Le beaujolais catalan.



Vous connaissez la Catalogne des côtes, avec ses Porsche, ses nouveaux Russes et ses nourritures frelatées* ? Eh bien, oubliez-là. C'est à l'intérieur que je vous entraîne, dans “l'arrière-pays” comme on disait jadis, ce qui immédiatement vous donnait à l'endroit un côté arrière-boutique, l'idée d'une sous-région qui tiendrait la chandelle à l'autre, la vitrine, qui monnayerait l'écartement de ses cuisses avec davantage de professionnalisme.


En saison (elle s'achève), plutôt que les sphérifications ringardes de la côte, le plat de référence ici, c'est le calçot, mi-oignon, mi-poireau, grillé, brûlé à la flamme. Le calçot a sa capitale, dont le nom fait sourire en France : Valls**. On se régale de cette merveille diététique en la recouvrant d'une montagne de sauce hypercalorique que les touristes prennent pour de la romesco***. Et en buvant, sans folkorisme surjoué, au porró, un vin qui se doit de rester frais même quand le soleil de Pâques se prend pour un aoûtien et brûle la peau de pierre des splendides villages du coin.


Le vin, allez-vous me dire, voilà le problème. Dans ce coin d'Espagne, au sud de la Catalogne, ça tape. On aime l'alcool, le bois et le sucre. À peu près tout le contraire de ce qui fait chanter le calçot et, au passage, rend la sauce rousse aussi indigeste qu'une “barbacoa” de fast-food.
Mais ici, en Conca de Barberà, on a la solution. Comme souvent, il ne faut pas la chercher bien loin. Appliquer la règle des sages, fouiller la mémoire collective, les bibliothèques orales, se fier au seul identitaire qui vaille (avec le gastronomique), l'ampélographique.
La solution, donc, porte un nom, catalan évidemment: le trepat.


Ce cépage, probablement autochtone du nord-est de l'Espagne, n'est pas exclusif de la Catalogne. On le cultive également dans d'autres régions comme la communauté de Valence ou Murcie (sous le nom de bonicaire****). Sa grande particularité, ô combien précieuse sur ces terres hautes certes (de 350 à 600 mètres d'altitude) mais que l'été peut accabler, c'est que, bien cultivé, il mûrit sans cuire ni s'envoler en alcool.
Vinifié sur le fruit, avec une pointe de macération carbonique, il prend (à l'image de la bouteille de 2016 du Celler Carles Andreu ci-dessus vendue dans les sept-huit euros) de gentils arômes de guigne, acidulés, évoquant un jeune beaujolais qui aurait évité de se faire pénétrer par la violence amylique d'une banane trop insistante.


En plus du gamay, pour rester dans les comparaisons, on pourrait aussi penser aux équilibres aériens d'un mauzac noir d'année faible, comme on sait le faire à Gaillac, chez Plageoles. Ou encore aux trousseaux tranchants qu'on buvait chez Lucien Aviet à Arbois sous le nom de Cuvée des Géologues, qu'on aurait d'ailleurs du essayer au porró sur des calçots avant que leurs tarifs ne les réservent à des précieux souvent ridicules des arrondissements à la mode.


Un peu plus mûr que les douze degrés du vin de l'année de Carles Andreu, le trepat prend des accents poivrés qui peuvent aussi faire penser à des petites syrah de la Drôme ou de l'Ardèche. Ainsi le délicieux petit Cuca de Llum à sept euros cinquante de Succés Vinícola qui produit également une cuvée furieusement d'actualité en ces temps électoraux français, El Mentider, "le menteur"…
D'autres projets plein d'énergie sont d'ailleurs en train de voir le jour sur les jolis terroirs calcaires de cette Conca de Barberà, ainsi celui de Marc Lecha et Fredi Fresquito Torres (que je n'ai pas encore goûté).
 

Un cépage intéressant donc, un terroir qui lui va bien au teint, le tout emballé dans une micro région superbe parsemée de sites et de monuments historiques (notamment l'important monastère cistercien de Poblet), pourquoi ne s'y est-on pas intéressé plus tôt? Tout simplement parce que cette région était presque exclusivement sous l'emprise du kolkhoze. Les coopératives faisaient la loi, tirant comme il se doit la qualité vers le bas en célébrant le culte du degré/hecto. La première coopérative espagnole a d'ailleurs été édifiée ici, à Barberà de la Conca, en 1903*****.
Toujours est-il qu'avant la renaissance actuelle suscités par quelques initiatives privées, le pauvre trepat, mal aimé du kolkhoze, a vu ses surfaces divisées par trois entre 1990 et 2010. On lui préférait des variétés plus "qualitatives" comme disent les techniciens avisés et les crânes d'œuf du Ministère…


Juste une petite visite touristique avant de vous laisser, celle d'une boutique de la carrer Major de Montblanc, une incroyable boutique de vins d'avant le marketing où, en plus de bonnes bouteilles de trepat on vous vendra du vermut, des olives, des fruits confits, du savon, des noisettes du jardin, du liquide-vaisselle, des graines, du papier-cul, des bonbons en vrac et même des cierges. Des cierges qu'on allumera en mémoire des agnostiques, des anarchistes, des sorcières du coin****** qui, de l'Inquisition à Franco, connurent le garrot, et même des bûchers moins réjouissants, moins arrosés de “beaujolais catalan” que les calçots de la Conca de Barberà.




* Avec ses belles surprises aussi, soyons honnêtes. Les appétits de La Menta, les soifs du Villa Mas, et le poisson à la braise, les pieds dans le sable de Toc Al Mar. Loin en tout cas de la cuisine moléenculaire, chimico-industrielle, falsifiée, de la mafia du Guides des Pneus ou du Top 50, qu'on réserve aux gogos cocacolesques, aux fashionistas de la malbouffe.
* Pour en savoir plus, sur Valls un peu, sur le calçot surtout, lire cette chronique.
*** C'est en fait une salvitxada, composée de tomates rôties, de piments ñora et banya de cabra, d'amandes, d'ail, d'huile d'olive, de vinaigre et de pain.
**** Voire de mandó, ce que contestent les autorités agricoles catalanes car, dans ce cas, il cesserait d'être autochtone pour devenir immigré de La Rioja. Que voulez-vous, les cépages se tapent des nationalismes et des régionalismes comme de leur première vendange…
***** Des coopératives qui en revanche présente l'intérêt d'avoir été édifiées à l'époque moderniste et qui présentent donc un intérêt architectural certain à défaut d'avoir marqué l'histoire pinardière.
****** D'où notamment la restauration d'une "clairière des sorcières", avec sa pierre d'amour ou de sacrifice en son centre au milieu des forêts perdues d'El Fonoll (ci-dessous), tout au nord de la Conca de Barberà.


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