Le premier des premiers ne sera pas le dernier.


Qu'on le veuille ou nom, c'est l'unique évènement de la grande pantalonnade des primeurs de Bordeaux. Une semaine, dix, quinze jours où les mondainvineux sont allés montrer leurs nouveaux habits, leurs nouveaux brushings, de château en château, goûter des vins qui n'en sont pas, des "échantillons" comme on dit sobrement, le nez dans les éprouvettes. Chacun d'entre eux, évidemment, s'est pris pour le nouveau Parker, une ribambelle de mini-Parkers, parfois grotesques, persuadés de la pré-éminence de leur pauvre avis dont tout le monde se fout, y compris les propriétaires un rien désemparés qui ont fait mine, poliment, d'être passionnés par leurs augures. Jouissant en fait, contrairement à celle, planétaire, du gourou déchu, d'une audience tellement restreinte, on se demande bien qui les lit à part leur famille. Bref, les primeurs bordelais sont morts sous leur forme parkérienne, n'y revenons pas, sur un coup de sang argentin, Michel Rolland avait tout dit l'an dernier*.


Laissons donc de côté ces bacchanales de notaires, devenues tellement provinciales qu'on se sent désormais obligé d'y inviter, pour faire la claque, des blogueurs assermentés, seconds couteaux du léchage de cul, et venons-en à l'évènement en question: "Château Latour se convertit intégralement au bio".
De fait, ce titre simple et efficace marque une révolution autrement plus importante sur les enculages de mouches sur des détails plus ou moins fictifs de vins qui n'existent pas encore. On savait que depuis 2008 que le prestigieux pauillac avait engagé le processus pour certaines de ses parcelles, il semble bien que nous soyons désormais dans l'irrévocable; avec le millésime 2016 ce sont les quatre-vingt-dix hectares de Latour qui sont entrées en conversion. D'après la directrice technique du Château, Hélène Genin (citée par Vitisphère), cette démarche a été engagée "à la demande expresse" du propriétaire, le milliardaire François-Henri Pinault. 


Détail cocasse, ce premier des premiers crus de 1855 à adhérer à la cause de l'agriculture biologique sera aussi le dernier à être mis en vente, puisque, vous vous en souvenez, Latour a également tourné le dos au système de vente en primeur**, lui préférant la méthode espagnol du Gran Reserva qui veut qu'on ne mette sur le marché qu'un vin, sinon prêt à boire, au moins assagi par le temps. C'est ainsi qu'en lieu et place des 2016, ce sont les 2012, 2011 et 2005 qui sont actuellement au catalogue.
Quelles que soient les motivations des uns et des autres, la profondeur de leur sincérité, il va de soi que cette décision (qui semble dans le microcosme ne susciter qu'un silence gêné) dresse violemment, en creux, le portrait d'une viticulture girondine de prestige qui n'a pas saisi, ou pas voulu saisir les enjeux de l'époque, trop absorbée qu'elle était au culte du Veau d'Or. Je vous ferai grâce du son de cloche opposé***, arc-bouté (avec la même foi qu'un technicien agricole d'une coopé des Corbières) aux croyances productivistes des Trente Glorieuses, il n'empêche que pour parler cru, Latour met ainsi à tous ses pairs, "le nez dans le pipi".



* Lire ou relire ici cette scandaleuse chronique où le barbu interplanétaire de Fronsac avait malencontreusement dit ce qu'il pensait, ce qui dans le Mondovino (bordelais ou pas), convenez-en est une énorme faute de maintien. Faute que je trouve personnellement de bon goût et que j'arrose d'un excellent verre de Fontenil.
** J'en parlais ici.
*** Avec comme bedeau, pardon, comme sonneur de cloches, Hubert de Boüard, le propriétaire de Château Angélus, premier lui aussi, par "la grâce de Dieu" mais plutôt dernier par rapport à la cause dont il est question ici… Lire ici.

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