Penser patois.


Loin du liquide et du solide (je dois vous avouer que la soif et la faim m'ont quitté) mais au plus près des idées, de tous côtés, on me demande en privé mon avis sur le long hiver dans lequel s'est installée la Catalogne, et dont je suis d'une certaine façon l'otage. Désolé de ne pouvoir répondre à chacun en privé. Voici donc, publiquement, mon opinion.


D'abord dans ce scrutin, il y a une réalité, le national-populisme est minoritaire dans cette région: les partis indépendantistes, ultra-Gauche incluse, culminent à 47,5% des suffrages. Cela n'empêchera pas la Presse étrangère de continuer à titrer sur "les Catalans" qui veulent ci ou ça sans tenir compte de l'arithmétique. 
Mais le système électoral local est ainsi fait (ce n'est ni le lieu ni le moment de le contester, il est comme le vent ou un arbitre anglais) que les voix des régions reculées, plus nationalistes, "arriérées" diront les méchants, pèsent davantage. Une voix de Gérone ou de Lerida compte double par rapport à celle de Barcelone et de sa banlieue, métropole forcément plus ouverte au Monde. D'où un résultat en sièges qui en étonne certains.


Concernant l'érosion assez limitée du socle national-populiste, alors même que la Catalogne est en train de dégringoler, franchement, c'est bien le moins après trente ans de bourrage de crâne, de réinvention de la réalité et de 'normalisation' linguistique (trente ans en parallèle de déclin économique de la région).
L'école d'abord, embrigadement obligatoire pour le bas-peuple; les enfants de la bourgeoisie (à commencer par ceux des nationalistes) vont dans les écoles internationales, au lycée français, anglais, suisse, etc.
Le système médiatique public, ou privé subventionné, fortement inspiré (jusque dans la forme du journal télévisé parfois) par la joyeuse Pologne des années 80, la culture aussi devenue instrument de propagande.


Face à cette pensée monolithique, obsessionnelle, qui n'entend que l'unanimisme, le conformisme absolu, ceux qui auraient pu l'ouvrir ont choisi de la fermer. De laisser faire, de se fondre dans la normalité, comme sous Franco. Et ont composé avec le pujolisme, sorte de totalitarisme moderne et sympathique
Aujourd'hui, certains d'entre eux, déconfits, épouvantés par la catastrophe économique et sociale* qui s'amorce, voudraient (comme je l'écrivais ici avant-hier) que nous pleurions sur leurs propres larmes. Sans cruauté, je leur dis la phrase d'Aïxa, la mère de Boadbil alors que le dernier émir espagnol geint en contemplant une ultime fois Grenade : "Pleure maintenant comme une femme un royaume que tu n'as pas su défendre comme un homme!"


Tout cela évidemment, pour des esprits cartésiens évoque un suicide collectif, le Temple solaire, Waco. Assurément, il y a quelque chose d’un phénomène sectaire, d'une hystérie collective dans cette affaire. Une part revancharde aussi, dopée intérieurement par une bonne dose de suprématisme et d’égoïsme, alimentée extérieurement par un président du gouvernement espagnol sûrement plus calculateur (à court terme, d’un point de vue politicien, électoraliste) qu’aveugle. Par parenthèse, j'ai presque envie de dire que si Mariano Rajoy voulait aujourd'hui faire de la vraie politique, et tenter un coup de poker, il proposerait séance tenante l'organisation d'un référendum de sécession aux leaders catalans. C'est peut-être à moyen terme sa seule carte à jouer quand on entend les discours survoltés des catalanistes, Carles Puigdemont en tête, nouveau pourfendeur de l'Europe.


Je sais pertinemment que ce texte me vaudra, de la part d'excités du national-populisme, de me faire traiter de "franquiste". Ce qui ne manquera pas de sel quand on sait les horreurs xénophobes, sexistes, homophobes, proférées par ces gens depuis des années. Et quand on songe, il y a quelques jours, à cette manifestation bruxelloise où les drapeaux cubano-catalans se mêlaient avec allégresse aux oriflammes de leurs souteneurs, nostalgiques flamands du Front de l'Est. Toujours est-il que je leur répondrai ici et nul part ailleurs que le minimum minimorum dans une démocratie (concept dont ils se veulent les champions), c'est de pouvoir, intelligiblement, sans vociférer ni brandir des drapeaux comme un supporter de foot, sans que ce ne soit considéré comme une marque "d'irrespect", de "haine**", exprimer son opinion, fut-elle contraire au dogme d'une prétendue majorité.


Tant qu'à dire ce que je pense, et avec tout le respect pour la langue d'une partie de mes ancêtres occitans dont la version pyrénéenne a enfanté le catalan, j'en viens aussi à me poser la question du bien-fondé de la résurrection (et non pas du maintien) des parlers régionaux. Déclaration qui me vaudra une autre insulte, celle de "sale Français jacobin et raciste", déclaration qui au passage me fait rejoindre une prise de position très claire de Jean-Luc Mélenchon en 2014, lors du débat au Parlement européen sur les langues régionales. Selon le dirigeant de La France insoumise, ces dialectes contribuent à "la décomposition de l'État" et sont facteurs "d'inégalités" "entre territoires et citoyens".
J'ajoute, et j'en suis convaincu, que quand, dans le contexte obsessionnel évoqué plus haut, la langue cesse d'être un moyen de communication, d'échange, de partage et qu'au contraire, elle est pensée comme un signe distinctif, un mur, une frontière, on entre dans un processus dangereux, celui qui fait toute la différence entre le patriotisme, "amour des siens", et le nationalisme, "haine des autres", pour reprendre le mot de Romain Gary, ennemi acharné du nazisme. On se met alors à parler patois, pire, à "penser patois". À rétrécir le Monde.
Sur ce, je vous laisse, j'ai des perdices à plumer. De beaux oiseaux chassés à Huesca, sur les terres des rois d'Aragon, ceux-là même qui firent de Barcelone une cité prospère, ouverte, rayonnante.



* Plus de trois mille entreprises parties dont les banques, baisse de 75% de l'investissement étranger au dernier trimestre, hausse du chômage, baisse de l'activité économique, chute du tourisme…
** Il n'y a absolument ici contre "les" Catalans. Je rappelle des principes somme toute universels. Ils seraient national-populistes zimbabwéens, guatémaltèques ou lapons, ce serait exactement pareil.




Commentaires

  1. Un très bon résumé de la situation. Comme Rajoy aura jamais le culot de proposer un référendum tout de suite, ni des éléctions centrales, on est encore parti pour des mois d'invectives et de coup d'état larvés j'en ai bien peur, à moins que une inspiration divine fasse élire un vrai politique, ouvert au compromis et au dialogue ce qui serait un miracle! Finalement un seul problème est résolu: la prospérité s'en est allée et avec elle l'idés que l'Espagne "vole" cet argent. Il n'y aura bientôt plus rien à "voler" à ce rythme là!

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