L'ivresse des chiffres.
Rouler bourré, c'est mal, j'en conviens. Mais, parfois, je me demande si écrire à jeun n'est pas plus dangereux. La Presse française, ou en tout cas les stagiaires et les sous-fifres besogneux qui la faisaient tourner au mois d'août nous en ont en tout cas livré une éclatante démonstration. En cause une compilation d'études médicales sur les pathologies dues à l'alcool, publiée par la revue The Lancet et abondamment relayée dans l'Hexagone avec ce qu'il faut d'effrayant, de sensationnalisme, sur l'air de "on va tous mourrrrrir!"
Au cas où ses brillantes conclusions vous auraient échappé, en cette période de l'année où le papier-journal sert davantage à allumer le barbecue (autre activité fortement pathologique), les inquiets, les aigris et les souffreteux des rédactions désertées nous ont expliqué, dans un bel élan de puritanisme, que dès que nous approchions la moindre goutte d'alcool, peut-être par le fait-même d'y penser, nous étions foutus. La nécessité d'instaurer au plus vite la fantasmatique prohibition n'était pas explicitement formulée, mais il suffisait de presque rien, juste quelques années de plus pour qu'on lui dise je t'aime.
Dans Le Figaro du 25 août par exemple, titre qui, comme souvent (toujours?), pointe dénonce le coupable, l'ennemi, le Diable, bref, le vin, d'une photo vengeresse, le professeur Michel Reynaud, président du Fonds Action Addiction et concepteur du site addictaid.fr, nous donne la chair de poule: "la courbe de synthèse des risques montre l’augmentation de mortalité dès le premier verre". "Pas de niveau minimum d'alcool qui ne soit dangereux pour la santé" reprennent en cœur TF1, France Info, La Dépêche du Midi et tant d'autres, la messe (médiatique) est dite, il faut en finir avec le pinard, symbole haï d'une "vieille France", ivrogne et carnivore, qu'il est doux de fouler aux pieds quand on veut obtenir son certificat de djeun branché et "révolutionnaire".
Le problème de cette ivresse vengeresse, c'est qu'elle se heurte aux chiffres comme le rappelle mon camarade le critique Bernard Burtschy. Pour le coup, le gentleman-farmer alsacien du Beaujolais endosse une autre casquette, celle de Docteur en Statistique-Mathématiques de l'Université Pierre et Marie Curie à Paris. Et en revient aux faits qui, comme chacun sait, sont têtus.
"Que dit cette étude ?Eh oui, une augmentation de 1,2% du risque de développer une pathologie quand on boit cinquante centilitres de vin par jour. C'est énoooooorme! Et encore, comme le souligne Bernard épargne-t-il aux addictologues l'argument massue, celui de la marge d'erreur statistique inhérente à ce genre de compilation médicale, et qui justement avoisine les 1%…
Les personnes âgées de 15 à 95 ans qui augmentent leur risque de développer l’une des 23 pathologies recensées est de 0,5%. Un verre d’alcool* touche 918 personnes sur 100 000, mais les non-buveurs seront de toute façon 914 à être touchés par une de ces pathologies.
À deux verres par jour, ce seront 977 personnes sur 100 000, soit toujours un peu moins de 1%.
À cinq verres, ce seront 1252 personnes sur 100 000, soit à peine plus de 1%."
Beaucoup de bruit pour rien, donc. Ou alors si, juste ce bel élan évoqué plus haut, le puritanisme, onanisme de l'impuissant. Et ce besoin de s'offenser pour rien** qu'évoquait dans un tout autre domaine, mais fort justement, hier, le dessinateur Joann Sfar, interrogé sur Europe 1 à propos de son métier depuis les attentats de Charlie Hebdo, dresse un constat alarmant. "On se demande si les tueurs ne sont pas en situation de succès total. Les dessinateurs n'ont jamais eu autant d'angoisse que depuis les massacres de Charlie Hebdo, car tout le monde est offensé par tout dorénavant. On est dans la génération des offensés et tout le monde est toujours vexé par quoi que ce soit. Dessiner aujourd'hui, c'est devenu compliqué car les censeurs ont gagné et sur toute la ligne".
Pour en revenir aux tristes sires de la Prohibition et à ceux qui, pris par l'ivresse des chiffres, leur servent la soupe, je les enjoins, au nom du sacro-saint principe de précaution, d'enfiler au plus vite un masque-à-gaz, de s'enfermer dans un bunker aseptisé, en buvant de l'eau filtrée trente fois, en avalant des pilules nutritives certifiées par les plus grands laboratoires (ceux-là même qui ont une marge supérieure parfois à leurs enquêtes médicales) et en évitant l'amour qui est une cause avérée d'infarctus. Ou mieux, de se suicider, ce qui est de loin la façon la plus efficace de se prémunir contre toutes les méchantes pathologies.
* On appelle un verre d’alcool (une unité pour les études), un verre de vin ou de champagne de 10 cl, un demi de bière de 25 cl à 5% Vol. ou 3 cl d’un alcool fort.
* On appelle un verre d’alcool (une unité pour les études), un verre de vin ou de champagne de 10 cl, un demi de bière de 25 cl à 5% Vol. ou 3 cl d’un alcool fort.
** J'ai également envie de faire le parallèle, en terme d'offense, avec la volée de bois vert (et les insultes graveleuses ou malséantes) qu'a reçue Constance, l'humoriste de France Inter après avoir conclu une de ses dernières chroniques seins nus. Puritanisme, frustration et hypocrisie là-encore.
Un monde Americano - musulman qui se dessine de plus en plus clairement. La France (et l'Europe) peuvent choisir leur camp, car de toute façon elle sont vouées à disparaitre ou devenir informe en tant qu'entités culturelles propres. Alors, peste ou choléra ?
RépondreSupprimerTom B.