Moi, j'aimerais bien goûter le vin de Kepler-62-f…


Quant notre médiocrité, la pesanteur humaine, nous étouffe, rien de mieux que de lever les yeux au ciel. Occultées par les contingences du vulgaire, les querelles byzantines et les guerres picrocholines, ce sont pourtant des découvertes admirables que nous rapportent quasi hebdomadairement les mages scientifiques qui observent l'Espace, des découvertes qui peut-être un jour nous permettront d'écarter nos œillères. La dernière en date, c'est celle de ces deux planètes qui gravitent, à mille-deux-cents années-lumière de nous, dans la constellation de la Lyre, autour d'un soleil baptisé Kepler-62. Personnellement, j'ai une faiblesse pour la seconde d'entre elles, Kepler-62-f, dont la NASA explique qu'elle pourrait avoir un climat de type hawaïen. Une étude de modélisation acceptée par l'Astrophysical Journal estime même qu'on devrait trouver de l'eau, beaucoup d'eau sur cette planète vraisemblablement rocheuse, composée de silicate et de fer.


Dans ces conditions, il n'est pas interdit de penser que Kepler-62-f accueille des formes de vie, et peut-être depuis plus longtemps que la Terre, car son système est plus ancien que le nôtre. On y trouve donc peut-être toutes sortes de végétaux, des herbes, des arbres et pourquoi pas des lianes? L'une d'entre-elles m'intéresse particulièrement: la vigne. Et si poussaient, à la surface de Kepler-62-f, notamment sur ses terroirs d'amphibolites (ce sont des silicates ferromagnésiens), des cépages dont nous n'avons pas la moindre idée? Je sais, il y a ce problème de climat: la viticulture, c'est moins courant que la pratique du surf ou du triathlon, à Hawaï… Mais enfin bon, qu'est-ce qui nous dit que le climat est identique sur toute la planète? Et puis, il y a sûrement des montagnes. Non, franchement, le climat, ce n'est pas gênant, ce qui me dérange plus avec Kepler-62-f, c'est qu'elle n'accomplit sa révolution autour de son soleil qu'en deux-cent-soixante deux jours. Ça, c'est un peu court! J'ai peur que cela induise des cycles végétatifs trop courts, un mûrissement trop rapide des baies ou pire, une sous-maturité flagrante. Et pour faire du bon vin, sans bons raisins…


Ah, "faire", justement, "faire" au sens d'élaborer: là, on attaque les choses sérieuses! Parce que le vin, tout le monde le sait, c'est tout sauf naturel. Et pour mettre en œuvre ce processus artificiel, il faut évidemment autre chose que de la vie végétale, il nous faut une forme d'intelligence, humaine, éventuellement. Sinon, macache bono! Bon, je ne demande pas non plus l'œnologue trop pointilleux qui oublie parfois de laisser la bride sur le cou à ses raisins, mais il nous faut une forme d'intelligence évoluée, expérimentée, pas des bricolos, quoi! Parce que c'est vrai qu'on ne les connait pas, les habitants de Kepler-62-f, alors leurs vins, encore moins. Je me demande d'ailleurs s'ils ont mis au point un système d'AOC comme le nôtre, en France, où s'ils préfèrent les vins de cépages, à l'anglo-saxonne? Si les feuilles de vignes sont vertes ou bleues (à cause de la lumière rougeoyante de leur soleil). Et s'ils s'engueulent aussi pour savoir s'il faut y mettre du soufre ou pas? Au fait, j'espère qu'il y a du soufre sur cette planète. Parce que pas de soufre, pas de vie. Mais, si il y en forcément, puisqu'il y a des vignerons, donc de la vie. Ouf!


Tout ça pour dire que la bouteille qui me tente le plus, c'est celle que je n'ai pas encore goûtée. Qu'elle vienne de Kepler-62-f ou de n'importe quel autre planète déjà découverte ou à découvrir. Et même, tout bêtement de notre bonne vieille Terre. Cette planète bleue qu'on ferait bien, par parenthèse d'aimer et de respecter un peu plus, car jusqu'à plus ample informé, il n'y a que là, dans l'Espace, où l'on sache faire du vin.
Tout ça pour dire aussi que je ne connais pas de meilleur remède à la bêtise et au conformisme que la curiosité, l'envie d'aller voir ailleurs. Et, pour ce qui est du vin, d'explorer de nouveaux continents*, de faire de nouvelles rencontres, de sortir de son cocon. De fuir comme la peste le confort intellectuel et la mode. De s'aérer le palais, et les neurones. Pour éviter de ressembler à ces groupies qui suivent leur idole, leur Claude François ou leur Justin Bieber, de ville en ville, se ramollissant la cervelle dans de stériles conversations de fan-clubs, où tout le monde est à peu près d'accord sur tout. Bref, il suffit juste parfois de lever les yeux, de regarder les étoiles et de rêver aux superbes vins de Kepler-62-f.




* Attention, il ne s'agit pas non plus de papillonner comme une midinette, de rebondir d'amourettes en tocades. Le vin, ce ne sont pas des jeans ou des colifichets fabriqués en Chine, ça demande un peu plus de suite dans les idées, de fidélité aux principes.



Commentaires

  1. En parlant de "bricolo", peut-être y-a-t-il dans ce secteur ferrugineux un petit vin du tonnerre de Zeus style picolo d'Argenteuil ?

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