Vive le vin mature !

– Ce sera meilleur dans dix ans, vous verrez !

Combien de fois l'a-t-on entendue celle-là. À l'époque… Parce qu'avant, c'était le mètre-étalon: la capacité de garde. Pas forcément idiot d'ailleurs, si on veut connaître toute l'amplitude des arômes d'un vin, c'est quand même pas mal de taper dans le secondaire et le tertiaire. 

Le problème, c'est qu'on mélangeait tout, le fait qu'un jus soit construit pour la garde, donc l'ambition humaine, et le terroir sur lequel s'était exprimée cette ambition. On a ainsi découvert que certains "terroirs de garde" n'en étaient pas toujours, alors que d'autres si. Bref, que c'était plus compliqué que ce qui était marqué sur les prospectus ou dans les livres polis. Et que derrière le "rendez-vous dans dix ans", il y avait aussi parfois une façon d'excuser le manque de grâce de ce qu'on faisait déguster jeune au client potentiel en lui promettant des lendemains qui chantent.

À force donc d'en user et en abuser, la "bière de raisin" que j'évoquais dans ma dernière chronique a marqué des points. Parce qu'elle au moins, pas besoin de l'attendre dix ans. Au contraire! Pourtant, même dans cette époque où il paraît que les amateurs n'ont plus de caves, et les cavistes encore moins (à de rares exceptions près), le cru de garde (dont on va éviter de mesurer la grandeur) existe toujours. Si, si, je vous assure, il m'arrive parfois de le rencontrer, qu'il soit de Bordeaux, comme sur l'image d'en haut, de Bandol, de la Rioja, du Roussillon, de Loire*, de Cahors, de Porto où de je ne sais quelle partie du Monde où des vignerons ont décidé, contre vents et marées (contre médias et fisc aussi), de placer leur ambition dans ce projet au long cours.

En cette période où il n'y a pas un chef-lieu de canton qui n'accueille pas son évènement pinardier**, et où le Salon des Vignerons Indépendants a été un colossal succès montrant tout l'intérêt du grand public francilien pour le jus de raisin fermenté, je suis donc au regret de vous parler d'un salon de plus, le "salon des vins matures" (pouvais pas m'en empêcher…) qu'est Vinapogée qui se tient aujourd'hui au Palais Royal, à Paris. "Un acte militant" disent ses organisateurs, et je suis assez d'accord avec eux. Loin de moi l'idée de dénigrer les jus de plaisir immédiat, mais il me semble difficile de vouloir transmettre la culture du vin aux générations futures sans leur expliquer, sur les traces de Cervantes, qu'il faut parfois "donner du temps au temps". Attendre, laisser vieillir, ce n'est pas l'unique façon d'aimer ce vin, mais si elle se disparaît, il se rapprochera encore un peu plus plus du Coca-Cola, et donc de sa banalisation, pour ne pas dire de sa disparition.

En prime, il y a de belles bouteilles à Vinapogée, dont certaines que je connais intimement, à l'image de celles de Cosse & Maisonneuve (englouti un grand Laquets 2005 il y a une semaine), du Vieux Télégraphe, de Pibarnon, de Vaquer, Bizeul, de Joguet ou encore Taylor's à Porto; la liste complète est au bout de ce lien.

Dans ce drôle de monde, la mode impose de manger (quitte à faire dans le cache-misère) des entrecôtes d'origine incontrôlable de six mois, il ne me semble pas vain d'enseigner à ceux qui aiment le vin que leurs bouteilles, elles aussi (et peut-être encore davantage) nécessitent parfois un peu de patience.

* Loire, il y a tant d'exemples, mais assez systématiquement, je pense à Bourgueil ou Chinon.
** Ne soyons pas bégueules, c'est aussi l'occasion de beaux moments, avec d'abord ce clin d'œil, à Vienne (Autriche pas Isère) où était placardée cette affiche marrante (ci-dessus). Avec le salon bio du Carré du Temple à Paris qui a cartonné également. Et un salon italo-nature aujourd'hui encore, Vini di Vigniaioli, rue de Lappe, à l'Espace Durand-Dessert. Débouchages, conférences et expo de dessins avec notamment Michel Tolmer dont on se demande s'il est encore possible en 2017 d'ouvrir un bistrot ou d'organiser un salon sans qu'il ne soit sur l'affiche.