Le luxe à tout prix.


Finir en bière, y'a pas à dire, ça fait peuple. Tout cela est d'un épouvantable égalitarisme. Vulgaire! Tant qu'à être le plus riche du cimetière, autant que ça se voie. Pour une poignée (au sens littéral du terme) de privilégiés, on ne dira donc plus "mise en bière", mais "mise au champagne", grâce à Dom Pérignon. Pour les fêtes de fin d'année, la marque des rayons du haut de Moët & Chandon lance une série de cinq cercueils design que ne manqueront pas de s'arracher ceux pour lesquels le pinard est d'abord une histoire de fric.


Bon, vous l'avez compris, je l'espère, il s'agit de cinq caisses qui normalement ne sentent pas le sapin, et qui contiennent une rafale de fioles de Dom Pé'*, cette bulle qui me rappelle toujours les fins de troisièmes mi-temps bourrées avec tel ou tel pote pote président, en boîte, juste avant la bagarre avec les gitans. Avant d'en regoûter, plus tard, j'avais d'ailleurs toujours cru que naturellement ce vin para-industriel, produit par millions de cols**, avait un nez envahissant de parfum de pute, comme quoi les circonstances…


Histoire de faire s'envoler les tarifs, les cinq cercueils, pardon, les cinq caisses ont été mises aux enchères par la filiale de LVMH en association avec la maison en ligne Auctionata, à destination d'une riche clientèle internationale. Une seule a été vendue le week-end dernier, bien au-dessus de sa mise à prix de trente-six-mille euros, très exactement à cinquante-six-mille-deux-cents-cinquante euros, sans les frais. Dépêchez-vous, il en reste encore quatre à saisir avant Noël, à ce prix-là (bis), c'est pas du vin, c'est une affaire!


Tant qu'à être dans le noir cher, comment ne pas parler de caviar? À des années-lumière cependant de la bulle bling-bling évoquée plus haut même si pour débuter la célébration d'une soirée de prestige, un des invités, le plus fou des Lyonnais (les spécialistes le reconnaîtront ci-dessous) est arrivé avec une livre d'un délicieux caviar du Périgord, La Perle Noire, produit près des Eyzies, dans une réserve Natura 2000, ce qui n'est pas rien quand on connaît l'influence de l'environnement sur l'esturgeon.
Le caviar, nous avons eu l'occasion de le constater encore une fois, un met qui déchaîne les passions franchouillardes, symbole qu'il est resté de la nourriture des capitalistes et des fachos de Droite. Même si les camarades de la nomenklatura ont bien aider à le populariser en France du temps de l'Union Soviétique et des grandes amours communistes, et si son nom désormais se marie plus volontiers à la Gauche qu'à la Droite…


À propos de mariages, nous en avons fait un d'argent*** puisque c'est très classiquement, luxueusement, avec des champagnes que nous avons bus**** avec ces œufs d'esturgeon qui, passés par une saumure légère, avaient le délicieux avantage d'être peu salés, très équilibrés. Pas du Dom Pé' (il n'y avait que des femmes honnêtes avec nous…), mais nous avons quand même essayé une bouteille de grande marque qui, comme il se doit, s'est faite exploser par une de ces bulles de vignerons qui ont désormais la préférence des amateurs, en l'occurrence un blanc de blancs de Francis Boulard & fille, issu de raisins de 2011, 2010 et 2009: prêt à boire, il a été parfait. Il est vrai que Boulard, ça rime avec caviar…


Soirée de prestige, disais-je, parce qu'effectivement, après ce petit apéritif "iodé"***** comme disent les loufiats étoilés, venait le plat de résistance. Un plat d'un luxe qui transforme immédiatement les cercueils de Dom Pé' sinon en citrouille au moins en caisse de Kronenbourg. Comme je vous l'avais raconté ici, nous sommes allés écouter, en petit comité, en buvant un coup de rouge, Barbara Hendricks chanter le blues et le gospel. 


