Il inventa le chef.


Paul Bocuse n'était pas le premier chef "médiatique", d'autres avant lui mirent un coup de projecteur sur des fourneaux où ils régnaient avec majesté; je pense entre autres à Prosper Montagné, à Auguste Escoffier qui commencèrent de diversifier leur activité, à la faire sortir de ses cuisines. Mais Monsieur Paul, lui, fit du cuistot une star, une vedette, quelqu'un qu'on reconnait au premier coup d'œil, quelqu'un dont le visage équivaut à une signature, comme un acteur de cinéma ou un chanteur. Est-ce un bien? Est-ce mal? J'ai mon idée là-dessus mais ce n'est guère le moment. Nous reparlerons dans d'autres circonstances du trop-plein de chefs et du manque de cuisiniers.


Paul Bocuse, à sa façon, était vraiment un enfant du siècle. Du vingtième. Il a connu la mère Brazier qui lui enseigna qu'un marmiton ça devait aussi s'occuper du potager et des vaches*, la guerre et la Libération de Paris, dut même racheter son nom, symbolisa les Trente-Glorieuses, servit de la soupe aux truffes à l'Élysée, griffa des cuisinières aussi noires que sa toque était blanche, reçut la Légion d'Honneur, monta des concours, écrivit et fit écrire. Il incarnait la France à Table.
Nous avons presque tous le souvenir d'une recette de Monsieur Paul, mangée dans son restaurant ou lors d'un de ses voyages, parfois même estropiée par un des lecteurs ou imitateurs. Celle qui me vient à l'esprit, à l'instant, alors que j'apprends sa disparition, c'est un filet de bœuf à la réglisse, puissant, presque trop, destiné à escorter un haut-médoc jeune.
Mais, à défaut d'un goût ou d'un instant, nous nous souviendrons tous de son nom devenu une marque.





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