Tant qu'à se payer un parapluie…


L'image a fait le tour des réseaux sociaux. Comme une provocation, ou l'expression d'un profond mépris, quelques semaines seulement après un scrutin qui a montré l'océan qui se creusait entre les électeurs et le personnel politique sensé les servir. Quelques semaines après tant de remords murmurés, de vœux de contrition, de promesses déjà oubliées. Si ce n'est déjà fait, lisez dans Mediapart le texte d'Edgar Morin sur les somnambules qui nous gouvernent.
Le cliché, j'y reviens pour ceux qui ne l'ont pas vu: c'est une photo de Sipa, ça se passait à Paris, au lendemain des cérémonies commémoratives du Débarquement; côte à côte, la Reine d'Angleterre, 88 ans, portant elle-même son parapluie, comme une grande, de l'autre, Son Altesse Fonctionnairissime la nouvelle maire de Paris qui, elle, avait "besoin" d'un agent municipal, d'un "loufiat", pour tenir le dais protégeant son auguste brushing. À la fois ridicule, grossier et honteux. Suffisamment en tout cas pour que dans le Tiers-État contemporain des envies de Carmagnole se fassent jour.


Cette image stupide et répugnante m'est tombée sous les yeux alors que j'entendais le désespoir de vignerons, de paysans du Bas-Médoc auxquels la grêle a tout pris. Ils sont nombreux vers Blaignan, Ordonnac, Prignac et Saint-Yzans (regardez l'image de France 3 ci-dessus) dont les raisins à venir ont été intégralement détruits. Sachant qu'en 2013, ils étaient à demi-récolte et qu'en 2015 (parce que la grêle, la plante la paye à crédit…), ils seront au mieux à demi-récolte, ils n'auront en tout et pour tout, en trois ans, fait qu'une seule vraie vendange. Sans indemnisation bien sûr (pendant que courent les charges). Et même, pour les rares à avoir les moyens de s'assurer, que vaut le chèque de la compagnie d'assurance face aux marchés et aux clients perdus?
Franchement, de nos jours, en France, pays mondialement connu pour ses professionnels de la grève et du défilé, qui pourraient supporter ça à part des agriculteurs?


Si l'image de ce coûteux parapluie m'a choqué à ce moment précis, et si je la mets en parallèle avec le drame de nos amis médoquins, c'est parce que justement, plutôt, que de gaspiller pour des "parasites" comme me disait hier soir l'un deux, plutôt que de financer un nouvel Ancien-Régime (tous bords confondus) dont les fastes sont aussi obscènes que ceux d'avant 1789, nous pourrions leur offrir un vrai et grand parapluie, un parapluie contre la grêle.
Ce parapluie n'est pas une chimère. Il s'agit d'un réseau, d'un maillage du territoire, initié depuis Toulouse par un groupe de scientifiques et d'agriculteurs qui ont fondé l'ANELFA, l'Association Nationale d'Études et de Lutte contre les Fléaux Atmosphériques. Sans entrer dans les détails techniques, il s'agit grâce à une solution d'iodure d'argent dans l'acétone de "dissoudre" les grêlons en formation dans les nuages. L'ANELFA dispose d'antennes dans de très nombreux départements français (dont la Gironde), lesquelles gèrent des postes de lutte, reliés par un système d'alertes automatiques. 
Est-ce que cela réduit à zéro le risque de grêle sur les cultures (et le reste du territoire)? Non. Mais le taux de réussite est aujourd'hui imp
ressionnant, jusqu'à 99%. Une aubaine pour les paysans, bien sûr, mais pour tous ceux, particuliers, industriels, commerçants, collectivités, qui ont a souffrir des dégâts des intempéries.



Le problème est que certaines antennes départementales, en Gironde notamment, n'auraient pas les moyens de mener à bien leur mission. Ce lièvre (un rien nauséabond), c'est Vitisphère qui l'a levé hier soir, affirmant que plusieurs postes de l'ADELFA 33 n'auraient pas, faute de budget, été livrés en iodure d'argent. Information qui m'a été partiellement confirmée aujourd'hui par plusieurs interlocuteurs, m'apprenant au passage que de sombres bisbilles, mi personnelles, mi-politiques avaient conduit à cette lamentable situation. Et comme le confirme cet après-midi le journal Sud-Ouest, une réunion a été convoquée d'urgence afin de régler tout cela au plus vite.
Car enfin, de quoi parle-ton? Le budget de prévention que réclame l'ADELFA33 pour la prévention de la grêle en Gironde s'élève à 275 000 euros. Est-il utile de faire une comparaisons avec les millions d'euros de dégâts des orages du week-end de Pentecôte dans ce département?


