Le corbières déclassé et les gros crus.


Sur le papier, on doit passer un bon moment. Les invités arrivent avec deux-trois bouteilles qui feraient rêver pas mal de novices du Mondovino. Ceux en tout cas qui perdent encore du temps à lire les guides pinardiers spécialisés en grands et gros crus. Il y a ce riesling allemand, certes, c'est bon, quoique manquant un peu de nerf à mon goût, mais je vous ai déjà dit (ici notamment)à quel point j'ai du mal à marier ce genre de vin avec la nourriture méditerranéenne qui justement va occuper notre table. L'accent teuton sur des pimientos de Padrón, des anchois ou des gambas de Vilanova, franchement, je n'y arrive pas, je n'y arriverai jamais. Quitte à me répéter, j'ai l'impression de voir, comme dans Tintin, les Dupont(d) débouler en Turquie grimés dans un costume folklorique grec.


L'histoire, en fait, ce sont les rouges. Il y a d'abord le cas de ce châteauneuf-du-pape pour Américains. Clos Saint-Jean Deus ex-machina, millésime 2009 qui plus est. Dans les principaux guides sus-cités, c'est un carton: 99/100 affirme le Wine Advocate, 94 pour le Wine Spectator, 19/20 selon Gault-Millau. Évidemment, les notes, vous savez ce que je pense de ce principe à la fois infantile et vulgaire, faussement subjectif. Ce châteauneuf, il faudra à chacun beaucoup de volonté pour terminer son verre. Lourd, épais, fatiguant. La machine à remonter le temps nous situe quelque part entre 1995 et 2000, quand il était encore "très chic" de confondre vin et confiture.


Plus étonnant est le cas du Cornas de Clape. Clape, on ne déteste pas, même si depuis pas mal de temps on s'en va visiter d'autres noms de cette prestigieuse appellation rhodanienne, Paris, Allemand. Là, c'est la cuvée jeunes vignes, Renaissance, 2009 (oui, je sais, mais si le vin n'est pas au niveau, on ne le sort pas). Le tarif est bien plus raisonnable que celui du châteauneuf, un soixantaine d'euros, contre cent-cinquante à deux-cents, voir davantage pour le premier (ce qui à mon goût est parfaitement ridicule). Mais, bon, ces soixante euros représentent quand même une somme: on sait que le prix moyen mis dans une bouteille de vin en France s'élève à cinq ou six euros, dix fois moins! Et, tant pis si l'on me taxe de poujadisme*, l'addition paraît d'autant plus élevée au moment où l'on se dit que cette syrah usée, cuite, oxydée a plus sa place au fond de l'évier que dans son verre.


Et puis, Deus ex-machina (désolé, c'était facile…), arrive le sauveur. Jeune vin d'un jeune couple récemment immigré dans les Corbières. Oui, oui, dans les Corbières, cette appellation immense par la superficie mais généralement décevante eu égard à la qualité de ce qu'on y produit. Sur le papier (on y revient), on devrait y trouver pléthore de jus intéressants, à l'image des géologies, des reliefs, des climats rencontrés. Pourtant, les belles bouteilles (à l'image de celles de Rémi Jaillet, de Guillaume Boussens ou de Paul Old) restent rares, face à la toute-puissance du kolkhoze et par la force de ses mauvaises habitudes, la culture vigneronne, dont ce pays manque cruellement, a bien du mal à s'implanter.


Pourtant, Gaelle la Bourguignonne, et Florian l'Allemand (ci-dessous), qui se sont rencontrés en étudiant l'œnologie à Beaune, ont décidé d'aller se perdre sur les hauteurs de Saint-Victor, à Fontjoncouse, et d'y vivre leur amour biodynamique de la vigne et du vin. Dans cette soirée qu'aurait pu ternir l'envahissante prétention des gros crus précédents, leur rouge (carignan majoritaire + grenache) redonne à tous l'envie de boire. Malgré les quinze chevaux de son joli moteur, ce vin puissant s'appuie sur une jolie structure pour rester frais et digeste. Attention (message destiné aux Parisiens du XIe), ce n'est pas une carbo doucereuse, mais un vrai vin qui en terme de profondeur écrase sans problème l'épais châteauneuf et le cornas fané. Même s'il est délicieux maintenant, je vous conseillerais bien de le conserver quelques années.

Comme il se doit, le Domaine des 2 Clés a vu certaines de ses cuvées** déclassées par les autorités incompétentes et est donc vendu en IGP Vallée du Paradis. Mais compte tenu des picrates de coopé qui constituent localement la norme au même titre que l'apéro-Ricard, on peut comprendre que les fins dégustateurs du coin aient trouvé les vins "atypiques"…



* Dans le genre poujadiste pinardier, deux merles ces jours-ci, dignes des lepenomélenchoneries sur "le matheux": d'abord ce blog scientifique spécial bec-en-zinc qui nous explique que finalement autant boire dans des gobelets en plastique, ensuite ce concours à la con relayé par la Presse, de LCI au Figaro en passant par Ouest-France, selon lequel un rosé du discounteur Aldi est "le meilleur du Monde".
** Gaelle et Florian Richter produisent également un joli blanc un poil nature sur les bords.


Commentaires

  1. Je connais un nouveau maître de chai qui se damnerait pour avoir du Deus ex Machina. Comme quoi...Il vaut peut être mieux qu'il continue à rêver ?

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    1. C'est son anniversaire aujourd'hui. Je vais l'épargner.

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    2. Un grand vigneron sudiste vient de le goûter à son tour: "imbuvable!"

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  2. Un AOC déclassé après dégustation en IGP?
    Un AOP ou un IGP déclassé est automatiquement un vin de table.
    Bref ce vin a été présenté directement en IGP et accepté tel quel.
    Donc l'histoire est peut être belle, le vin certainement bon(je ne le connais pas),elle permet un propos acerbe mais elle est infondé donc elle aussi "imbuvable!"

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    1. Cher anonyme (ou dois-je vous appeler maître Corbeau?), j'utilise le terme "déclassement" pour le plaisir du jeu de mots, j'imagine que la quasi-totalité de mes lecteurs, spirituels eux, l'ont parfaitement compris. C'est en fait un repli voulu à la suite d'une déconvenue à la suite d'une déconvenue* avec les becs-en-zinc qui dégustent pour l'ODG, pour le syndicat. Ça ne change rien au fait qu'il me semble inadmissible, quand on voit le piètre niveau gustatif et l'image désastreuse des corbières, que des vins de ce calibre soient mis hors-jeu pour des chicayas kolkhoziens de bas-étage (double pléonasme?).

      * Un échantillon ajourné, refusé à la dégustation pour "acescence" alors mêmes que les analyses étaient conformes. Je précises que les vignerons en question sortent de Beaune…

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  3. Interessant cette blague de meilleur rose du monde...ils avaient fait le meme coup en Australie avec un rose a 5$ de la yarra valley (produit par de bortoli il me semble), qui avait rafflait la mise au sydney wine show. on pourrait presque s'amuser de la coincidence...au fait?! Ca coute combien un jury de nos jours?

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