Les truffes, l'aigreur & la cohérence.


"Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué", voilà bien l'expression qui me brûlait les lèvres ce matin, à la fraîche, sous les platanes de la terrasse du bistrot, alors que le village encore pavoisé de bleu-blanc-rouge défilait pour le petit noir. 
"Champions du Monde!", "on est champions!", "c'est plié!"… je n'y connais rien au football et je souhaite tous les bonheurs du Monde justement aux Bleus, mais je sais aussi que le pire péché d'orgueil, en sport notamment, consiste à insulter l'adversaire en croyant la partie gagnée d'avance.


Plusieurs champions du Monde, en revanche, officiellement sacrés et médaillés sans attendre le 15 juillet, ont croisé mon chemin numérique ces derniers jours. Et pour le coup, ce n'est pas de ballon rond dont il est question, mais de gastronomie. Il se trouve que (comme je vous l'ai enseigné dans de précédentes chroniques) que j'ai la chance de cuisiner de remarquables truffes noires, nées bien évidemment de l'hiver australien puisqu'ici dans l'hémisphère nord nous sommes en été . 
Ceux qui en ont dans l'assiette s'en régalent, mais, pour le plaisir de rouméguer*, certains font les intéressants (ou tentent d'exister) en dénonçant ce "terrible crime" contre la saisonnalité et la Nature. La saisonnalité, d'abord, parlons-en, les Tuber melanosporum photographiées ici sont d'authentiques produits de saison; on est même au cœur de la saison, quelques rudimentaires notions de géographie permettent de s'en rendre compte. Utiliser de la truffe australienne en juillet n'a rien à voir avec le fait de manger de l'asperge française en décembre ou des fraises, des tomates françaises en avril, c'est même plutôt le contraire.
Le crime contre la Nature ensuite. Ce reproche n'est pas totalement infondé puisqu'effectivement ces truffes, bien que sélectionnées par un des experts européens**, nous arrivent par avion ce qui représente donc un empreinte carbone réelle. Sauf que tout esprit logique pondérera cette crainte par un raisonnement logique fondé sur un rapide calcul: de la truffe, ce condiment, on n'utilise que quelques grammes par tête. 


Pour autant, étant particulièrement sensibilisé à l'argument écologique, je veux bien m'y plier. À quelques conditions toutefois, que ceux qui criminalisent la truffe australienne, fassent immédiatement preuve de cohérence. Finis le café (on a de la chicorée et des glands!), le thé (vive la verveine!), le chocolat, le poivre, la noix muscade, la cannelle, toutes les épices pratiquement. Il va également falloir se passer définitivement de la sauce soja, du gingembre, du nuoc-mâm, du riz basmati, du lemon grass et de tant d'autres délices asiatiques. Que dire également des bananes, des ananas, des mangues, des avocats voire des oranges et des citrons? Car j'imagine que le temps que l'on passe un kilo de truffe australienne, on aura consommé quelques tonnes de bananes martiniquaises ou canariennes… Tant qu'à y être, on songera au tabac et à la nécessité de remplacer nos bons vieux Épicure n°2 et autres Ramón Allones par du gris de Tonneins.
Par charité chrétienne, j'éviterai d'évoquer l'habillement de mes contradicteurs(trices), j'imagine que leurs vêtements ont tous été confectionnés à base de laines et lins locaux (coton prohibé) par le tailleur voisin. Idem pour les sous-vêtements: tangas en dentelle de Calais pour les dames du nord de la France et string de cuir de Graulhet pour les sudistes. En matière de chaussures, ce sera le grand retour du sabot de Bethmale, seul concurrent tricolore à la merveilleuse Heschung alsacienne et aux fétichistes souliers de la Maison Ernest
Last but not least, leurs loisirs seront au diapason de cette salutaire prise de conscience écologique. Pas de Coupe du Monde de football, horriblement lointaine et énergivore (même la télévision), leur passion sera assouvie en allant à pied (finis la voiture, le train, l'avion!) au stade municipal soutenir les benjamins du club du village face à ceux du bourg voisin. Quant à leurs éventuelles invectives sur les gourmands réseaux sociaux (songez à la puissance des serveurs informatiques de Facebook ou Twitter à côté desquels ma pauvre truffe australienne passerait pour du pipi de chat!), j'espère qu'elle auront été formulées sur des téléphones portables à rechargement à pédales bricolés par le mécano du quartier à partir de composants informatiques "kilomètre zéro"…


Pour dire vrai, ces leçons de morale m'ont un rien agacé car il se trouve que j'ai la chance de raboter la truffe dans un des rares restaurants français où l'on n'utilise pratiquement que du bio et du local, où par exemple le bœuf de Chalosse est préféré au pseudo bœuf "de Galice" métronomique, où la melano australienne est vécue comme un petit coup de folie festif et passager. 
Heureusement, une*** journaliste qui sait tout sur tout (désolé pour le pléonasme) et notamment sur la truffe m'a, entre autres âneries et après m'avoir doctement informé du fait que la saison de la Tuber melanosporum était terminée depuis mars, expliqué que les truffes noires ici photographiées étaient en fait des truffes d'été. L'occasion de quelques bons fou-rires et de demander à cette influenceuse qui se pique d'écrire sur le vin (et ne néglige pas en voyage de Presse de dire tout le bien qu'elle pense du Cloudy Bay néo-zélandais) de se fendre urgemment d'un papier réclamant l'interdiction totale de l'exportation des vins et spiritueux français****. Le deuxième poste excédentaire du Commerce extérieur français représente, avec ses deux milliards quatre cents mille bouteilles expédiées à l'étranger, une menace écologique d'une ampleur telle qu'un esprit éclairé se doit de contribuer avec force à sa disparition. En terme de cohérence, c'est évidemment essentiel…




* Râler avec aigreur comme on dit en français d'Occitanie.
** Jean-Luc Clamens de la Maison Gaillard à Caussade. J'avais évoqué ici sa truffe des antipodes.
*** J'hésite à préciser ici son sexe puisqu'à bout d'argument, elle a entamé le couplet de la victimisation sous-entendant qu'en contredisant sa parole d'évangile, je m'en prenait à son droit, en tant que femme, à la liberté d'expression. Parce que forcément, quand on est un homme et qu'on signifie à une femme qui dit des conneries qu'elle en dit, c'est du machisme pur et dur…
**** Au passage, songeons à interdire l'exportation de la truffe française, notamment dans l'hémisphère sud.


Commentaires

  1. J'espère avoir bien lu et n'être pas passé à côté de l'info mais, de quel restaurant est la carte visible en bas de l'article ?
    On en salive déjà.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés