Indispensable nouveauté?
Je le concède, et vous le savez si vous vous me lisez depuis longtemps, je n'ai pas grand appétit pour la nouveauté. Enfin, ça dépend: parlez-moi des immenses possibilités que nous offrira le graphène ou de je ne sais quelle formidable innovation technique, pas de problème! Le nouveau ne m'intéresse que s'il est "intéressant" comme on l'écrivait à l'époque du magazine Actuel.
En revanche, le culte de la nouveauté pour la nouveauté, tel qu'on le pratique dans la fringue, la bagnole et plus récemment dans le Mondogastro et le Mondovino m'en touche une sans faire bouger l'autre (pour reprendre une expression présidentielle). Peu m'importe les gloussements des coiffeuses et des midinettes, je préfère de loin mes cashmeres usés ou un vieux Land patiné à des merdouilles up-to-date qui fleurent bon la misère bengalie ou la pollution chinoise. Bref, il me semble que (de la même façon que ce n'était pas automatiquement mieux "avant"), ce n'est pas forcément mieux demain.
La plupart du temps, cette fièvre de la nouveauté, cette quête compulsive, amène à des situations cocasses, si ce n'est ridicules. Ainsi, on m'a mis sous les yeux le tweet enflammé d'une blogueuse qui s'intéresse dit-on à la nourriture de qualité et qui, immédiateté oblige, s'extasiait devant le fait que Marseille surpasse gastronomiquement Paris: une des multinationales de la malbouffe annonçait en effet que la cité phocéenne allait désormais compter un fast-food d'avance de cette enseigne sur la capitale! Pour en rester à l'exemple de cette pimprenelle, en feuilletant ses écrits, on en arrive d'ailleurs très vite à la conclusion que le corollaire de cette fièvre de la nouveauté est l'absence de fond, quelques pages après le tweet macdonaldien, elle nous expliquait en effet, sans rire, comment le roi de la gastronomie chimico-industrielle espagnole avait "ouvert la voie du vin nature" dans son pays…
Escortée de son orthographe aléatoire et de ses tournures de phrases approximatives, la morandinisation des médias gastronomico-pinardiers (notamment) est là et bien là, qui valorise la créativité de la plume dans le cul, la culture barbapapa qui s'évanouit aussitôt ingérée. Je méditais ce vaste sujet l'autre jour en franchissant le canal de la Marine, à Sète, depuis la rue Paul-Valéry. C'était un moment assez particulier, la nuit était tombée sur "l'île singulière"; je sortais, fourbu, du brouhaha et de la laideur formatée d'un salon vinicole*. Il était l'heure d'aller manger. Depuis le pont de la Savonnerie, la ville semblait calme. Si ce n'est cette vision d'un classicisme absolue, comme une carte postale des années trente: une barque ridant l'eau noire du canal, le souffle de quatre rameuses, les coups de sifflet de la barreuse.
Mon but était juste de l'autre côté du canal de la Marine, au numéro cinq de la rue Lazare-Carnot, ce néon vert souligné d'une vieille pub de champagne. The Marcel, vous connaissez, j'imagine? Une vieille adresse, de beaux souvenirs, cette sensation d'arriver dans une maison de famille, chez des gens cultivés, un peu zazous sur les bords mais bien élevés, esthètes.
The Marcel, je n'y avais pas mis les pieds depuis plus de dix ans. La mémoire étant un de mes principaux défauts, je me souviens y avoir mangé une piste de supions et une généreuse bourride de baudroie arrosés d'un blanc de terret-bourret. Sans trop regarder la carte, j'ai commandé exactement la même chose. Parce que j'étais à Sète, parce que j'en avais envie, parce que surtout j'avais envie de tout sauf "d'expériences" ou de bricolages (mais ce n'est pas vraiment le style de l'établissement).
Escortée de son orthographe aléatoire et de ses tournures de phrases approximatives, la morandinisation des médias gastronomico-pinardiers (notamment) est là et bien là, qui valorise la créativité de la plume dans le cul, la culture barbapapa qui s'évanouit aussitôt ingérée. Je méditais ce vaste sujet l'autre jour en franchissant le canal de la Marine, à Sète, depuis la rue Paul-Valéry. C'était un moment assez particulier, la nuit était tombée sur "l'île singulière"; je sortais, fourbu, du brouhaha et de la laideur formatée d'un salon vinicole*. Il était l'heure d'aller manger. Depuis le pont de la Savonnerie, la ville semblait calme. Si ce n'est cette vision d'un classicisme absolue, comme une carte postale des années trente: une barque ridant l'eau noire du canal, le souffle de quatre rameuses, les coups de sifflet de la barreuse.
