Peut-on rire de tout ?
Le débat a agité une partie du microcosme pinardier, il y a quelques jours. À l'origine, une photo de bouteille postée sur un réseau social, un vin de France vidé dans un évier; mon commentaire, il est vrai, était cinglant: "tellement infect que ça en deviendrait comique! (Surtout quand on voit l'horrible grimace de ceux qui filent cracher ce vinaigre raté à l'évier)". Je ne veux pas revenir sur ce vin, ni sur les palabres qui ont succédé à cette publication, ni sur les justifications du vigneron expliquant que c'était une sorte de cuvée hors-commerce qu'il réservait à "ses amis" (sic!) mais certains m'ont expliqué que je n'avais pas "le droit" de critiquer ainsi un cru.
L'histoire a d'ailleurs rebondi quelques jours plus tard quand mon camarade Michel Smith, dans son blog coopératif Les 5 du Vin, a qualifié d'"imbuvable" un autre rouge roussillonais. Pour beaucoup, Michel comme moi avions outrepassé, j'avais "franchi le Rubicon" m'a-t-on même écrit.
Il y a bien sûr dans ce genre d'affaire un sombre mélange d'omerta, de corporatisme et d'intérêts commerciaux, n'empêche que oui, ce débat mérite d'être posé: un journaliste, un blogueur, un écrivain pinardiers ont-ils le droit de sortir du "sujet-verbe-compliment"? Doivent-ils comme Jours de France, à l'époque de feu Marcel Dassault se cantonner à "l'actualité heureuse" ou peuvent-ils, à l'instar notamment des critiques anglo-saxons, dire le mal qu'ils pensent de telle ou telle bouteille, en fonction de leur critères ou simplement de leur goût?
J'avoue que j'ai là dessus, un position pas complètement tranchée, qu'on pourrait à la limite qualifier d'un peu injuste: en clair, quand c'est vraiment trop gros, que le "scandale" dépasse les bornes, que j'ai vraiment l'impression qu'on se fout de moi, je dis publiquement ce que je pense. Le seul bémol (et c'est en ça que peut résider "l'injustice"), c'est que j'évite presque tout le temps de le faire quand il s'agit de "petits", trouvant plus normal de réserver mes coups aux "gros". Ainsi les grandes marques Vega Sicilia ou Chapoutier dont je m'étais un peu moqué ici et là.
J'ai repensé à ça samedi soir, alors que nous avons enfilé une incroyable brochette de vins de plusieurs pays, tendance classique. Ces vins, comme le veut notre tradition, nous les avons bus à l'aveugle, histoire de ne pas nous faire intoxiquer par le prestige (ou pas) de l'étiquette.
Et donc, si j'applique la "règle" du "sujet-verbe-compliment", si je ne veux pas "franchir le Rubicon", je devrai me contenter de dire que je me suis régalé de la haute-torchabilité du Flow catalan de Fredi Fresquito Torres, que le merenzao de Ponte Da Boga est passé comme une lettre à la poste, que j'ai (comme toujours) adoré le crozes-hermitage d'Emmanuel Darnaud, pas détesté celui de Nicolas Jaboulet, été surpris par la suavité et l'intégration du boisé du bel Alion 2009, été interpelé par le style fin et presque "nature" de Sassicaia 2010, me suis incliné devant la rayassienne grandeur du Viña Real 1981*, devant celle plus bordelaise que nature des Mas La Plana 97 et surtout 99, etc, etc…
Voilà pour la "règle" du "sujet-verbe-compliment", mais si j'avais appliqué ma propre règle non écrite, j'aurais ajouté quelque mots sur le prestigieux bonnet d'âne de la soirée, Château d'Armailhac 2004, un vin une nouvelle fois sale, pas net, au nez un peu moisi et à la bouche fanée (pas bouchonné mais peut-être contaminé par les TCA?). Aurais-je alors été conspué par les gardiens de la morale pinardière? M'aurait-on accusé de "franchir le Rubicon"? Je ne le pense pas, car cogner sur les Rothschild, dans les banlieues branchouilles du Mondovino, ce n'est pas pécher; au contraire, ça pose son homme, ça montre "qu'on en a"…
Mais se poserait alors une autre règle, tout simple, celle de l'honnêteté. Car, sur le podium de l'imbuvabilité, à côté de ce médiocre Château d'Armailhac se trouvait un autre champion. Le problème, c'est que ce jus de chaussette rosé foncé n'a pas, lui, été élaboré par un des grands trusts de la pinarderie mais par un "petit" vigneron. Ce qui ne l'empêche en aucun cas d'être parfaitement repoussant, entre un nez incertain et un bouche décharnée, vinaigrée! Dois-je révéler son nom? Le taire au nom de je ne sais quelle règle, morale stalinienne ou néo-fasciste? Passer sous silence les airs consternés et les grimaces de ceux, professionnels et amateurs de vins (dont des hommes et des femmes qui ont fait plusieurs fois le tour du Mondovino), qui ont pris sur eux-même pour mettre en bouche cette chose infecte?
La bouche, heureusement nous nous la sommes lavée après cette horreur, grâce à ce qu'il faut de gambas rouges de Vilanova i La Geltrú, de pluma de porc ibérique (regardez ci-dessus, vous verrez ce qu'est la cuisson standard de cette belle pièce et sa sœur la presa) ainsi que de bœuf galicien.
Mais, franchement, même en écoutant tous les arguments, je ne sais pas si l'omerta est une bonne chose. Imaginez que vous achetiez une bagnole qui n'a pas de freins et qui refuse démarrer, neuve et déjà bonne pour la casse, vous n'en parleriez pas à vos voisins ou à une association de consommateurs? Pourquoi le vin échapperait-il à ça? Au nom de quoi? Nous ne parlons pas de vaches sacrées mais d'une boisson, pas dépourvue de noblesse, chargé de culture certes, mais d'une boisson, d'un jus de fruit fermenté qu'on boit (sauf les deux derniers cités), qu'on pisse et qu'on paye parfois bien trop cher pour ce que c'est! Dont, anciennement, dans le Code Civil, la vente n'était effective qu'après l'agrément de l'acheteur, verre en main.
Bref, ne faudrait-il pas un peu revenir sur terre? Et avoir le droit de donner son avis de client? Avoir la possibilité d'appeler un chat un chat? Une piquette une piquette? Et même quand c'est aussi énorme pouvoir tout simplement en rire…
* J'ai d'ailleurs eu la chance vendredi de siffler une sublime trilogie (81-70-64) de ce cru, Viña Real dont les vieux millésimes sont pour moi un des sommets de l'Espagne.
Royaliste, va !
RépondreSupprimerQuand c'est bon il faut le dire, quand c'est pas bon, il faut le dire aussi !
RépondreSupprimerC'est ça qui fait avancer vers le meilleur !
Apres si on trouve hautain de préférer les vins de Cune à des tords boyaud de petit vigneron, c'est dommage car les grands font aussi des grandes choses... Juste on peut pas tous se les payer...
Il est important de dire et d'écrire qu'un vin est bon ou mauvais quelle que soit son origine (négoce, cave coopérative, grands châteaux appartenant à des financiers ou petits vignerons).
RépondreSupprimerJe viens de vider à l'évier deux bouteilles d'un vigneron bio du Minervois. Je ne le citerai pas ici car ce n'est pas le lieu...
Henri