Subjectivité & négationnisme.


Il y a plein de façons d'aimer le vin, il y a aussi beaucoup de façons de ne pas aimer un vin. Trop lourd, trop boisé, trop démonstratif, trop levuré, trop mat, trop court, trop acide, trop oxydé, trop thecno, trop austère, trop amylique, trop dilué, etc. Il y a même des façons instinctives, sur lesquelles on ne peut (ou l'on n'a pas envie de) poser des mots, un peu comme l'animal se détournera d'une flaque pour aller boire dans une autre. Le même vin d'ailleurs, selon son humeur (par pitié, ne nous ressortez pas le coup des jours racine, fruit & Cie*) et selon la nôtre, nous donnera des raisons de l'aimer, ou pas. 
Bref, de subjectivité, cette boisson n'en manque pas, en tout cas dans l'approche que peut en avoir le buveur. C'est bien pour ça que les buveurs d'étiquettes sont une malédiction. Amis des marques et des modes, ennemis du libre-arbitre, ils rétrécissent le champ des possibles. Peu importe à ces fashionistas du pinard, selon l'espace-temps, qu'on leur inflige une pipe-à-Pinocchio, un jus de banane, un vinaigre avarié, si le sigle, le logo, l'emblème du produit concerné correspond au statut social qu'il souhaitent afficher; comme dit un vigneron de mes amis, "on pourrait leur servir de la pisse, le résultat serait le même". Pour eux, comme dans certains défilés, le ridicule ne tue plus.


La subjectivité, pourtant, a ses limites. En tout cas pour des individus dotés d'un odorat et d'un goût normaux. Et ces limites ne sont pas toutes subjectives. Autant certaines sensations organoleptiques, pourtant pénibles (le sur-boisage par exemple) sont difficilement mesurables, autant d'autres sont aisément quantifiables. Il en va ainsi de l'acidité volatile, pour simplifier, le fait de savoir si un vin est encore un vin ou s'il est devenu autre chose, plus proche du vinaigre.
Attention, loin de moi l'idée ici de jouer au dégustateur professionnel, vous savez le type qui a le vin triste, et qui ne cherche que des défauts là où il y a du plaisir! L'acidité volatile, d'ailleurs on le sait, peut doper certains vins, leur donner un côté sinon aérien en tout cas plus éthéré. On en trouve même des doses effrayantes dans certaines bouteilles de légende**. Mais comme toujours, tout est question d'équilibre, d'harmonie. Là où elle servira de coquetterie chez une diva, elle achèvera de détruire un gringalet débile.


Si je vous parle de ça, c'est parce que, récemment, je me suis carrément fait foutre de ma gueule par des fashionistas du picrate parce que j'avais osé suggérer qu'un odieux liquide qu'on avait tenté de me faire ingérer était plus proche du vinaigre que du jaja. En fait, ce gamay du Lot (pas de nom, soyons charitables***…), vendu en VdF, nous avait à l'époque offert une formidable crise de fou-rire. Réellement, il était piqué à point qui vous faisait "friser les poils du nez" quand un verre vous passait à moins d'un mètre. En y repensant, il m'avait en fait évoqué deux souvenirs drôlatiques, un Clos Mogador des années quatre-vingt-dix plus brûlant que le vinaigre d'alcool avec lequel les vieilles nettoyaient jadis les vitres (j'avais d'ailleurs eu un peu peur pour le siphon de l'évier…) et, plus ancien, la piquette**** fleurie avec laquelle mon ami L'Amiral***** égayait ses dimanches d'hiver à Noé, arme de destruction massive de la tuyauterie humaine produite à l'époque par le kolkhoze haut-garonnais de Jean-Baptiste Doumeng (ci-dessus), le fameux "milliardaire rouge".

Un peu agacé par les quolibets des vendeuses de colifichets qui voyaient dans mon avis une déviance, voire une dégénérescence, de mes facultés gustatives, j'ai donc décidé d'en appeler au juge de paix, l'analyse du gamay concerné. Un échantillon a donc été soumis à une petite merveille de la technologie danoise, l'OenoFoss. Cette machine réputée, permet de mesurer jusqu'à dix paramètres sans passer par un laboratoire œnologique, ce qui est pratique notamment en période de vinification pour des domaines éloignés de tout. C'est donc l'acidité volatile (indicateur du vinaigre potentiel) qui a été recherchée. Voici ce que le Foss a trouvé, ce sont les trois lignes du haut.



Trois lignes, pourquoi?
Parce qu'à la première tentative d'analyse, la machine s'est mise en position erreur, "-999,00". Cela signifie tout simplement que pour elle, le produit qui lui a été soumis ne peut être mesuré en tant que vin, puisque son acidité volatile dépasse le gramme fatidique au dessus duquel, sauf dérogation, un vin n'est plus "loyal et marchand", ce taux étant inférieur pour les vins blanc.
Afin de pouvoir quand même pratiquer une analyse, l'œnologue a utilisé un truc: l'échantillon a été coupé à cinquante pour cent d'eau distillée. Le Foss a délivré son verdict (répété deux fois), entre 0,63 et 0,65g d'acidité volatile par litre, résultat qu'il convient de multiplier par deux pour connaître le taux de volatile de ce produit que nous pouvons donc plus appeler du vin mais déjà un vinaigre: entre 1,26 et 1,30g de volatile par litre.
J'ajoute que pour couronner le tout, il s'agit d'un vin chétif, avec peu de matière, et un titre alcoométrique volumique faible, de 11,6%, un vin dont la verdeur est accrue par la suspicion (ah, le Foss…) qu'il n'ait pas fait sa fermentation malo-lactique.
Je repense à ce massif marchand de vin d'un autre temps (un des précurseurs du vin nature à Paris), plongeant ses gros doigts dans un verre de rouge qui venait de lui dévaster la trachée et répondant à ceux qui lui demandaient ce qu'il fabriquait: "j'ai trouvé le vinaigre, je cherche les cornichons!"


