Pour qui sonne l'Angélus ?
"Vous ne faites pas de meilleur vin en étant bio". Nous sommes le 11 février 2015 quand sort cette phrase* (jamais démentie) dans The Drinks Business. C'est Hubert de Boüard qui la prononce au détour d'un entretien où il présente le millésime 2014, entretien qui avait servi de base à une réflexion sur le "bon goût" du bio publiée ici, où certains déjà, à l'image du critique Michel Bettane s'inscrivaient en faux contre les affirmations d'Hubert de Boüard.
Évidemment, aujourd'hui, cette phrase prête à sourire alors que l'on a sous les yeux le communiqué officiel de Château Angélus annonçant la conversion à l'agriculture biologique du premier grand cru classé de Saint-Émilion: "depuis plus de 15 ans, Château Angélus s'attache à protéger son magnifique écosystème, à limiter les interventions, à mettre en place une réflexion pour transmettre aux générations suivantes un environnement préservé. Tout cela avec un raisonnement scientifique et un suivi technique."
Pour autant, au delà des moqueries et le petit jeu facile des citations anciennes (pas tant que ça, trois ans) que l'on ressort, il me semble plus intéressant d'envisager les implications d'une telle décision.
Car on ne parle pas de n'importe quel domaine. Premier grand cru classé A (quelles que soient les conditions d'obtention de cette distinction et l'avis qu'on peut avoir sur les vins concernés), ce n'est pas rien à Bordeaux et dans le Monde. Pour plaisanter, on pourrait s'amuser de ce James Bond désormais va lui aussi boire bio**, il n'empêche que l'annonce de la propriété dépasse de loin ses trente-neuf hectares et va impacter pas mal d'autres vignobles.
Bien sûr, en Gironde, d'autres avant Angélus ont franchi le pas. On pense à l'emblématique Pontet-Canet, ou à Montrose, vaisseau-amiral de la famille Bouygues. Sans oublier tous les bio de la première heure, ceux qui il y a dix, vingt ou trente ans passaient pour des illuminés, voire de dangereux agitateurs. Mais Hubert de Boüard, c'est différent, au vu notamment de ses déclarations passées, du symbole aussi qu'il représente malgré lui d'un vignoble bordelais "plus pollueur que les autres"***, légende urbaine entretenue à des fins de marketing sensationnaliste par la Presse politico-pinardière à scandale et le simplisme des investigateurs de la boîte-à-cons.
Ce n'est pas de sincérité dans la démarche qu'il est question ici. Qui sommes-nous d'ailleurs pour juger de la sincérité des intentions? Même si on peut raisonnablement penser que la décision annoncée hier porte en elle des relents de greenwashing, d'importantes motivations commerciales. Est-ce vraiment un hasard si son annonce intervient à quelques jours de la grand' messe européenne de Prowein puis des primeurs de Bordeaux où elle sera abondamment commentée, plus encore que le coup de rouquin de James Bond?
Le bio a-t-il gagné la partie? Est-il devenu un standard, un minimum minimorum, pour ceux qui revendiquent le concept de grand cru? Combien, notamment au travers de changement de génération comme à Angélus, seront entraînés dans le mouvement? Contrainte et forcée, ou atteinte par une soudaine révélation, l'aristocratie mondiale du vin, la haute finance liquide, bien au delà de la Gironde, n'a-t-elle d'autre choix que la conversion? Par parenthèse, ce terme de "conversion" prend du coup ici une valeur quasi religieuse…
Les réponses ne vont pas tarder à se faire entendre dans le Mondovino de luxe. Il va en tout cas devenir de plus en plus malaisé de contester le bien-fondé de la démarche bio avec des arguments de viticulteur des Corbières, ou de marchand de poudres de perlimpinpin. Gageons que le vacarme des cloches d'Angélus portera loin.
* Phrase prononcée qui plus est devant la docte assemblée londonienne des Masters of Wine.
** Il en buvait notamment, en train, face à Eva Green, dans Casino Royale. Hubert de Boüard ayant réussi à négocier le placement d'une de ses bouteilles dans le cadre.
** Il en buvait notamment, en train, face à Eva Green, dans Casino Royale. Hubert de Boüard ayant réussi à négocier le placement d'une de ses bouteilles dans le cadre.
*** C'est plutôt en Champagne ou à Cognac qu'il faut chercher les plus gros pollueurs du vignoble français. Quant à la Gironde, elle n'a pas moins progressé que la Bourgogne par exemple.
Joli billet, mais il y a un hic: la décision de passage au bio semble plus être le fait de sa fille que celui de notre bon Hubert (bon du coup vos petites piques perdent un peu de leur saveur). Je crois me souvenir qu'en débarquant elle avait manifesté un intérêt pour la chose et annoncé qu'une réflexion sur la question était à l'étude. Curieux de voir ce que ça donnera en bouteille en tout cas, et heureux du fait que ça risque d'en encourager d'autres qui hésitent encore.
RépondreSupprimer« Combien, notamment au travers de changement de génération comme à Angélus, seront entraînés dans le mouvement?«
SupprimerLisez, c’est écrit. Lisez également le communiqué reproduit ici où il est bien signifié que HdB n’a pas totalement passé la main.
Ben je crois avoir correctement lu. "Stéphanie de Bouard-Rivoal et Thierry Grenié de Bouard, actuels dirigeants du domaine, font entrer, à son tour, Château Angélus en conversion bio".
SupprimerEt puis je pense que si cette décision était la sienne ses autres propriétés seraient déjà bio, ou au moins en voie de conversion, vous ne croyez pas? S'il ne dirige plus Angélus il est improbable qu'il ait pu prendre une décision aussi lourde de conséquences, surtout après avoir notoirement, et depuis longtemps, exprimé son scepticisme sur le bio, vous ne croyez pas?
1°) « Combien, notamment au travers de changement de génération comme à Angélus, seront entraînés dans le mouvement?« (Bis)
Supprimer2°) Changer d’avis, voire de convictions, en fonction des circonstances, vous l’en croyez incapable ?