Le sexe des anges.


Certains pays à l'âme vieillissante se recroquevillent sur eux-mêmes, sur leur gloire passée, sur les rentes de situation en ayant découlé. À tel point qu'ils ont fait de l'examen assidu (voire obsessionnel) de leur nombril une religion à part entière, une vision de l'avenir. L'élan est loin, l'énergie semble avoir déserté leurs vieux corps. Ne restent plus, sous des crânes ridés, que de pathétiques tempêtes aux bourrasques faiblardes, alimentées par l'ennui, l'inaction, l'aigreur.
Faute de vivre, de bâtir l'Histoire qui marche d'un pas trop rapide pour eux, on y tue le temps avec des histoires. Des histoires d'avant, souvent. Comme les papys sur le banc. 
On ressasse. Parfois même, on refait le match. Le passé ne se réécrit pas, pourtant, à la façon d'un Don Juan soudainement pris de sainteté, on croit pouvoir l'effacer. On envoie brutalement le balancier dans l'autre sens. Vers l'autre extrême.
Qu'on le veuille ou non, la récente épidémie de féminisme aigu qui frappe l'Occident est de ce tonneau.


Féminisme aigu, forcené, car ce n'est pas tant de la condition de la Femme (sujet sérieux et universel) qu'il est question que de mettre en œuvre une conception biologico-moralisto-politique de la société destinée à la nettoyer, la purifier, tel un "fascisme acceptable", de tout ce qui peut distinguer les sexes. Sexe, le mot lui-même est proscrit, tabou. On lui préfère le "genre", combattant évidemment tout ce qui est trop "genré", tout ce qui différencie, distingue.
Deviennent pour le coup tabous les notions de féminité, ou de virilité. Ainsi que les accessoires, matériels ou intellectuels, destinés à les exacerber (pour le plus grand plaisir de ceux qui font de ce concept qu'on dirait désormais honni, le plaisir, une valeur cardinale). Enfin débarrassés, grâce à cette pensée médiatiquement correcte venue d'Amérique, de la (délicieuse) confrontation des sexes, les rapports entre ce que l'on ose encore appeler les hommes et les femmes (finissons-en tant qu'à faire avec ces horribles dénominations sexistes!…) peuvent devenir aussi sensuels que les militantes de l'extrémisme féministe dont les exploits font le bonheur de la télé. Par parenthèse, on notera que cet extrémisme et sa chasse aux prétextes, comme la plupart des autres, passe désormais dans les rédactions cathodiques pour une bonne machine à buzz. C'est ainsi que quelques propagandistes gaies comme une prof de SVT syndiquée aux mollets poilus ont leur rond-de-serviette sur les plateaux des chaînes d'info, ces poubelles sans tri sélectif de l'actualité. "Ça fait vendre, coco! Et ne la maquille pas surtout."


S'il y a bien un mot important dans une récente tribune* qui a valu à Catherine Deneuve et Catherine Millet d'être traînées dans la boue, c'est celui de "puritanisme". Oui, l'envahissant extrémisme féministe est à mon sens une des expressions du puritanisme qui s'empare d'un Occident repu, inquiet, fatigué. Au même titre, par exemple, que les puritanismes alimentaires qui, s'alliant à l'hygiénisme, au prohibitionnisme des dames patronnesses, puis de la sous-culture Walt Disney, nous interdisent de manger de la viande**, du gibier***, du foie gras, du non-normatif****, de non-aseptisé, de boire du vin… Tous ces gens, gris de ne jamais se griser, volontiers hypocrites, combattent, répriment nos péchés, nous remettent dans "le droit chemin", chemin forcément unique dans leur monde qui ne connaît que Dieu et le Diable. Infantiliser plutôt que qu'éduquer ou  convaincre. Prohiber, contraindre.
Est-il besoin de vous signifier à quel point je conchie cet univers, la fadeur opportuniste de sa pensée molle, les robinets d'eau tiède qui utilisent davantage la photocopilleuse que leur libre-arbitre? Comment ne pas avoir envie de leur opposer l'excès, chanter les vigoureuses vertus de l'intempérance, danser sur les excitantes, sadiennes, crêtes du risque? De leur raconter la sueur, le mélange des peaux, l'ivresse, les corps qui s'emboîtent, l'orgie, les drogues auxquelles ils ne songent pas, la débauche, la luxure, le bonheur de la transgression, l'orgasme vénéneux, les yeux ouverts dans la nuit? Comment ne pas dire merde à leurs peurs?


