Coquetterie.


N'avez-vous jamais craqué sur une femme, sur un homme que la Nature a pourvus d'une légère coquetterie? Non pas qu'elle, il passe sa journée devant son miroir, ou chez le marchand de fringues, c'est de coquetterie oculaire qu'il s'agit, de cette esquisse de strabisme qui donne au regard quelque chose de si particulier, de si troublant.
J'ai un peu le même rapport, émotionnel, amoureux, avec certains vins. Avec un de leurs défauts, l'acidité volatile, considérée pourtant comme le cauchemar du vigneron. Oh, rassurez-vous, je ne vais pas faire l'apologie de pinards louches, qui louchent davantage en tout cas que Dalida et Joe Dassin réunis. J'ai écrit, ici notamment, ce que je pensais de ces trucs, plus proches du vinaigre que du picrate, qui font friser les poils du nez du buveur éduqué. Aujourd'hui, je veux vous parler de ces vins dont, tels la femme ou l'homme adorés, une légère imperfection vient souligner le charme.


Cette bouteille-là, par exemple. Tombée par hasard dans mon verre cet été. Tout sauf une beauté parfaite, mais pour moi un grand moment d'émotion. J'écris "pour moi", car, avant que son étiquette ne soit dévoilée, il y a eu débat à table, sur le fait de savoir s'il s'agissait d'un défaut négatif ou positif*. De mon côté, j'ai succombé à son charme fou, nature ma non troppo, à son extravagance maîtrisée mise en exergue par une pointe de volatile "juste", qui dynamisait ce pinot d'exception et servait de support d'arômes, sublime coquetterie. 


Chez les gens civilisés, le vin arrose un plat. Quitte à surprendre, sur ce pinot qui pourrait aussi appeler la peau de poulet sportif rôtie (j'imagine la coucou-de-rennes de La Ferme de la Ruchotte…), je vous suggère d'accentuer son côté éthéré en le mariant avec la mer. Gambas rojas, de Palamós, de Denia ou d'ailleurs, voire rutilants carabineros à la tête hallucinogène.
Par parenthèse, voilà encore une bouteille de ce millésime 2013, que certains condamnait avant même le premier coup de sécateur et qui m'a déjà procuré, en Bourgogne notamment**, d'intenses joies.


Si ce clos-de-bèze de haute lignée représente le versant soft de cette perversion qu'est l'excès d'acidité volatile, en voici en revanche une version hard, mais qui fonctionne parfaitement. Plus du tout le même cépage, la syrah, noble elle aussi en l'occurrence, a remplacé le pinot noir et nous sommes sur un des plus prestigieux granites de la planète liquide, celui de Cornas. Pas chez Thierry Allemand*** mais chez un de ses proches voisins qui sur les traces de son oncle Robert Michel, le pape de l'appellation, travaille une partie de la célèbre parcelle de La Geynale: Vincent Paris. 
Là, avec la cuvée Granit 60****, on a presque envie de dire que la volatile est l'épine dorsale de ce vin qui sent le poivre et le havane, reconnaissable à coup sûr, elle est sa signature. Forcément, cette caractéristique déconcertera celui qui "goûte au défaut". Mais sur un plat adapté, avec ce qu'il faut de gras de mouton, ou de crème, l'accord sera stupéfiant, la coquetterie s'avèrera indispensable pour atteindre la perfection. Grâce à l'imperfection.





* La positivité du défaut, éternel débat pinardier, évoqué notamment ici.
** Je repense en particulier à cette autre cuvée bourguignonne sans-soufre, émouvante elle aussi. Tendre et chatoyante écrivais-je à l'époque.
*** "Allemand über alles", racontait cette chronique.
**** De vieilles vignes de soixante ans sur un mur de granite à 60%, pas loin d'ailleurs du Chaillot de Thierry Allemand.


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