Certains, notamment dans le milieu mondainvineux et bien pensant, vont le jeter à la figure que les vignerons girondins sont riches et qu'ils n'ont qu'à payer la facture. Je leur demanderai de gratter un peu le vernis pour se rendre compte que Bordeaux, ce n'est pas qu'une histoire de fils-à-papa qui dilapident, chacun à leur manière, financièrement ou culturellement, un patrimoine bâti de sueur et d'intelligence. Le vignoble bordelais, ce sont des milliers de paysans qui n'ont rien à voir avec quelques têtes d'affiche de Saint-&-Millions et d'ailleurs dont l'image clinquante dessert plus leurs intérêts qu'autre chose. La lutte contre la grêle, même efficace qu'en partie, est une des clés de la survie de leurs exploitations, des emplois et de l'activité économique qui en découlent.
Bref, pour ça et tellement d'autres choses, ça vaut le coup de demander quelques sacrifices aux "aristocrates", aux "princes", au "monarques-énarques" qui nous gouvernent et à leur cour pléthorique, ça vaut le coup de taper dans le somptuaire pour rendre l'argent utile. Car, comme l'écrit aujourd'hui dans El País Roberto Bissio, le fondateur de Social Watch, l'ONG qui recense les promesses gouvernementales non-tenues, "si l'on ne perçoit pas les bénéfices de la Démocratie, alors apparait le populisme".
Alors, tant qu'à se payer un parapluie…




Commentaires

  1. http://www.debunkersdehoax.org/le-pire-du-hollande-bashing-2-la-reception-a-la-mairie-de-paris

    Sur le cliché mis en exergue par les chasseurs de Hoax, la reine n'a pas le parapluie qu'un garde du corps vient lui apporter et le prétendu fonctionnaire (ou arde du corps) est manifestement en retard sur le pas d'Anne Hidalgo. De là à ce que le cliché en question sur ce post précède la remise du parapluie armé à la maire de Paris dans les mêmes conditions que la reine juste avant... D'une manière ou d'une autre il est dur de faire de la morale avec des instantanés. Je précise juste que je ne suis pas un fieffé apparatchik et que j'avais juste eu le plaisir de réaliser ma connexion quotidienne à votre blog après avoir échangé sur ce sujet avec des amis aussi intrigués que moi par cette image paradoxale.

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    1. Excusez-moi, cher Anonymous, mais votre débusqueur de hoax est un rien connoté, non? En revanche, les photographes, et pas que celui de Sipa, ont tous vu et immortalisé la même chose.
      Ce que semble confirmé l'article d'un journal engagé, certes, mais relativement fiable, Le Point.
      http://www.lepoint.fr/insolite/la-republique-des-tres-mal-eleves-10-06-2014-1834226_48.php
      À propos de lien dans ce papier, vous avez suivi qui mène au texte de Morin?

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    2. De toute façons, une photo ne prouve jamais que ce que veut prouver celui qui l'utilise. Pour le reste je n'en sais rien, je n'étais pas sur place.

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    3. Je suis d'accord avec Edgar Morin et la majeure partie de vos élans ici présentés. Surtout quand il parle du plafond de verre électoral qu'on pensait posé au dessus du FN. Oui mais voilà je suis presque certain (je vous concède qu'il s'agit d'une hypothèse toute personnelle) que le cocktail rumeur+internet a contribué à faire voler en éclat le dit plafond et que le web est autrement plus rapide pour propager des vérités faciles à ingérer que pour déconstruire les apparences et renforcer l'esprit critique démocrate (toutes tendances confondues).
      L'avantage du site évoqué c'est qu'il annonce la couleur et son combat contre l'extrême droite (une ligne très en phase avec Edgar Morin du reste). Il serait utile que vous nous précisiez d'où parlent le Point et Jérôme Béglé pour mieux envisager leur impartialité supposément supérieure.
      http://www.debunkersdehoax.org/

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    4. "L'article d'un journal engagé". Journal que j'aime beaucoup lire d'ailleurs quand il parle de vin, notamment sous la plume de Jacques Dupont.

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    5. Vincent,
      Le taux d'efficacité n'est malheureusement pas de 99%, sinon le débat n'aurait pas lieu...
      Mais on est sur à 99% que le système a une certaine efficacité, qui est chiffrée un peu plus loin sur le site de l'anelfa à 25 euros de dégâts épargnés pour 1 euro investis en prévention.
      Pas si mal, même si on peut rêver de mieux.
      La viticulture n'est pas la seule intéressée à ces résultats : les autre productions agricoles, les voitures, les vérandas, les avions, les toitures, les crânes... sont également exposés aux dommages de grêle.
      Pour une efficacité optimale, il faut :
      - un maillage judicieux du réseau d'émetteurs (pas encore tout à fait atteint en Gironde),
      - des opérateurs qui allument les postes à temps lorsque les alertes sont émises par le centre de Toulouse,
      - et en effet un approvisionnement suffisant des postes en iodure d'argent.

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    6. Oui, Régis. je me suis très mal exprimé!

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  2. Beaucoup pensent que les canons peuvent nous sauver, peut-être, peut-être pas, je ne connais que la vieille génération de canons que j'ai toujours vus peu efficaces quand la tornade est trop violente, ce fut le cas pour la zone de Grézillac l'an dernier. On peut aussi se remettre à prier nos Dieux gaulois ;o)

    http://blogreignac.blogspot.fr/2014/06/entre-le-marteau-et-lenclume.html

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