Je me demande finalement si le néo-calvinisme de l'extrême-féminisme ne va pas susciter, un peu comme l'anti-racisme subventionné à la française, une réaction. Souhaitons juste qu'elle soit moins idiote que la plupart des réactions qui souvent répondent à la caricature par la caricature, à l'extrême par l'extrême, et que, plutôt qu'un "Front machiste" (déjà en place dans certaines communautés, certains territoires oubliés de la République) se dresse, rabelaisienne, libertaire et joyeuse, une nouvelle Compagnie de la contre-Lésine*****. Non, je ne me le demande pas en fait, je le souhaite.
J'y pensais encore récemment alors qu'il était de nouveau question d'un vin "féminin". Vous comprenez bien que dans le contexte actuel, un vin féminin, ça n'a plus droit de cité. Amusez-vous à sortir ce terme (pourtant fort usité) dans la pseudo-branchouillerie pinardière et vous verrez immédiatement une foule (quatorze ou quinze twittos…) vous tomber sur le râble en poussant des cris d'orfraie, mi-camionneuses, mi-pucelles effarouchées! Je ne vais pas vous la refaire, j'évoquais ce grand moment de ridicule indigné****** dans cette chronique consacrée à Dany Rolland.


Ces pitoyables discussions sur le sexe des anges, byzantines à souhait, m'amènent directement à une bouteille magique qui vaut bien mieux que les palabres sus-citées. Et leur survivra. Un saint-émilion, qui vaut des millions (de cents) certes, mais dont la classe et le détachement nous transporte dans un univers autrement plus raffiné que celui des harpies et des poissardes. Il nous en guérit, agit comme un baume*******.
Bélair Monange, ici dans sa version soft (2012), est-il féminin? Masculin? On en revient, je crois, au sexe des anges. Sa puissance contenue a quelque chose de troublant. S'il est féminin, c'est avec une pointe sinon phallique, au moins tannique, de tanins fins éduqués au calcaire. Quant à son éventuelle masculinité, elle sait se faire caressante, empressée, enveloppante, sans jamais faire la pute comme c'est parfois le cas dans son village. Il possède ce qui manque cruellement aux discours crétins, haineux, qui, au lieu de chercher à résoudre les problèmes, éloignent, séparent, il possède l'équilibre.
Certain verront dans cet équilibre comme de la tempérance. Peut-être. Je crois moi, au contraire, qu'on peut en boire beaucoup. Excessivement. Pour jouir de son élan androgyne.




* Si vous étiez partis en congés sur Mars, l'objet du délit, avec ses imperfections mais aussi son parler-vrai, est ici.
** Vous trouverez sur ce blog une bonne douzaine de chroniques qui approfondissent mon propos en la matière, la dernière en date est .
*** Vous en voulez de l'hypocrisie? Lisez ce qu'il y a au bout de ce lien.
**** Les normes, ça aussi, on en parle souvent, comme ici.
***** Compagnie imaginaire créée durant la Renaissance italienne pour contrer, et surtout rire de la triste Compagnie de la Lésine, peuplée d'avares et de vétilleux. Sur les traces de Rabelais, d'une certaine façon, cet indispensable ami ligérien.
****** Des indignations généralement sélectives, qui toujours excluent la triste condition de la Femme dans l'Islam.
****** J'étais effectivement malade quand de généreux amis, vignerons, sont arrivés avec la bouteille, je ne voulais pas de vin, il m'a convaincu et soigné.



