Le cochon. Pour échapper au cabotinage culinaire.
Faire la cuisine, c'est bien joli. Mais, c'est un peu comme le vin, si on n'a pas de bons raisins, on en est quitte pour la bricole. À l'époque des Forums gastronomics, des démonstrations techniques avec micro à la
Madonna, des MasterSuperChefs, on a un peu tendance à négliger, voire à zapper, ce rôle fondamental en cuisine qu'est le garde-manger. Attention, quand j'écris garde-manger, je ne pense pas au meuble destiné à conserver les aliments, encore moins à un frigo trop (et mal) plein; c'est de l'officier de bouche dont il s'agit, de celui qui, au sens ancien du mot, s'en allait quérir la précieuse matière première des repas à venir.
Ne tombons dans le c'était-mieux-avant, cette quête n'a jamais été de tout repos, sans cesse compliquée par des pénuries et tricheries de tous ordres. Ce qui la rend ardue aujourd'hui, en ces temps d'exorbitante abondance quantitative, de crise (presque) sans famine, c'est la standardisation née de l'après-guerre. Tandis que nous gagnions la sécurité d'approvisionnement, la diversité, la richesse de nos sources d'approvisionnement souffrait sous les coups de boutoir conjugués de l'agriculture productiviste, de l'industrie chimico-alimentaire et de la grande distribution. Du coup, aujourd'hui encore, le premier travail du cuisinier consciencieux, professionnel ou passionné, c'est de se lancer dans cette quête sans laquelle il ne saurait y avoir de gastronomie. Et, ce noble travail, noble bien qu'apparemment ingrat, c'est à l'abri des regards, des projecteurs et des
caméras, loin de l'office qu'il se fait. C'est en courant inlassablement les fermes, les ports et les marchés de campagne (comme le rappelait Alain Chapel). Du résultat de cette quête, bien plus que des gadgets et des gimmicks, naîtront des plats différents de ceux du voisin, échappant à la standardisation de l'époque, "signés".
Tout cela pour en arriver à ce saucisson dont le parfum colle finement à mes doigts. Oui, cher(es) foodistas, juste un saucisson! La première fois que je l'ai goûté, c'était en plein été, lors d'un bref déjeuner, au bord de l'autoroute A62, sur mon aire de repos préférée. À l'apéritif, quelques rondelles anodines dans une soucoupe. Anodines, pas vraiment, parce ce que c'est ce parfum qui a attiré mon attention. Celui du saucisson "comme avant", cette odeur de vieille cave mélangée à des notes de chair mûre et de poivre, qui évoque finement la cheminée, qui champignonne légèrement mais pas ammoniaquée pour un sou.
Je le goûte, presque négligemment: c'est beau, c'est sec, c'est long! Visiblement, on n'est pas là dans le séchage vite-fait-mal-fait, dans ces saucissons aux peaux blanchâtres qui sentent l'usine. Celui-là, embossé dans du boyau naturel, on l'a affiné sept à huit semaines. On m'apporte la bête entière, c'est une sculpture, un fossile, un minéral, peut-être. Je ne mangerais que ça avec du bon pain, à la croûte épaisse, à l'acidité marquée, et, éventuellement un peu de beurre cru, rêvant de le confronter à des radis de printemps.
Si ce produit est arrivé sur ma table, à Auvillar, sous les platanes de ce beau village de Tarn-et-Garonne, ce n'est pas parce que son nom, sa marque, la photo de son créateur figurait dans tel ou tel magazine qu'il faut lire. Ou parce qu'il intègre la liste autorisée des quinze ou vingt "incontournables" que les bigots du Mondogastro se récitent avec des clins d'œil complices et des sourires entendus. Ou parce que l'attachée de Presse est charmante. S'il est arrivé sur ma table de L'Horloge, à Auvillar, c'est parce que le chef, Serge François*, a fait avec ce saucisson comme il fait avec le reste de son approvisionnement: il est allé le chercher. Il en goûté un paquet, des bons des moins bons, des chers des moins chers, chez des fermiers sympas, et d'autres moins. Et il a trouvé celui-ci, à cinquante kilomètres de chez lui, sur la route d'Auch. À la ferme de La Payroulère, commune de Montestruc-sur-Gers, pas très loin de Fleurance.
Dans les bois de chênes, en quasi-liberté, "on a quand même clôturé parce que la Nationale 21 n'est pas si loin" s'excuse presque Arlette Grangeon, vivent des cochons heureux. Ils n'ont pas attendu Ducasse et le Collège culinaire de France pour manger du "fait-maison": à part les lentilles et les pois chiches, leur nourriture, composée d'orge, de triticale, de pois fourragers et de féveroles est cultivée sur le domaine. "On n'utilise pas de maïs, ni de soja, ça fait faire du mauvais gras, qui vient trop vite, et ça donne du cholestérol" explique Michel, le mari d'Arlette.
Les bêtes, on s'attendrait à ce qu'il s'agisse de Noirs gascons, de Basques, de culs noirs limousins ou de Beauvais, pas du tout! "Pour ce qui me concerne, je ne crois pas à la suprématie de race pure, poursuit Michel Grangeon. Je préfère croiser pour obtenir le produit fini qui me convient. Ici, du Piétrain, un porc blanc d'origine belge, de Landras, pour les qualités maternelles, de Large-White et de Duroc. "Si je faisais du Noir, je serais obligé de le sacrifier beaucoup plus tôt, vers dix mois comme la plupart de mes collègues, car après il engraisse trop." Car les cochons de La Payroulère, qui naissent à la propriété et sont vermifugés, soignés par les plantes, sont élevés en moyenne quatorze mois ce qui les amène à un poids d'environ cent-quatre-vingts kilos. Le temps, comme souvent, voila le secret.
Et le résultat, c'est ce saucisson qui vous met les larmes aux yeux. Mais pas que le saucisson! J'ai reçu, via l'Hôtel de l'Horloge, un colis de La Payroulère avec dedans d'autres trésors de la ferme gersoise. Du pâté de couennes, un murson qui permet de s'agacer à l'apéro, pas de la gnognotte. Une coppa d'anthologie séchée trois mois, qui m'a presque fait oublier celle que j'étais allé chercher en Corse, il y a une douzaine d'années chez François Albertini, tout en haut de la route, à Loretu-di-Casinca, après avoir croisé huit vaches et cinq cochons. Et, une splendeur, la ventrèche. L'odeur, le goût, le design même! Là, c'est de la coche de trois ans, affinée de six à huit mois. Ne vous avisez pas de vouloir en couper la couenne avec un couteau de contrebande, c'est de l'acier! Cette couenne, en revanche, vous la conserverez pour les haricots ou la soupe. Ça vous remplacera utilement les magiques "essences de la nature" du catalogue Sosa… Moi, elle a métamorphosé le loup de la Costa Daurada un peu tristounet que je préparais dimanche dernier.
Les bêtes, on s'attendrait à ce qu'il s'agisse de Noirs gascons, de Basques, de culs noirs limousins ou de Beauvais, pas du tout! "Pour ce qui me concerne, je ne crois pas à la suprématie de race pure, poursuit Michel Grangeon. Je préfère croiser pour obtenir le produit fini qui me convient. Ici, du Piétrain, un porc blanc d'origine belge, de Landras, pour les qualités maternelles, de Large-White et de Duroc. "Si je faisais du Noir, je serais obligé de le sacrifier beaucoup plus tôt, vers dix mois comme la plupart de mes collègues, car après il engraisse trop." Car les cochons de La Payroulère, qui naissent à la propriété et sont vermifugés, soignés par les plantes, sont élevés en moyenne quatorze mois ce qui les amène à un poids d'environ cent-quatre-vingts kilos. Le temps, comme souvent, voila le secret.
Et le résultat, c'est ce saucisson qui vous met les larmes aux yeux. Mais pas que le saucisson! J'ai reçu, via l'Hôtel de l'Horloge, un colis de La Payroulère avec dedans d'autres trésors de la ferme gersoise. Du pâté de couennes, un murson qui permet de s'agacer à l'apéro, pas de la gnognotte. Une coppa d'anthologie séchée trois mois, qui m'a presque fait oublier celle que j'étais allé chercher en Corse, il y a une douzaine d'années chez François Albertini, tout en haut de la route, à Loretu-di-Casinca, après avoir croisé huit vaches et cinq cochons. Et, une splendeur, la ventrèche. L'odeur, le goût, le design même! Là, c'est de la coche de trois ans, affinée de six à huit mois. Ne vous avisez pas de vouloir en couper la couenne avec un couteau de contrebande, c'est de l'acier! Cette couenne, en revanche, vous la conserverez pour les haricots ou la soupe. Ça vous remplacera utilement les magiques "essences de la nature" du catalogue Sosa… Moi, elle a métamorphosé le loup de la Costa Daurada un peu tristounet que je préparais dimanche dernier.