Mon but était juste de l'autre côté du canal de la Marine, au numéro cinq de la rue Lazare-Carnot, ce néon vert souligné d'une vieille pub de champagne. The Marcel, vous connaissez, j'imagine? Une vieille adresse, de beaux souvenirs, cette sensation d'arriver dans une maison de famille, chez des gens cultivés, un peu zazous sur les bords mais bien élevés, esthètes.
The Marcel, je n'y avais pas mis les pieds depuis plus de dix ans. La mémoire étant un de mes principaux défauts, je me souviens y avoir mangé une piste de supions et une généreuse bourride de baudroie arrosés d'un blanc de terret-bourret. Sans trop regarder la carte, j'ai commandé exactement la même chose. Parce que j'étais à Sète, parce que j'en avais envie, parce que surtout j'avais envie de tout sauf "d'expériences" ou de bricolages (mais ce n'est pas vraiment le style de l'établissement).
Vais-je vous dire que j'ai fait ce mercredi soir le meilleur repas de ma vie? Que The Marcel est "le meilleur restaurant du Monde"? Sûrement pas! Mais qui peut encore croire à ces fadaises de "meilleurs restaurants du Monde" à part des esprits simples (ou corrompus)? Je suis juste venu dans cette élégante maison chercher quelque chose, un plat, une ambiance, un instant et ce quelque chose, je l'ai trouvé. Intact malgré les années écoulées. Les pistes étaient parfaites, crues, nues dans le citron, l'ail, l'huile d'olive, le piment; la bourride était comme il se doit rassérénante. Tout était en place.
Sans attendre dix ans, grâce à The Marcel entre autres (pour y revoir un beau photographe que j'admire aussi**), j'ai envie de revenir à Sète. Goûter une nouvelle fois à la permanence, au "dur désir de durer". Je le répète, ne voyez aucune nostalgie passéiste dans ce billet. Juste une façon d'illustrer cette interrogation sur le matraquage dont nous sommes victimes, sur cette "nouveauté" que les sirènes hurlantes du marketing tentent de nous forcer de croire qu'elle est indispensable.
Et, au-delà du goût qui préside toujours à l'ordonnancement du lieu, de ces toiles monumentales peignant la géométrie de la raffinerie de Frontignan ou la vigueur des pêcheurs sétois toiles, à ce mobilier raffiné, à cet éclairage qui préserve l'intimité, à cette clientèle amicale, éduquée, au-delà de tout cela (ce n'est pas rien!), quel bonheur de goûter à une distinction qui n'est pas, loin s'en faut, une des qualités les plus remarquables en restauration. Pas de chichi-tralalas, des révérences ratées, de smokings en Tergal (avec chaussettes blanches…), juste le sentiment d'être reçu, servi, mais sans servilité. Avec classe.
Sans attendre dix ans, grâce à The Marcel entre autres (pour y revoir un beau photographe que j'admire aussi**), j'ai envie de revenir à Sète. Goûter une nouvelle fois à la permanence, au "dur désir de durer". Je le répète, ne voyez aucune nostalgie passéiste dans ce billet. Juste une façon d'illustrer cette interrogation sur le matraquage dont nous sommes victimes, sur cette "nouveauté" que les sirènes hurlantes du marketing tentent de nous forcer de croire qu'elle est indispensable.
* Le salon, c'était Vinisud, évènement passionnant mais vieillissant, avec ses halls au look de hangar d'aéro-club de banlieue (sans le charme des vieilles hélices…). J'y reviendrai un de ces quatre, mais il serait temps que ces salons renouent avec le monde du vin d'aujourd'hui, se "déringardisent", se rapprochent des vignerons, sous peine de s'essouffler.
** Je veux parler de Jean-Loup Gautreau, homme élégant lui aussi, dont je vous conseille le dernier livre, Sète, les Halles, recettes de commerçants, préfacé par Guy Savoy.
** Je veux parler de Jean-Loup Gautreau, homme élégant lui aussi, dont je vous conseille le dernier livre, Sète, les Halles, recettes de commerçants, préfacé par Guy Savoy.
Un interview qui devrait vous plaire... (enfin, vous déplaire autant que le reste de ce classement, on se comprend) : http://www.challenges.fr/entreprise/20140429.CHA3196/ce-jure-du-top-50-des-meilleurs-restaurants-du-monde-ose-dire-la-verite.html
RépondreSupprimerMerci, Mademoiselle, lFranck m'avait fait passer son texte d'Atabula.
Supprimerthe Marcel.....tenu par mon ami de toujours Yves Foury et sa femme Babette...Ils ont vendu il y a 1 an mais vous devez le savoir et Yves s'occupe toujours de sa galerie sur le quai;Oui quelle élégance cet Yves
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