Le grand verre, ce danger.


On connaissait une méthode radicale pour faire baisser la fièvre: casser le thermomètre. Un groupe de chercheurs de l'université de Cambridge vient de trouver mieux. Il est vrai (j'en suis témoin) qu'on picole pas mal autour du Trinity College, du King's, du Queen's. Et pas que de l'eau de la Cam… Suffisamment en tout cas pour se mettre, en fin de soirée, à comparer les pommes et les oranges*.
C'est de consommation de vin qu'il s'agit. Après avoir visiblement vidé le contenu des burettes de la hiératique chapelle du King's en guise de travaux pratiques, nos trois compères, profs et élèves de l'Institut de Santé publique, dirigés par Theresa M. Marteau, en sont venus à une imparable conclusion: quand le verre est plus grand, la consommation de vin augmente. Hips! Leur étude rapportée par le British Medical Journal s'inquiète ainsi de la forte hausse de la consommation de vin au Royaume-Uni depuis les années soixante. Oubliant au passage (quand tu es bourré, tu ne peux pas penser à tout…), que dans le même temps, la consommation d'alcool fort et de bière avait violemment chuté. Et que malgré ce transfert vers le vin (dont les Britanniques restent per capita des consommateurs modestes), on boit moins, toutes catégories confondues outre-Manche. Peu importe, le raisonnement part de là, on boit davantage, c'est mal, donc il faut désigner un coupable.


Là, dans la pénombre du réfectoire du King's (où j'ai donné un jour une conférence, melsat** en main tandis que sur un écran un ami vigneron nageait nu dans une cuve***), ce coupable, il l'ont statistiquement désigné.
Car ils sont logiques, nos pieds nickelés de la recherche prohibitionniste. Eh oui, certains verres de dégustation atteignent désormais des contenances (brutes) impressionnantes, plus d'un demi-litre. Fort intelligemment, il se sont émus devant les pintes de vin que se servaient désormais les consommateurs trompés par les dimensions de leur godet. Parce que c'est sûr, le type qui a chez lui des Riedel Vinum XL de quatre-vingt-seize centilitres, il les remplit à ras-bord, au ménisque, comme Chez Mimile, le Routiers de Châteauroux…


Comme il se doit, cette impressionnante étude prend du recul, de la hauteur. Enfin, pas trop. "Nous ne savons pas si les verres que nous avons choisis sont représentatifs de leur époque" expliquent benoîtement les chercheurs de la bande à Marteau en soulignant "qu’ils n’ont pas pu obtenir les données de vente concernant ces verres". "Nous ne savons pas non plus, ajoutent-ils très Brexit spirit, si les tendances que nous observons [sans être sûrs de les avoir vraiment observées NDLR] en Angleterre se vérifient dans d’autres pays". Ah ben oui, c'est ballot, ça…
Alors, je vais vous dire, chez amis pieds nickelés, selon une étude un peu plus considérable que la vôtre et que je mène depuis des années, je peux vous dire qu'en restauration, effectivement, depuis le godets de cantine de mon enfance, on est passé, dans les endroits qui se respectent, à des modèles aux dimensions plus appropriées à l'appréciation du vin. En revanche, désolé, dans les pays de référence, cette augmentation du volume de la verrerie va de pair avec une baisse de la consommation de vin.
Premier exemple, la France, traditionnel bonnet d'âne en la matière. Il n'était pas rare il y a peu de voir encore des étoilés servir des vins culbutés des guindals de menus ouvriers, on y a fait des efforts depuis dix ans, tandis que les particuliers s'équipaient à IKEA de verres que ma grand-mère aurait qualifiés de "vases". En parallèle, la consommation per capita a baissé de 20%.
Second exemple, l'Espagne, peut-être un des pays où les restaurateurs o,t cassé la tirelire pour avoir de quoi servir dignement ce que malheureusement ils n'avaient pas en cave… Les particuliers leur ont emboîté le pas. Patatras, en matière de consommation, c'est la débandade totale, la bière et les alcools triomphent!
Peu importe, pas remis de leur cuite de la veille, les génies de Cambridge**** tirent un enseignement de leur non-démonstration. Tout en mettant en garde sur le fait qu'ils ne peuvent "pas affirmer que la hausse de la consommation de vin en Angleterre est due à l’augmentation de la taille du verre" ni "dire que la réduction de la taille des verres permettrait de faire diminuer la consommation d’alcool" ils préconisent néanmoins, doctement, sagement au gouvernement britannique "de réglementer la taille des verres".
L'alcool, c'est mal !




* "Les pommes et les poires" en français, mais en anglais, c'est "apples and oranges".
** Il me semble vous avoir déjà parlé de ce trésor gastronomique languedocien que l'on élabore entre Albi et Carcassonne, de part et d'autre de la Montagne noire. Une espèce de "boudin blanc" à base de rate, gorge, couenne et maigre de porc, lié aux œufs et au pain. On le sert froid ou, mieux, tiédi, sur une salade de pissenlits.
*** Je vous promets que ça, contrairement à l'étude des trois ivrognes, c'est du sérieux. Le vigneron, d'ailleurs, c'est Marc Valette de Saint-Chinian, que certains jeunes hommes regardaient ensuite bizarrement.
**** Dans le même genre de zouaves dont on se demande s'ils n'ont pas abusé de substances autrement plus puissantes et hallucinogènes que le vin, je vous conseille le professeur Nutt, un phénomène. Selon lui, d'ici une génération, on ne consommera plus d'alcool dans le monde occidental. Il est d'ailleurs en train de mettre au point une alternative synthétique. Bon, en même temps, le type a été viré en 2009 de l'organisme britannique de prévention de la toxicomanie car il estimait qu'il était plus dangereux de monter à cheval que de prendre de l'ectasy…


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