"J'en veux! Combien ça coûte?" Autant devancer les questions… Les salaisons de La Payroulère ne sont vendues qu'en direct ou sur les marchés de Valence d'Agen, Villeneuve-sur-Lot, Lectoure et Agen (marché bio). Ou à consommer sur place, à l'Hôtel de l'Horloge, à Auvillar. Les tarifs sont plus que raisonnables pour de tels produits: la ventrèche coûte 6,80€ le kilo (une misère!), le saucisson, 30,90€ le kilo, ce qui compte-tenu du séchage ramène la pièce à cinq ou six euros. "Ce n'est pas parce qu'on fait du bio qu'on doit faire n'importe quoi, dit Michel Grangeon. Nos prix sont calculés en fonctions de nos coûts de revient, tout simplement."
Tant qu'à nager dans le bonheur, j'en profite pour vous offrir un autre cadeau. Une grande bouteille vendue elle aussi à prix d'ami, et qui accompagnera divinement le saucisson et surtout la coppa de Montestruc-du-Gers. Ça n'a rien d'un accord local, gascon (sauf si on pense à la feria de Vic…), ça nous vient d'Andalousie, mais pas de Jerez ou de Sanlúcar de Barrameda, de Montilla-Moriles. Ce n'est pas non plus une bouteille de la maison Equipo Navazos dont je vous ai parlé maintes fois (trop, m'a-t-on fait remarquer!); c'est un fino de chez Pérez-Barquero, le Gran Barquero. Un blanc sec, inconnu des fashionistas, issu non pas de palomino mais de pedro-ximénez non muté. C'est ample, ça coûte huit-neuf euros et sur le cochon, ça torée largo!
Alors, pour en revenir à nos cochons (mais on pourrait parler de tant d'autres denrées), des petits
producteurs de qualité, il y en a encore évidemment des centaines en France. Et il devrait y en avoir plus si les chefs les mettaient en avant plutôt que de sombrer dans le cabotinage culinaire, dans le maniérisme égotique. S'ils prenaient, surtout, la peine de faire leur travail de garde-manger, de sortir du confort intellectuel de la pensée citadine, en allant débusquer ces trésors que l'on ramène des marchés de provinces, mal fagotés mais tellement plus sincères que la cuisine-spectacle.
* Oui, je sais, c'est vulgaire, ringard, provincial, mais j'ai un faible pour les cuisiniers qui fréquentent davantage les paysans que les marchands de fringues et les coiffeurs (cf. cet étonnant article de mode publié la semaine dernière par Libération). Je devrais avoir honte, mais je n'y parviens pas. Désolé.
* Oui, je sais, c'est vulgaire, ringard, provincial, mais j'ai un faible pour les cuisiniers qui fréquentent davantage les paysans que les marchands de fringues et les coiffeurs (cf. cet étonnant article de mode publié la semaine dernière par Libération). Je devrais avoir honte, mais je n'y parviens pas. Désolé.
J'avais découvert le porc gascon dans les années 90 en me
RépondreSupprimerrendant à fajac en val chez la famille Aveline
suite à un de vos articles. Cette ferme n existe plus mais grâce à vous j'ai
encore l'occasion de tester une nouvelle et alléchante adresse.
Encore merci.
Eric31
Merci Éric, oui, c'était pas mal, Aveline, inattendu en Corbières!
SupprimerMagnifique, tellement vrai...
RépondreSupprimerCe n'est pas à toi que je vais l'expliquer (même si maintenant tu traînes à Paris…).
SupprimerBeaucoup aimé le fino de Gran Barquero le mois dernier, PX en effet sur Montille-Moriles. Non fortifié, contrairement à ce qui se passe à Jerez sur le palomino fino.
RépondreSupprimerL'amontillado et l'Oloroso sont également très bons.
Pas eu la chance de goûter les cuvées 1905, illustres (et chères) !
Oui, c'est une belle maison, très en dehors des circuits journalistiques.
SupprimerDis donc, là tu déconnes : non seulement tu nous sors le saucisson rare des familles, mais en plus du lait cru et du pain à la croûte épaisse, voilà que tu sers un vulgaire fino, même pas de Jerez ! Du coup, je file acheter quelques fines tranches de lardo di Colona. Par ta faute !
RépondreSupprimerAh, comme l'explique Laurent, ci-dessus, c'est du beau boulot, du pur, ce qu'on fait chez Perez-Barquero à Montila-Moriles. À faire manger le chapeau de certains señoritos!
SupprimerPas le tien, d'ailleurs de chapeau, hein? Au fait, j'ai une adresse de chapelier pour toi, à Paris, j'ai même envie d'en faire un billet. Et j'ai aussi un cépage méprisé, intéressant, dont je parlerai demain.
SupprimerL'amontillado viejisimo de Toro Albala, c'est pas mal non plus.
RépondreSupprimerOn les vins d'Equipo Navazos, que tu as présentés sur Paris il y a peu (un petit bonjour à Dirk et Jesus s'ils lisent ces pages).
:-)
Bonsoir Vincent,,
RépondreSupprimerNe sachant pas comment vous écrire et n’étant pas un spécialiste du blog, je tente une percée dans ce "fil". Je me retrouve un peu plus tous les jours, tous les ans, dans vos textes soit sur ce blog, soit il y a des années dans l'Esprit ou dans vos livres.. De l'andouillette à Barcelone, de La Franqui à Saturne nos routes se croisent en décalées mais avec beaucoup de similitudes ; j'aimerai vous amener chez un vigneron d'altitude ( comme il se nomme ) que j'adore, perdu dans les hautes Corbières près de Cucugnan, que vous connaissez peut être, pour vous montrer quelque chose que je ne saurai mieux décrire que vous, si ce n'est "mon" bonheur.
Voilà, je clique sur "publier" et on verra si ça marche.
Un abrazo
Benjamin Cartery
Hola Benjamin!
Supprimereh oui, ça marche!
Ce vigneron d'altitude, c'est Bruno Schenck ou Guillaume Boussens?
3 eme tentative de reponse.
SupprimerOui c'est bien Guillaume Boussens, je savais que vous connaissiez certainement son nom et peut être ses vins, mais lui rendre visite à Dernacueillette est une aventure en soi. Si ça vous tente je suis votre homme.
Un souvenir me revient ; 7 novembre 2012 jour de mon anniversaire, une tablée de 8 copains , rue de Malte, chez Cartet , un grand moment.
Hummmmm..... Vincent!
RépondreSupprimerWonder!
Bon ben, cet article m'a convaincu à 100%. J'adore.Juste un commentaire, je reprends une de vos phrases: "Et il devrait y en avoir plus si les chefs les mettaient en avant plutôt que de sombrer dans le cabotinage culinaire". Laissons les chefs là où ils sont... je veux avoir ces produits chez moi, pas chez eux! ainsi, comme je ne sais pas bien cuisiner, je suis au moins sûre de toujours bien manger!
RépondreSupprimerJe suis bien d'accord, Cristiana, mais un des rôles éminents des restaurateurs, c'est de mettre en avant les produits de leur terroir, d'établir des synergies avec les agriculteurs et les artisans. On est souvent loin du compte…
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerje déguste régulièrement les produit d'Arlette et Michèles Grangeon, de la Payroulère.
Ils sont en effet excellents.
Le porc frais aussi, ... à condition de le cuire très lentement, ... en particulier, au barbecue, il ne faut pas le saisir, pour qu'il garde tout son mouelleux. Il faut le cuire tout doucement, ...
Mais "excellents"... que dis-je ?... c'est plutot de l'exceptionnel, au sens propre du terme : on ne trouve cette manière de faire les choses, et cette qualité dans le résultat, que là...
Aussi bien pour l'élevage que dans la manière de faire ces charcuteries, cotes, murson, etc...
Cet article mets bien cela en valeur.
Merci !
bonsoir, nous sommes restaurateur passionnés de bons produits, peut on commander ce saucisson et les produits de la ferme par telephone? merci de votre réponse,
RépondreSupprimermerci
claire drouot ansoldi
Le plus simple à mon sens serait de demander au producteur.
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