Vous l'aimez ma 'Villageoise' 1947 ?


C'est une longue dépêche de l'Agence France-Presse qui nous annonce la grande nouvelle: le "grand public" va enfin pouvoir se régaler de viande maturée, enfin rassise comme on dit en français correct. Pourquoi? Parce que l'industriel Bigard et son concurrent auvergnat Puigrenier* ont décidé de se lancer dans la partie et d'en fournir les linéaires des grandes surfaces. Destinée également aux restaurateurs, cette merveille a même un nom qui lui colle comme un gant, La Réserve du Boucher qui n'est pas sans rappeler la tristement célèbre "réserve du patron" pinardière qui a défoncé les boyaux de tant de clients de gargotes et d'estaminets, celle qui permettait de passer les vins d'origine incontrôlable.
Et c'est bien là qu'est le problème, l'origine. On va vous balancer un bout de viande au parcours opaque mais qui aura traîné au frigo un ou deux mois dans une caissette en bois au lieu d'une barquette en plastoc, y coller une étiquette noire et dorée, mais à quel moment va-t-on vraiment nous dire d'où il provient? Vous croyez vraiment que c'est le temps qui va transformer un tocard en cheval de course? Oui, désolé, l'allusion au cheval dans l'industrie de la viande, c'est d'un goût douteux…


Pourtant, tout le monde y croit. Ou fait mine d'y croire. Et pas depuis que l'AFP a publié cette dépêche publi-informative pour saluer le SIAL, ce salon où l'on découvre ce que l'on va vomir demain. Le coup de la viande maturée au pousse-caddie, de la viande maturée "grand public", ça n'a rien de nouveau. 
J'en veux pour preuve ce catalogue Makro (la version espagnole de Métro, un poil moins florissante, mais quand même…) tombé dans mon escarcelle il y a quelques jours. Les bouchers industriels ibériques qui sont à la viande ce que le fameux Bernard Sainz, alias "docteur Mabuse" est au cyclisme** y sont à l'honneur, et ce n'est que justice quand on connaît leurs talents magiques. Ce n'est pas pour rien que Contador avait expliqué que les produits prohibés trouvés dans ses analyses provenaient de l'ingestion d'un chuletón de buey rapporté d'outre-Pyrénées…


Chez Makro, donc, depuis belle lurette, on vous propose toutes ces pièces exotiques qui font depuis quelques années les délices de cuistots étoilés et de bouchers du même tonneau, en France notamment. L'Angus, et la célèbre Blonde de Galice, version locale de la Blonde d'Aquitaine créée en France il y a cinquante ans dans un souci de productivité. Profitons-en (parce qu'on m'en a fait la remarque récemment) pour définitivement lever toute ambiguïté sur l'appellation trompeuse de ce bétail qui non seulement n'a généralement jamais vu le (sublime) sol galicien*** mais en plus se fait des teintures. La Rubia gallega est devenu en France, comme ci-dessous sur le site d'un boucher-star parisien****, la "Rouge de Galice" (ou la "Rousse de Galice") uniquement à cause d'une erreur de traduction. Répétons-le, rubia dans la langue de Cervantes signifie blonde, loira ou loura en gallego. 


Cette mise au point digressive, linguistique, étant faite, notons que Makro/Métro n'a pas attendu Charal et ses concurrents pour caresser le foodiste dans le sens du poil. Ses "Rouges de Galice" et autres Angus d'origine incontrôlable sont bien évidemment offert maturés au cuistot métronomique. Jusqu'à trente jours indique fièrement le catalogue, participant ainsi au concours celui qui aura la plus longue (maturation…)*****. Pour vous dire, en Espagne, même la très prolétaire chaîne de supermarchés Mercadona propose dans son libre-service d'élégantes barquettes noires d'entrecôtes et de filets millésimés. J'en ai goûté une fois d'ailleurs, ce n'est ni bon, ni mauvais, ça a un peu le goût de vieux, moins celui de belle viande que je décrivais ici par exemple, à Parthenay.


Eh oui, Parthenay, terroir à viande! Voilà bien ce qu'oublient (volontairement) nos génies du marketing carnassier, le terroir! Comme je le disais au début, le temps ne fait pas tout à l'affaire, évidemment. 
Parlons d'origine (j'ai bien écrit d'origine, pas de race), au lieu de nous raconter des fables en nous racontant que des semaines de frigo vont transformer de la merde en or, dites-nous précisément d'où vient ce bifteck que vous voulez nous vendre. De quel village? Élevé comment? Par qui? Comment s'appelle-t-il d'ailleurs, ce paysan? Et la bête, son petit nom?
Vous voyez, le bœuf, on veut ses papiers, exactement comme sur les bons de livraison des vrais bouchers****** que vous voyez ci-dessous, qui ne font pas rassir la viande des années mais nous la vendent bonne. Notre bœuf, on veut qu'il soit né quelque part, et éventuellement qu'il soit vendu par quelqu'un!


Car, c'est bien de traçabilité qu'il est question. Au lieu de pleurnicher sur ses clients qui s'en vont, il est grand temps que cette filière fasse le minimum minimorum en la matière. Et tant qu'à faire (si si, ça sera tendance…) s'intéresse un peu au bio.
Parce que c'est bien joli de singer le vin, de nous jouer le coup des vieux flacons, des caisses en bois et des "caves à viande", mais franchement, faites le test, acheter une Villageoise ou le picrate sans origine que vous voulez. Et faites le vieillir, dix ans, vingt ans, cinquante ans…, vous n'en ferez pas un grand cru, juste du vinaigre. 





* Hervé Puigrenier, président des abattoirs éponymes, qui justement a reçu pour sa Cave à Viande le prix de l'innovation du SIAL, le Salon International de l'Alimentation, grande vitrine sur l'industrie de la malbouffe qui se tient jusqu'à demain à Paris.
** Lire, entre autres cet article de L'Équipe.
*** La norme en Espagne est d'élever dans des usines-à-viande, genre ferme de mille-vaches. Souvent en Castille, du côté de Burgos, mais aussi en Catalogne.
**** J'en parlais de cette hilarante "rouge de Galice"…
***** Record détenu, on le sait, par une boucherie parisienne, avec également un record de prix, trois mille euros le kilo.
****** C'est bien de critiquer, mais il faut aussi proposer. Alors, puisqu'on en parle, je vous rappelle l'adresse d'un vrai grand boucher, qui expédie d'ailleurs, la Maison Aimé & Filles à Dax. Spécialité, Bœuf de Chalosse.




Commentaires

  1. Très intéressant.

    Je n'ai pas vu beaucoup de journalistes / blogueurs en parler alors qu'il y a un vrai sujet et des pratiques abusives en pleine explosion. Faut voir le nombre hallucinant de cellules réfrigérées de maturation vendus par les fabricants aux supermarchés... Même le plus miteux supermarché de l'Aude a ou va prochainement avoir son armoire de maturation de viandes. Pourquoi faire ? D'abord pour des raisons marketing avec l'idée que cette cave renverra une image de qualité à l'ensemble de l'offre (merdique) de viandes du magasin. Ensuite pour vendre plus chère de la viande de piètre qualité. Et enfin, pour satisfaire les goûts de luxe et le cynisme du patron embourgeoisé du magasin trop heureux d'aller taper dans son armoire les morceaux de Wagyu à 150€/kg que ses clients ne peuvent pas se payer.

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  2. En attendant, Alice de la Ferme d'Alice nous envoie une belle photo. de la première portée de cochons noirs qu'elle élève. Après son agneau bio, son porc bio. Vivement la première fournée au printemps. J'en salive à l'avance.

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