'Roundup': sortir du syndrome de Stockholm.
Ce n'est pas le premier procès perdu par le groupe Bayer-Monsanto. Mais le verdict rendu la nuit dernière par le tribunal fédéral (l'épithète a juridiquement du poids) de Californie du Nord, à San Francisco, va faire très mal à la puissante multinationale qui devra verser près de soixante-douze millions d'euros à un retraité. Edwin Hardeman, après avoir utilisé à titre privé du Roundup durant trente ans, a contracté en 2015 un lymphome non-hodgkinien, une sorte de cancer rare qui aurait été causé par le célèbre herbicide. Bayer-Monsanto fait appel, mais la décision du jury devrait faire jurisprudence devant la même juridiction où sept-cent-soixante autres plaintes du même type ont été rassemblées. En tout, aux États-Unis, plus de onze-mille-deux-cent dossiers sont en cours!
Pour mesurer la portée de cette décision, il faut se rendre compte que l'on ne parle ici que de jardinage. Edwin Hardeman (ci-dessus à la sortie du tribunal avec ses avocates) utilisait le Roundup pour se débarrasser de l'herbe-à-puce (Toxicodendron radicans) qui infestait la propriété de 22 hectares qu'il possède à Forestville au nord de la Sonoma. Son cancer est en phase de rémission, et, durant l'instruction, le juge Vince Chhabria, nommé par Barack Obama, avait jugé "fragile" l'argumentation selon laquelle la maladie était liée à l'utilisation du désherbant. Imaginez quand il sera question d'examiner des dossiers mettant en cause des professionnels, autrement exposés au produit!
Évidemment, me reviennent en mémoire les images que je publiais il y a quelques jours de vignes brûlées par le désherbant. J'imagine la pollution qui en découlera, l'état du sol, de la flore, de la faune, la qualité de l'eau que certains boiront. Je pense aussi aux viticulteurs, ou à leurs ouvriers qui ont déversé le poison*.
Loin de moi l'intention de faire des agriculteurs des bouc-émissaires. Plus que de les stigmatiser (pour réutiliser ce mot devenu agaçant), aidons-les à se débarrasser des drogues qui nous tuent, qui les tuent à petit feu. Et ce n'est pas facile. Car si la prise de conscience a été relativement rapide chez les plus délicats, les plus soigneux, les plus précis**, on continue à traîner les pieds dans le prolétariat pinardier. Bizarrement, presque par bravade (par conformisme et ignorance également), ceux qui en sont victimes défendent leur bourreau chimique. Je parle d'expérience, pour avoir vu, dans le kolkhoze corbiérenc, le ton que prenait la discussion quand on évoquait les moyens de se débarrasser du saint Roundup, toujours défendu avec véhémence. Et, malheureusement, la répétition des cancers de ceux qui pourtant vivaient au grand air n'a guère fait évoluer les mentalités.
C'est la réglementation, la contrainte, qui mettront un terme à cet espèce de syndrome de Stockholm dont est victime (oui, victime) une partie du monde agricole. L'application de règles toujours plus strictes dans la manipulation et l'usage des molécules toxiques finira par avoir raison des réticences. À condition toutefois que la réglementation ne verse pas dans l'absurde, qu'elle ne mélange pas tout et n'importe et quoi. Qu'on ne demande pas pour un oui ou non de faire revêtir des tenues NBC au moindre opérateur de la vigne, hiver comme été, y compris en bio, sous prétexte (comme il en serait actuellement question) de permettre aux trusts chimico-pharmaceutiques de se laver les mains des futurs problèmes en les rejetant sur ceux qui n'auraient pas suivi le "mode d'emploi".
Pour autant, peu importe les grincements de dents, la suite est inéluctable. Pour reprendre le titre d'un article paru hier dans la très classique Revue des Vins de France***, "dans vingt ans (sûrement moins NDLR), les vins bio seront la norme dans le Monde". Même si l'agriculture biologique a elle aussi des aggiornementi au programme****, comment ne pas souscrire à cette affirmation?
* Qui d'ailleurs n'était peut-être pas du Roundup, méfions-nous de ne pas faire de ce "porte-drapeau" du glyphosate l'arbre qui cache la forêt des herbicides dont certains sont encore plus violents.
** Finalement, ceux dont nous buvons les vins…
*** Et qui finalement reprend la thématique de la chronique que je vous livrais ici il y a un peu plus d'un an alors qu'un des winemakers les plus réticents au bio tournait sa veste.
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