Commentaires

  1. Il s'agit bien sûr d'un pan de colonisation culturelle anglo-saxonne (bientôt achevée, ne vous inquiétez pas ; il n'y a pas de retour en arrière possible d'ailleurs...), facilitée par le fait que vous trouvez désormais exactement les mêmes informations et la même façon de les traiter (de les penser/présenter) aux US, en Angleterre, France, Suède, Portugal ou Tchéquie etc. Mais bon, il parait que c'est les "fake news" le problème, c'est d'ailleurs le Monde et Libé qui le disent... Au-delà du sens de l'Histoire qui fait que l'on ne sera plus qu'une province de l'Empire identique aux autres d'ici peu, le plus embêtant c'est quand même que les médias (car tout ça n'est que construction médiatique) nous imposent une façon de penser, que c'est bien eux qui modèlent la société, décident du bien et du mal, du bon et du mauvais de manière manichéenne sous couvert de combat égalitaire et de justice. On note que comme dans les 60's avec "l'avènement des libertés et de la jeunesse", comme avec le véganisme/végétarisme, avec l'écologie de surface, l'ouverture sans limite des frontières, le féminisme 2.0 (le nouveau, celui où les femmes ne sont plus fières d'être femmes mais veulent être un homme comme les autres - ado dans les 90's, j'ai été fier de découvrir qu'un pouvait être un homme de tellement de manières différentes, aujourd'hui on est réduit à être forcément suspect) on n'est jamais dans un combat qui émane réellement du peuple mais aussi jamais dans un combat de justice sociale et d'amélioration des conditions de vie collective. On est dans des combats dictée par l'élite néo-capitaliste qui a besoin d'occuper le peuple et de lui dicter sa route, de le diviser et de détruire sa culture pour en faire un individu profondément seul, malléable et captif. L'ironie bien entendue de l'absence dans ce contexte de critiques ou mêle de questionnements d'une religion profondément sexiste, profondément identitaire n'est ni anodine ni accidentelle, elle est d'une façon ou d'une autre l'avenir de ce pays). Vous pouvez sérieusement vous demander qui tire les ficelles et écrit ce monde hypocrite.

    Tom B.

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  2. Aucun rapport (petit poème en vers)

    Jadis célèbre dans son cénacle d'obligés,
    De fonctionnaires et d'usagers
    Un vieux barbon s'était trouvé fort dépourvu
    Quand la retraite était venue.

    Tournant le dos à ce qui l'avait nourri,
    Le négoce et les vins de grosse cavalerie
    Il se prit d'une soudaine passion
    Pour des produits à boire sans soufre et sans façon.

    Aigri d'avoir été largement oublié
    Comme un rapport suranné
    Il donne à présent des leçons pratiques
    De journalisme et de politique.

    Sur tout il a un avis
    Et tant pis si tout le monde en rit
    De morale il se pique
    Mais il faudrait beau voir qu'il se l'applique.

    Tout est suspect pour lui, de ce qui réussit
    Le riche, le puissant, voilà l'ennemi,
    Parlez-lui plutôt d'activistes,
    D'esprits forts et d'altermondialistes.

    En Province, je l'ai croisé dernièrement
    Lors d'un petit événement
    Je suis allé à lui très humblement
    Mais pour moi il n'avait guère de temps.

    Depuis, le grand homme est rentré
    À Paris dans son joli terrier
    Il y lance toujours à l'occasion
    Coups de griffe et accusations.

    D'un grand personnage étant mort il y a peu
    J'avais écrit un mot ou deux
    Il y vit une forme de récupération
    Une course au lecteur, une sale opération.

    De la bile de ce petit rapporteur
    J'ai soupé, j'en ai bien peur
    Aux oubliettes de ma mémoire
    Je veux l'envoyer dès ce soir.


    Dans ce cachot
    Sa vieille écharpe lui tiendra chaud
    Son dépit il ruminera
    Et son fiel il boira.


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