Que passe la paix…


Parmi, les bonnes résolutions de la nouvelle année, il en est qu'on ne tiendra jamais. Par exemple celle-ci que de bonnes âmes me conseillent souvent: mettre de l'eau dans mon vin. Pour ce qui est en revanche de "céder à la facilité", pari tenu, je m'y suis mis dès le quatre janvier. Finie la cuisine sophistiquée, "bourgeoise"*! Avec les restes des post-réveillons, place à la tambouille moderne, sans effort. La dernière des premières truffes de l'année**? Juste un coup de rabot, une livre de beurre de montagne, une pincée de sel, et zou! 


Autre résolution tenue (et fermement!), reboire du bordeaux. Pas les grands crus classés pour Chinois et Américains en chêne massif, mais cette immense masse de rouges amicaux, fruités et généreux, formidables compagnons de table, pour ceux qui mangent encore en tout cas, ne testent ni ne dégustent. Ce qui me fait plaisir, c'est qu'en plus je ne vais pas être le seul à appliquer cette bonne résolution, voilà que Antonin Iommi-Amunategui et son barnum néo-maoïste de Rue 89 investissent non pas les Chartrons, mais Bacalan. L'organisateur de happenings parisien lance Sous les pavés la vigne, le salon des vins actuels (sic) et naturels en version girondine. Belle initiative! Espérons quand même qu'on ne va pas du coup se retrouver avec des bordeaux délavés, vendangés verts et vinifiés en macération carbonique, avec ce qu'il faut de sucres résiduels pour les palais éduqués au Caca-Cola et au Nutella***
Pour ce qui est de ma résolution, joignons l'image à la parole. Tenez, rien qu'hier soir, afin de célébrer encore un peu plus les Rois, sur une entrecôte trop maigre réveillée par le beurre de truffes de la première résolution, un magnum, apporté par Balthazar, Melchior et Gaspard! Et bim! 
– Mais il truffe, ce pomerol. Délicieux!
– Tais-toi et bois à grosses gorgées, c'est un fronsac****…


Les résolutions, c'est chouette, mais il y a aussi les vœux. C'était d'ailleurs l'intention première de cette chronique décousue. Alors bien sûr, je pourrais vous, nous souhaiter tout un tas de trucs hyper-importants qui vous changeraient la vie. 
Que les sommeliers arrêtent de nous dire "bonne dégustation" au restaurant (itou pour les cavistes) et de poser la bouteille à cent bornes de la table quand on se sent le gosier baptisé à la queue de morue.
Que vos interlocuteurs arrêtent de massacrer la langue française à coup de "ceci-dit" et de "et bien" intempestifs, quand bien même ce massacre serait aujourd'hui hexagonalement institutionnalisé*****. 
Que l'on interdise les flashes sur les iPhones et les photos merdiques qui vont avec.
Que les obsédés sexuels de Facebook arrêtent d'emmerder le monde avec des histoires de bites, de nichons et de chattes, ça n'a jamais tué personne.


Que l'on vire la carte de Presse à ceux qui recopient les communiqués du même tonneau.
Que les moutons arrêtent de nous bassiner avec les mêmes vins, les mêmes aliments et les mêmes restaurants au même moment, la ficelle est grosse, on la voit.
Que les amateurs de pinard arrêtent de ressembler à de grossières caricatures de Mimi, Fifi & Glouglou (surtout à Toulouse où on se croit carrément dans le prêt-à-porter).
Que les vignerons arrêtent de nous mentir et de nous vendre des soi-disant magnums qui ne contiennent en fait que trente-sept centilitres et demi (par parenthèse, merci, les jeunes, même si certains ont bu ça comme des trous dans des Pigalle de Louboutin de douze centimètres de talon, moi, j'en conserve un souvenir ému de ce Chaillot 2005). Ça vaut pour celui-ci mais aussi l'autre bordelais précédemment photographié; faut pas nous prendre pour des cons!


