Sauvons Monsieur Jadis, marions-le !


Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le mariage est un sujet qui divise plus qu'il ne rassemble. Selon les nouveaux barbares du vin, il est tout sauf pour tous. Vieillot, fastidieux, nécessitant sinon une culture au moins un background du goulot qu'il est de bon ton de pourfendre*, histoire de faire jeune (surtout quand on ne l'est plus vraiment…). Pourtant, j'en suis la preuve vivante, le mariage (pinardier), ça marche**, même si de temps en temps le divorce pointe son nez***…
En fait, comme je l'avais raconté ici, dans une chronique cosmopolite, le mariage pour tous n'est pas qu'une question de sexe, de "genre" comme il convient de dire pour faire Parisien orthonormé. Il faut que les choses s'emboîtent, que chaque élément du couple complète l'autre afin qu'un plus un surpassent deux.


Ce phénomène, je l'ai testé**** hier soir encore, avec une bouteille oubliée du réveillon. Oh, soyons honnête, pas un cru que je vénère, un faugères de Léon Barral,  Jadis 2012. Autant j'ai adoré les vins de Didier Barral dans les années quatre-vingt-dix, et leur merveilleuse aptitude au vieillissement (Ah, Valinière 96 ou 97, je ne sais plus…), autant j'ai multiplié les déconvenues avec ceux des quinze dernières années, de bouteilles foireuses en vinaigre à salade. Oui, je sais, ça ne se dit pas, on est entre l'atteinte à la vache sacrée et la divulgation de secret de famille*****. Les experts indépendants de la pinarderie (en général pourvoyeurs de cette référence…) vont s'indigner et sévèrement me tancer pour cet inadmissible moment de liberté de parole. Never mind the bollocks!
Mais, avant même de vous avoir officiellement présenté mes vœux******, appliquons une des résolutions de l'an neuf, donnons à la paix une chance (c'est moins chouette en français, non?). Alors, ce Jadis 2012, j'ai voulu qu'il puisse dignement défendre le message de son concepteur, message qui n'est pas sans noblesse.


Le vin a donc été présenté à l'aveugle, ce qui en soit est une bizarrerie, puisqu'il s'agit davantage d'une étiquette qu'on exhibe, qu'on photographie, qu'on poste sur les réseaux sociaux avant de la boire. Barral est un marqueur social, comme la marinière de Jean-Paul Gaultier ou le T-shirt Chanel à une époque. Et évidemment, il s'agissait de trouver avec un plat qui gomme ses aspects que je trouve les moins agréables, notamment des tanins rustiques doublés d'une acidité volatile susceptible de s'envoler (au moins à la hauteur des collines du Priorat…) et d'une richesse alcoolique parfois un peu brûlante au regard de la structure de l'ensemble.


Ce plat, je l'avais sous la main, un nem du Poitou, tout simplement. Pour ceux qui ne connaissent pas ce délice fusion avec lequel je vous rebats les oreilles, suivez le guide. Les autres ont déjà compris l'effet recherché, l'aspect suave, enveloppant, délicatement graissant et gélatineux de l'andouillette de Bressuire est sensé enrober les tanins de ce faugères rugueux. Pour ce qui est de la volatile, on cuisine la pièce avec un vin blanc de cuisine espagnol, sec (peut-être même tartriqué), et quelques oignons grelots. Quant au côté alcooleux, il est géré en évitant l'emploi de sel, de poivre, aussi bien pour le plat que pour son accompagnement de charlottes du jardin, et en servant ce rouge à une température très basse, en dessous de dix degrés Celsius.
Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais ce mariage de raison (eh oui, il n'y a pas que l'amour, le cul, les poils dans la vie…) a été, quoique déroutant, un joli succès. Ce vin sur lequel beaucoup n'auraient peut-être pas misé un kopek hors de table s'est révélé (sans que l'on verse dans le grandiose) un agréable commensal du nem du Poitou. Comme quoi, le mariage pour tous…




* J'évoquais ce "culte de l'inculture" dans une chronique sise au bout de ce lien.
** Exemple avec ce Sud-Africain un rien revêche auquel une lubrification à la crème du Poitou a permis de revivre Le dernier tango à Paris
*** Oui, avouons-le, parfois, ça ne passe pas, ça casse, comme ici entre Teuton et cette catalane.
**** L'horrible mot emprunté aux Trip Adviseurs qui, du haut de leur patiente éducation du goût au Nutella, au Caca-Cola et au buuuurgeeer, ne vont plus casser la croûte au restaurant, mais tester tel ou tel chef…
***** Ce sont en général des récriminations que l'on chuchote, qu'il serait malséant d'exprimer en public. Un de mes lecteurs s'en ouvrait dans un message privé il y a une semaine encore: tout en saluant l'incontestable travail viticole, agricole des Barral, il m'expliquait un rien agacé qu'il avait déjà balancé à l'évier trois bouteilles de sa caisse de Jadis 2013. "Âpre" et "alcooleux" se plaignait-il.
****** Bientôt.

NB: le titre de cette chronique, on l'aura compris, est un hommage au merveilleux roman d'Antoine Blondin, Monsieur Jadis. J'étais parti à sa rencontre ici.


Commentaires

  1. L'acidité volatile, c'est cette odeur de vinaigre qui agresse les narines?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, Tracy, l'acidité volatile, c'est à la fois un précurseur du vinaigre, et une sensation tactile. Je dis souvent de façon imagée qu'un vin très chargé en AV "fait bouger les poils du nez"…

      Supprimer
    2. Comme vous y allez, cher inconnu!
      Je ne pense pas cependant que ce vin soit suffisamment défectueux pour avoir envie de le boire avec l'anus…

      Supprimer
  2. Pourquoi à chaque fois que je vous lis il me prends une envie de débouche (ou de débauche...!). Ne changez rien comme dirait l'hun ou l'autre pour cette nouvelle année.

    RépondreSupprimer
  3. Vincent un reportage sur les vinaigres, j'adore ça peut-être que c'est mes poils du nez !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'adore le (les) vinaigres. En tant que tel. Ce n'est pas un sport facile, le vinaigre.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés