De la relativité des choses.


J'ai failli tomber de ma chaise. Je l'aime beaucoup d'ailleurs, cette chaise. "Une pompe" comme disent avec mépris les antiquaires, une pompe de la Wishbone de Wegner*, toujours aussi jeune (esthétiquement) malgré ses presque quatre-vingt-ans. "Un truc de bobo" renchériront les involontaires héritiers de Hanns Johst, forcément allergiques à toute forme de culture, et incidemment de beauté. Qu'ils retournent devant la boîte-à-cons. Ou à Ikea.
Enfin bon, a priori, on n'était pas parti dans cette chronique pour parler de mobilier vintage (fût-il de contrebande) mais de la raison qui a failli me faire tomber de cette chaise d'un blond danois: une histoire d'huile. Une nouveauté, du genre de celles qui (à base principalement de communiqués de Presse) servent à remplir les brèves des magazines qui ne savent trop quoi raconter.


L'huile, donc. D'olive évidemment**. Même si l'argan parfois, et le carthame (auquel, en le mariant au céleri et la truffe, on va tenter de me convertir demain***). J'apprends que la dernière tendance que l'on essaie de vendre aux foodistes, et à ceux qui mangent comme on regarde un défilé de prêt-à-porter, c'est l'huile "maturée"****. Si, si, je vous promets.


Apparemment, renseignement pris, il ne s'agit pas de vieille huile, qu'on aurait encavée comme une bouteille de vin, parce que, normalement, on continue d'appeler ça de l'huile rance, mais d'huile extraite d'olives "maturées". Bon, on verra*****, mais je ne peux m'empêcher de rigoler un bon coup en pensant aux ânes qui ont besoin de tels gimmicks, de tels procédés marketing un peu ridicules, avec signes de reconnaissance simplifiés, pour adhérer à telle ou telle opération commerciale.


La mode et ses éventuelles plumes dans le cul me donnent l'occasion d'évoquer une huile que j'adore, d'un point de vue organoleptique, et aussi que j'aime d'amour. Elle vient des Corbières où il convient de saluer plutôt deux fois qu'une ceux qui se battent pour faire bon tout en endiguant la contagieuse médiocrité kolkhozienne.


C'est l'huile de Philippe Courrian, précurseur des vins sains, prince sans couronne de la Vallée du Paradis. Il la presse à partir de ses olivière, aglandau et picholine. Et elle me parle. Elle me raconte le moulin de Cucuron quand j'étais petit, les dame-jeannes en résille de fer (les mêmes que celles du rasteau de mes tantes). Elle me rappelle aussi le romantisme rustique de ces Corbières qui méritent bien mieux, j'en demeure convaincu. Elle ne me le rappelle pas, elle me le dit. Précisément. Cette poussière blanche sur le chemin de cascadais, la vigne de l'autre côté de la rivière, le feu de bois, une pointe de sel quand souffle le Marin et que ses nuages coulent depuis la montagne.


L'huile de Philippe, et maintenant aussi de Marie, est peut-être ma meilleure huile du Monde. Parce qu'elle est chérie, qu'est est le centre de toutes les attentions. Et Philippe est sûrement, derrière son côté ours, un des êtres les plus attentionnés, les plus délicats que je connaisse. Elle est délicieuse également car préservée; cette idée géniale d'avoir voulu emballer chaque bouteille d'une feuille de papier-journal pour justement éviter qu'à cause de la lumière, ou de changements de température trop brutaux, elle ne "mature". Et que sa bonté nous quitte.


L'huile de Cascadais me remplit d'amour. Un amour empreint d'une pointe de nostalgie, où il est question du temps qui passe et "ne se rattrape guère". Mais qui, par sa douce vigueur, nous rappelle que demain existe. Qui par son humilité, si loin des marketeurs et des boutiquiers, nous enseigne la relativité des choses, y compris celle de nos goûts. Parce que lui, parce que vous, parce que moi, parce que toi******. 
Une nostalgie sans tristesse, presque gourmande, sentimentale. Un peu comme dans cette chanson de Souchon, cette plage de la mer du Nord, l'Audi de son mari, les lacunes, l'hiver… Même si la saison est davantage aux plages des mers chaudes, caribéennes, qui savent elles aussi, loin de la Belgique locale, parler de décalcomanies, de flonflons à la française, d'éléphants gris-vert.




* Si la version actuelle vous plaît, c'est ici.
**  Je dois me méfier de cet adverbe, il paraît que j'entretiens avec lui une drôle de relation amoureuse.
*** Huile de carthame de haut vol, en plus, de chez le boulanger magique de la Ferme du Roc à Port-Sainte-Marie dont je dois vous parler depuis si longtemps. J'en profite, vieux vicelard que je suis, pour vous balancer ci-dessous le menu (de rêve) où cette huile aux mille vertus (nous disent Diana Ubarrechena et George Oxley) fera son apparition au côté de la truffe noire.
**** Vous avez évidemment compris le clin d'œil, la référence marketing à ces viandes embarquées parfois dans l'entrepôt d'un négociant import/export de la banlieue de Madrid et dont on fait, comme d'un canasson un cheval de course, après un longue et ostentatoire maturation chez un boucher barbu. Je m'en moquais , notamment.
***** Je ne veux surtout pas critiquer "l'huile d'olives maturées" (et non "d'olive maturée" comme l'orthographe défaillante des cuistots peut parfois le laisser penser), je n'en ai pas goûté, en tout cas sous sa forme "moderne". Ou alors sans le savoir, à la façon de monsieur Jourdain, en pensant à l'huile "d'avant". Je me contente généralement d'olives mûres. Pas surmûres, et encore moins ayant attendu d'êtres pressées, l'attente faisant monter l'acidité, ennemie numéro un de la qualité.
****** Ce que dit d'une façon plus triviale le T-shirt sud-américain qui ouvre cette chronique.


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