Comme le bougnat sus-cité, j'aime, j'adore le vinaigre, je les collectionne et en fabrique même. Mais j'évite de les boire, je les réserve plutôt à la cuisine. Cette chronique d'ailleurs, n'est absolument pas là pour stigmatiser tel ou tel vin, telle ou telle catégorie de vin. Elle n'est pas là non plus pour tenter de faire changer d'avis qui que ce soit, chacun boit ce qu'il veut, ce qui lui semble correspondre au statut qu'il recherche. Comme l'écrivait récemment l'écrivain pinardier britannique Jamie Goode (à propos du calendrier évoqué plus haut), "quand nous modifions nos croyances, c'est rarement sur la base des faits qui les contredisent". Non, le propos est uniquement  de décontracter les buveurs normaux, les clients lambda. Si on vous sert un "vin" qui vous pique, qui vous brûle, qui vous "fait friser les poils du nez", même si on vous prend pour un plouc, pour quelqu'un de démodé, vous avez parfaitement le droit de le dire. Et même, face à cet espèce de négationnisme, de suggérer qu'il s'agisse de vinaigre.



* Pour ceux qui ne l'ont pas encore lu, lire cette destruction scientifique du fameux calendrier biodynamique de dégustation des vins. Plusieurs chercheurs ont démontré qu'il s'agissait d'une foutaise, ce à quoi l'empirisme des franc-buveurs avait conclu depuis belle lurette.
** J'avais notamment évoqué ça ici
*** Pour éviter tout quiproquo, je précise bien qu'il ne s'agit pas de la splendeur vigneronne évoquée ici, propre à guérir les abstèmes.
**** "Piquette" au sens populaire, pas au sens technique que je développais dans la chronique qui se trouve au bout de ce lien hypertexte.
***** L'Amiral, de son vrai nom Nicolas Fichot, ancien grand-reporter au Parisien à l'agence Reuter est parti réaliser son rêve en buvant du cidre en Bretagne (certains vins des héritiers spirituels de Doumeng n'en étaient pas loin…). Et il a inventé ce magazine, Le Radier, consacré à son pays d'amour et de bateaux. Je lui dois un article depuis trop longtemps.



Commentaires

  1. Du vinaigre, y en a, c'est sûr… Mais, dans mon souvenir, y avait aut' chose… Ça serait pas de la courgette ou du radis noir, hein ? Cela dit, j'ai connu un caviste qui en buvait au goûter et sans avoir perdu le moindre pari. "Dans dix ans, ça sera culte", qui disait.
    Raoul Volfoni

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    1. "Dans dix ans, ça sera culte", ça ne nous rajeunit pas… Des générations de vignerons bourguignons et bordelais nous ont abreuvé (à défaut de nous donner à boire) de cette promesse qui comme toutes les promesses n'engagent que ceux qui y croient. C'était le temps de ces jus tarés, verts, qui bien sûr, dix ans plus tard finissaient immanquablement à l'évier.

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    2. Ou dans dix ans, ça sera cuit, même à Gevrey, et à 60 euros la quille...
      http://www.leblogdolif.com/archive/2016/11/20/le-chambertin-nouveau-est-arrive-5876895.html

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    3. Soixante euros minimum…
      À ce prix-là, on se doit d'être indulgent?

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  2. La prochaine fois, Vincent, choisis une vraie méthode pour faire ton analyse, et un vrai labo accrédité par le Cofrac (j'ai des noms !). Sans remettre en cause ton jugement sensoriel, Foss, ce n'est pas la panacée pour l'AV. Sauf pour les amoureux de coût bas pour lesquels la fiabilité est très, très secondaire (j'ai des noms !). Comme ailleurs, en analyse, les premiers prix ne sont pas toujours les meilleurs...

    D'ailleurs, j'ai tout de suite pensé au tollé quand j'ai lu ton article sur les suggestions des hygiénistes. La première chose à faire par rapport aux résultats d'analyse inscrits sur une étiquette (s'ils sont dérangeants) serait de demander le nom du labo, de vérifier son accréditation et éventuellement d'en contester les valeurs par une contre-analyse. Ca sent bon pour nos boutiques, ça. Mais c'est une histoire sans fin à laquelle un terme rapide serait de toute évidence donné, pour des raisons économiques et juridiques.

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    1. Amusant, hier soir, une heure après ce message, je papotais avec une amie qui me faisait part du résultat "-999" que son "Foss" lui a rendu lors de l'analyse d'un petit volume de vin. Cela a prolongé la discussion.

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