages de soufre mouillable (idem en poudre), quatre ou cinq de cuivre (deux kilos maximum) et trois à cinq traitements contre le vers de la grappe à base de Bacillus thurengiensis.
Eh oui, même sans toison drue, cette belle et bonne syrah est bio jusqu'au bout des ongles! Depuis 2004. Elle est d'ailleurs également conduite en Biodynamie depuis la même époque. Elle est simplement travaillée suivant la façon choisie par son propriétaire, dans le respect de l'environnement. Sans poils, humainement, mais naturellement



* Je vous avais parlé de lui à propos de son fameux Boulevard Napoléon, réalisé en compagnie des virevoltants restaurateurs du St. John londonien, Trevor Gulliver et Fergus Henderson.
** Évitez-moi "je ne suis parcelle que vous croyez…"


Commentaires

  1. Une frangine poilue comme ça, un rouquine aussi velue, ça coule de source, c'est certainement bon.
    Sérieusement, dame syrah est aussi bonne, quand elle est bien cultivée au bon endroit, qu'un carignan travaillé avec amour.

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