Que les vegans et autres souffreteux continue de s'anémier entre eux mais surtout, surtout, arrêtent de nous les briser menus parce que sinon on finira par les manger en pâté.
Que les touristes arrêtent de me demander où manger des tapas à Barcelone, parce que vraiment ça fait trop touriste et que c'est comme vouloir commander un cassoulet à Strasbourg******.
Qu'il soit obligatoire, dans tous les restaurants, cantines y compris, de servir des tripes et des abats au minimum deux fois par semaine. Que ceux qui n'aiment pas ça aillent manger avec les chevaux de bois.


Qu'on m'interdise de tenir un blog, parce qu'en ce début d'année, il ne faut pas non plus oublier les vendeurs de soupe, les empoisonneurs, les aigris, les bande-mous, les jaloux, les attachées de Presse, les coiffeuses, les vendeurs de fringues et même les cocus.
Que les foodistes continuent d'ignorer les grouses (c'est trop fort…) et leur préfèrent des lièvres à la royale surchargés d'ingrédients jusqu'à masquer le goût du gibier. Et qu'en prime on les arrose toujours, en un sublime accord anglo-saxon, de romanée-conti australienne.


Que les cuistots comprennent enfin que la saison du melon ne dure pas toute l'année, qu'il sont simplement là, d'abord là pour nous nourrir.
Que les menteurs professionnels comprennent que ça ne sert à rien de se fatiguer à me raconter qu'on ne trouve pas que de la merde au pousse-caddie, peine perdue.
Que les malpolis qui se prennent pour Amerloques arrêtent de nous souhaiter la bonne année avant qu'elle ne soit là.
Qu'Iggy tienne bon en 2017, et Tom Waits et les autres aussi, parce que vraiment, au niveau du rock, en 2016, on a donné. Cher.


Qu'on interdise, à table, de boire sa bière à la bouteille, ça fait vraiment beauf footballistique.
Qu'on arrête une fois pour toute les fleurs dans les assiettes et les espumas. Là, je crois que c'est mort, mais il y a encore quelques attardés qui traînent la patte.
Que le vin redevienne une boisson avant un objet politique. La politique on va suffisamment en bouffer dans les mois à venir.
Qu'on ait le droit d'apprécier ou pas la finesse d'une bulle de vin effervescent. Moi, j'aime pas les grosses, façon Pschitt Orange, c'est comme ça, je préfère par exemple, celles, exquises, de ce crémant-de-limoux (clin d'œil à Equipo Navazos********).


Trêves de bons vœux, on pourrait ainsi en ajouter des dizaines, sérieux ou loufoques, qui pour la plupart resteront lettre morte. En revanche, après vous avoir, à chacune et chacun, souhaité santé, bonheur, prospérité, amour, ébriété et satiété, je voudrais juste en guise de conclusion, à ce pénible exercice des vœux de janvier, vous amener faire une petite balade dans les rues sans voitures de mon quartier.
Nous sommes à Barcelone donc, au cœur de la vieille ville, dans le fameux Barrio Gótico qui collé aux Ramblas et au marché de la Boqueria glisse de la vilaine place de Catalogne au vieux port, via Santa Maria del Pi, la mairie et la Plaça Reial.


Mais quittons les spots à touristes (avez-vous déjà remarqué comme le touriste est moutonnier?), glissons par delà la place Orwell où Penelope et Scarlett, négligeant les effluves de coke bon marché, allaient chez la Chinoise acheter leurs fruits et légumes, et engageons-nous, direction la mer, dans ces ruelles que la gentrification n'a pas encore lavées, entre odeur de pisse et linge bariolé aux balcons.


Ici, on parle au moins autant le pendjabi et l'ourdou que le catalan. Et puis l'anglais de bazar aussi, cette nouvelle langue véhiculaire barcelonaise. Je crois que tout ça, Pepe Carvalho (qui avait son bureau à deux pas, rambla de Santa Mònica) le connaissait déjà; savez-vous d'ailleurs, c'est tout nouveau, le héros de Vázquez Montalbán va reprendre du service*********?


Dirigeons nos pas vers un passage secret. Sous le regard courroucé des deux trois enturbannées qui hantent encore le coin et que repousse peu à peu l'incroyable regain de spéculation immobilière que connaît le quartier, une clientèle différente vient ici bruncher, se fringuer ou chiner. Plutôt de jolies filles, sapées comme des Parisiennes, qui se donnent rendez-vous au café qui fait angle avec la carrer de Sils, en face de la Fondation d'architecture Enric Miralles et l'étonnante sculpture qui orne son hall.


Mais si je vous amène dans ce coin tranquille, ce n'est pas pour draguer des gamines ou faire les boutiques, ni même pour aller voir une expo. Je veux juste, en ce début d'année périlleuse, dans un monde assiégé par les idées ringarde, puantes comme de vieilles chaussettes en acryliques des populistes de tout poil, vous souhaiter, nous souhaiter le trésor que commémore l'endroit.
Nous sommes (dans une jolie faute d'orthographe********** qui, comme un symbole, mixe le castillan et le catalan au "Pasage de la Paz". Passage de la Paix.




* Il est grand temps d'ailleurs d'arrêter la cuisine bourgeoise, les cassoulets, les daubes, le lièvre en miroir de vin. Camille Labro dans Le Monde m'a récemment appris qu'elle revenait à la mode. Revisitée, actualisée, les cuistots branchés vont rapidement nous en dégoûter, Métro, Davigel, Brake vont sauter sur le bon filon, les faussaires vont nous l'enseigner, bref…
** Débarquées de chez Jean-Luc Clamens, de la Maison Gaillard via les Horlogers d'Auvillar (amoureux de la grouse), la filière tarn-et-garonnaise donc, celle qui ne déçoit jamais et qui ne vend pas la truffe au tarif parisien, sans jamais mégoter sur la qualité, et la maturité.
*** "Pousson, salaud, le Peuple aura ta peau !"
**** On précisera pour ceux qui s'intéressent encore au vin autrement qu'à travers de la marque ou du jeux de mot façon Almanach Vermot de l'étiquette que ce 91 a une particularité, il n'a pas gelé. On en a vu pas mal dans ce cas également du côté des Côtes de Bourg sur ce millésime où le quart sud-ouest de la France a sévèrement chargé lors de ce coup de grisou tardif. Magnifique bouteille en tout cas que ce Moulin Pey-Labrie 91, le genre de magnum qui se torche comme une fillette!
***** Lisez, si ce n'est déjà fait ce consternant papier de Télérama. Toujours abaisser le niveau sous prétexte d'égalitarisme et donc au bout du compte achever de casser l'ascenseur social que devait être une Éducation nationale devenue fantoche.
****** Sinon, pour les restaurants à Barcelone, reportez-vous directement au mini-guide.
******* Car comme les cuvées bulles catalano-andalouses que j'évoquais ici, cet effervescent limouxin est dosé non pas avec de la liqueur d'expédition mais avec un rancio du Roussillon, de chez Gilles Troulier.
*******+ Le contrat est signé aux éditions Planeta, c'est l'écrivain catalan Carlos Zanón qui va continuer, sous une forme inconnue, les aventures de Pepe Carvalho. On ne s'en rend pas toujours compte, mais, grâce au Sam Spade barcelonais, Manuel Vázquez Montalbán est devenu le dixième écrivain espagnol le plus traduit dans le Monde après des géants comme Cervantes, García Márquez ou Vargas Llosa?
********** C'est moderne, non, la faute d'aurtograf ?


Commentaires

  1. Bien aimé Moulin Pey-Labrie 1992 récemment (je découvrais le vin à l'aveugle avec un ami qui écrit pour B&D).
    Une superbe surprise vu le millésime.

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  2. Pas certain non plus que "pasage" soit du catalan.

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    1. Oui, vous avez raison, et c'est effectivement ce que j'écris, "un mix de catalan et d'espagnol", du 'pasaje' espagnol, au 'passatge' catalan.

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