Monsieur Moins.


Le marketing est sûrement un des meilleurs thermomètres de la santé d'une nation, ou d'une civilisation. Même s'il arrive à ses grands prêtres de se gourer magistralement, on y perçoit les troubles, les angoisses, les dérèglements. À la fois bulletin de santé et signe du moral (ou de l'absence de moral) des troupes, il diagnostique en creux les maux qui rongent nos sociétés abreuvées de stéréotypes marchands, lequels, évidemment, font davantage (euphémisme…) appel au panurgisme le plus absolu qu'au libre-arbitre, ennemi juré du vendeur de soupe.
Ainsi nos vieux pays (encore) riches d'un Occident fatigué que les experts de la poudre-à-laver et du remplissage de frigo nous décrivent, sans le vouloir, comme revenus de tout, repus, blasés. Tenez, puisqu'on parle de poudre-à-laver, l'idée, il y a vingt ou trente ans, c'était justement de laver plus blanc que blanc. L'idée du "plus" était centrale, les voitures devenaient plus rapides, les vins plus mûrs, les pizzas plus épaisses. Une célèbre marque de biscuits avait même inventé un personnage, Monsieur Plus moustachu qui d'une coup de coude opportun poussait le cuistot de la fabrique à verser davantage de noisettes ou de noix de coco dans sa préparation.


Tout cela d'ailleurs allait bien au-delà des produits de consommation. Sur les traces du cow-boy Marlboro emporté depuis par un cancer des poumons, les hommes, par la grâce de ce qu'ils mettaient dans leur caddie, allaient devenir plus virils, et éventuellement plus machos. Aux femmes, toutes en Cœur-croisé et Wonderbra, on promettait une existence plus féminine, plus futile parfois. C'était il y a des siècles, bien avant les débats sur les individus moins (ou pas du tout) "genrés" et la métrosexualité, bref bien avant que ne s'ouvre de nouveau l'éternel débat sur le sexe des anges.


Car, l'argument-massue de l'époque, c'est le "moins". Voire le "sans". Sans gluten, sans farine, sans sucre, sans œufs, sans fruits à coques, sans lait, sans matières grasses; il convient de caresser les "allergies" présumées (ou simulées) des uns et des autres dans le sens du poil. À défaut de maladie grave, une bonne "allergie", ça vous pose son homme, ou sa femme. Un bon sujet de conversation, de plainte, de commisération*.
Dans le monde du vin, plus que d'y être "allergique", c'est au "soufre" qu'on est intolérant. Au SO2 en tout cas, pour rester précis**. Pas question ici de remettre en question le bien fondé de la chasse aux sulfites (ingrédient dont la filière a parfois abusé). La baisse de leur utilisation a permis de produire des vins plus frétillants, vibrants. En tout cas, quand la technique était maîtrisée. Car évidemment, sauf un militant ou un VRP, qui peut contester que le pourcentage d'échec, de banalité, voire de déplaisir est identique pour les vins "sans soufre" que les vins non naturels, surnaturels, infranaturels, enfin bon, que les vins protégés par du dioxyde de soufre?


Mais revenons-en au marketing, à côté de la masse de vignerons sincères qui a travaillé depuis longtemps, sérieusement, sur cette façon de faire de le vin, se sont glissés depuis pas mal de temps (avec une accélération dernièrement) ce qu'on a bien envie d'appeler des margoulins. Ou en tout cas des surfeurs.
La philosophie du vin naturel, ils s'en tapent comme de leur premier bidon de gomme arabique. Quand ils ne la méprisent pas ouvertement. En revanche, ils rêvent d'en faire un coup commercial, médiatique. Et peu importe si leur vignes sont aussi vivantes qu'Hiroshima après la bombe!
Dans cette catégorie, on trouve aussi bien viticulteurs peu scrupuleux que des négociants à cheveux plus ou moins long***, voire (c'est l'ultime tendance) le kolkhoze dont on sait l'amour pour l'écologie. Quoi de mieux en effet pour une coopé en mal d'image, essoufflée, trop paresseuse pour s'engager dans le bio, rongée par ses complexes industriels que de tenter de greenwasher sa mauvaise réputation?


Mon allergie au Roundup étant plus aigüe que mon intolérance au SO2, je n'ai pas goûté le premier des flacons que j'expose ici, celui venu du kolkhoze corbiérenc. En revanche, le hasard, un malencontreux hasard a fait que mon pauvre verre a croisé le second. Sûrement le pire loin-de-l'œil que j'ai jamais bu! Autant ce superbe cépage autochtone du Gaillacois peut se montrer gracieux, vif, aérien, autant la version révolutionnaire qu'en donne Vinovalie est grossière. Lourdaude. Fatigante.
J'ai plaint l'évier albigeois qui a du finir la bouteille…


Puisqu'on en est à rire des Monsieur Moins qui sévissent dans la pinarderie, comment ne pas immortaliser ici l'étiquette ci-dessus qui a fait un tabac au mois d'août sur les réseaux sociaux. La fantastique boulette vegano-viandarde de la stagiaire packaging du gros groupe coopératif Rhonéa (mariage des vieilles caves de Vacqueyras et de Beaumes-de-Venise), que j'ai eu le malheur de relayer sur Facebook et Twitter a fait hurler de rire les vacanciers, jusqu'à Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA.
On notera au passage que, comme souvent, les internautes ont eu davantage d'humour que les vendeurs de soupe du service marketing. Imprégnés de leur sainte mission, ils ont cru bon m'envoyer une rafale de trolls analphabètes et se fendre, sur les réseau sociaux puis dans la Presse, d'une réponse au premier degré**** aussi indigeste qu'une daube provençale au soja texturé. Au lieu, simplement, de rire comme nous tous, de bon cœur de leur erreur…


Un petit dernier pour la route? C'est vraiment le cas de le dire puisque là, Monsieur Moins s'en est pris à ce qui justement peut faire sauter notre permis de conduire: l'alcool. Et c'est donc un "vin"***** sans alcool, hypocalorique, qu'a découvert Olivier Poels de La Revue du Vin de France qui "ne pense pas, toutes catégories confondues, avoir déjà goûté un truc aussi imbuvable".
Ces "nectars" (sic) qui "répondent à une tendance en plein développement" sont produits par le Groupe Castel nous explique LSA, la gazette des empoisonneurs du pousse-caddie. Hélas, une fois de plus, je ne serai pas tendance, étanche à la mode et à ses dictats de garçon-coiffeur, et je continuerai à me piquer la ruche au merlot AVEC alcool, privilégiant même les beaux millésimes (2015 par exemple) qui sur les grands terroirs en ont donné à revendre. Pas qu'au merlot d'ailleurs.
Santé, Monsieur Moins!




* Ce qui n'empêchera pas d'ailleurs dans le même temps à l'impétrant d'ingurgiter une foule d'additifs chimico-industriels à l'innocuité tout à fait aléatoire.
** Ça me rappelle cette chronique souffreteuse
*** Certains, en revanche, quoique critiqués à l'image de Gérard Bertrand, ont l'honnêteté de s'engager dans cette voie à partir de raisins dûment certifiés bio. Mais ils sont rares, parfois le jeu consiste simplement à laisser piquer une cuve d'origine incontrôlée avant d'affubler le produit finale d'une étiquette de circonstance, anarcho-glougloutante.
**** Je viens d'ailleurs aujourd'hui d'être confronté à la même absence de second degré caractéristique de tous les rois du marketing, alors que j'avais ri d'une pratique commerciale propre à un boucher justement du marché Victor-Hugo à Toulouse (dont j'ai mangé à deux ou trois reprises une viande très correcte d'ailleurs). Soucieux de satisfaire une clientèle un peu "voyante", un peu bling-bling,  "piche" comme on dit dans la Ville rose, adepte comme il se doit de la barbe, des tatouages et des côtes de bœuf longuement maturées, il a consacré une vitrine (ci-dessous), bien en vue, où les pièces de viandes sont exhibées avec dessus, écrit en gros et en gras, les noms des clients dont la réussite sociale est ainsi manifeste. Bref, un truc qui rappelle un peu les bouteilles de Chivas ostentatoirement marquées sur l'étagère du bar dans les boîtes-de-nuit de papa. Pouët-pouët, vroum-vroum!
***** Contrairement aux fameux "laits" de soja (appellation désormais prohibée) avec lesquels certains extrémistes Vegan® martyrisent les nouveaux-nés, cela fait longtemps que l'on n'a pas le droit de nommer ce genre de choses du vin.



Commentaires

  1. J'ai certainement du louper bon nombre d'épisode mais pourquoi ce refus de gouter les vins de Castelmaure dorénavant ?

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    1. Une allergie au Round-Up? Au grand retour en grâce du "c'était mieux avant? À la "re-kolkhoisation" des esprits?
      Simplement que ce que j'ai goûté était imbuvable, que je n'ai pas envie de m'empoisonner et encore moins boire des vins de menteurs.

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    2. Concernant les vins de "menteurs" je suppose que vous devez avoir des informations que je n'ai pas ...

      Après concernant le coté imbuvable en effet ... pourtant ce que je connaissais d'eux il y a quelques années était très bon ...

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  2. Pourtant taper sur le méchant marketing et les "empoisonneurs du pousse-caddie" il n'y a rien de plus à la mode Vincent. Rassurez-vous donc, vous êtes parfaitement tendance et avez bien cerné les attentes de vos lecteurs (même si j'en suis persuadé c'est avec une profonde conviction contrairement aux "viticulteurs" que vous citez).

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