Je voudrais vous le raconter, mais franchement (peut-être parce qu'en matière de luxe, je n'ai pas le niveau), je ne trouve pas les mots. La diva (escortée de deux musiciens de haut vol******) nous a tous fait pleurer******* jusqu'à cette improvisation sur l'article premier de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme dont on s'apprêtait à fêter le soixante-huitième anniversaire. Merci, Madame. Et merci à tous ceux qui ont rendu ce moment de grâce possible, je pense notamment au fantasque Joan Anton Cararach (ci-dessous), le directeur artistique du festival de jazz de Barcelone. 


Loin du Dom Pé', dopés par le caviar, nous avons vu, et entendu un ange. Un privilège. Seule la munificence de la Nature, au lendemain matin d'une courte nuit, a pu me faire redescendre sur Terre: les toutes premières févettes de la saison, de l'année à venir. Une autre vision du luxe. 



* Vingt-trois bouteilles au total, de 2006 à 1969, dont on nous précise bien qu'il s'agit de vin vendangés à la main, ce qui est d'ailleurs obligatoire pour tous les champagnes, y compris ceux du rayon du bas.
** On se moque, on se moque, mais pas la peine d'en dégoûter les autres. N'oublions pas qu'il s'agit-là d'un monument du Commerce extérieur de la France qui rapporte au pays bien plus de devises que tant d'activités plus nobles aux yeux de ses dirigeants. Le chiffre est soigneusement tenu secret par LVMH, mais on estime de six à huit millions le nombre de bouteilles produites par an, dont beaucoup sont vendues à l'étranger, notamment chez les nouveaux riches.
*** Car, oui, franchement, au prix que vaut désormais le champagne, dont les tarifs augmentent deux fois par an, c'est bientôt le caviar qui va nous sembler bon marché! Par parenthèse, quand on voit la floraison dans la Presse d'articles, de dossiers et autres trucs de fin d'année sur le sujet, je suis étonné qu'aucun journaliste ne ce soit ému de cette inflation. Ah, pardon, j'ai dit une bêtise, c'est pas du journalisme?…
**** Je ne dis pas qu'on n'a pas essayé un ou deux trucs, de la manzanilla, un vieux blanc du Roussillon et même, pour certains zouaves, de la chartreuse de Tarragone (avec un poil de zeste de citron de jardin sur le caviar), mais franchement, rien ne valait la bulle. En revanche, il faut vraiment qu'on essaye à l'occasion d'autres accord à mon avis tout aussi satisfaisant avec des belles blanquettes, et de beaux crémants.
***** Une fois pour toute, l'iode n'a pas pas d'odeur, ni de goût. Les saveurs, les parfums "iodés", ça n'existe pas, arrêtons de répéter bêtement ces balivernes.
****** Mathias Algoston au piano, Ulf Enflund à la guitare.
******* Y compris backstage avec ce toast plein d'humanité, de simplicité, en cuisine, autour d'un porto d'une infinie jeunesse, presque aussi jeune qu'elle, en provenance, comme le caviar du vieux-Lyon.




Commentaires

  1. Zut, encore un 48 (mon année de naissance) bu sans moi !
    Pour le reste, je confirme : nos articles prétendument journalistiques dans les "spéciaux" de fin d'année ne furent que des incitations à acheter de la pub. À mon avis, si déontologie il y avait, tout aurait dû être classé dans le registre "publi reportage". Surtout en Bordelais et Champagne, là où il y avait du fric à prendre. Mais chut ! J'ai moi-même participé de bon coeur à cette mercantile mascarade rien que pour pouvoir mettre mon nez au-dessus d'un champagne ruineux (qui n'était pas Ruinart) ou pour la découverte d'un joli vin de l'Aube. Quelle douce revanche lorsque je pouvais saisir une bonne bouteille au vol !
    Ah le monde merveilleux du Champagne...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés