Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu bois.


L'idée de cette chronique m'est venue en admirant la merveilleuse nature morte (morte, vraiment !) du buffet offert par un puissant propriétaire bordelais, récemment passé à l'agriculture biologique. Tomates en plastique, fraises en bois, saucisson plus rouge que nature… je ne sais pas pourquoi, j'ai eu comme un doute sur la sincérité de sa bruyante conversion. 
Mais ne profitons pas de la semaine des primeurs de Bordeaux qui s'est achevée avant de commencer* pour dire du mal des stars girondines. L'incohérence, en la matière, est une vertu largement partagée, quasiment universelle dans le Mondovino. À des lieues du clochard céleste sus-cité, combien de fois avons nous vu (en Espagne mais pas que) de grands apôtres du naturisme intégral** se délecter de malbouffe chimico-moléculaire, pour peu qu'elle s'affiche à la mode et que l'empoisonneur s'équipe d'un sommelier tatoué.


Pourtant, dans les peuplades considérées comme civilisées, prohibant entre autres le Coca-Cola, le verre et l'assiette sont sensés se répondre, voire entrer en harmonie. Ce qui, par parenthèse, donne souvent lieu aux accords (discipline sportive parfois contestable) les plus fulgurants du style vin jaune / comté, manzanilla / jamón ou pauillac / agneau-de-pauillac.
Alors bien sûr, même si l'idéal serait peut-être d'aller visiter le frigo, le garde-manger du vigneron avant de descendre dans sa cave, ce n'est pas toujours évident. N'empêche qu'à chaque fois que j'ai pu le faire, j'ai constaté qu'il y avait une réelle corrélation entre la nourriture qu'il consommait et la boisson qu'il produisait. Cela concerne bien sûr les "vignerons qui font le vin", mais franchement ce petit test fonctionne également de façon très efficace avec d'autres acteurs du milieu pinardier. Voyez ce caviste dopé au Nutella, croyez-vous vraiment qu'il pourra comprendre des jus droits, secs? Ce journaliste ou assimilé adepte du pousse-caddie aura-t-il la moindre possibilité d'entendre la délicatesse, la finesse? Le flambeur, drogué des marques, des noms pourra-t-il devenir autre chose qu'un vulgaire buveur d'étiquettes?


C'est tout simplement d'éducation qu'il est question. Le goût est un tout, une sensibilité globale, voire un état d'esprit. Comme une sorte d'ADN culturel que nous nous construisons de notre naissance à notre mort. Et il serait absurde de penser que suivant l'état de ce que nous ingérons, solide ou liquide, des portes s'ouvrent et se ferment.
Alors, dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu bois.




* Il est de bon ton de geindre, ces jours-ci, quand les critiques américains publient leurs notes avant même que ne débute le pince-fesse et les mondanités. Rappelons à tous que du vivant du Wine Advocate, quand Parker avait dégusté, la messe était dite, la plaisanterie était pliée.
** Je ne sais plus si je vous avais déjà rapporté cette phrase d'un vigneron du Minervois, pourtant plutôt en pointe dans le domaine des vins nus, balançant à propos d'un marchand de vin un tantinet extrémiste: "oh, lui, il a passé le stade du naturel, il n'aime que le surnaturel"…


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