La cruauté de l'eau.


Immanquablement, ses tableaux m'évoquaient le film-culte de mon adolescence, celui dont on connaissait les répliques par cœur. Jusqu'à ce que j'apprenne, très récemment, que la série Les opéras glacés avaient bel et bien inspiré le Diva de Jean-Jacques Beineix.
La mort qui rôdait dans ses toiles au parfum bleuté, aquatique, de polar américain revisité 80's a fini par rattraper Jacques Monory. Sans Python 357, ni aucun des artifices équipant les cow-boys urbains au blouson bosselé qui hantaient encore l'asphalte forcément mouillé de l'époque, entre un bloody mary au Conway's et une coupette impromptue avec Serge au Rose Bonbon, sur une bande-son hésitant entre le Tom Waits de Blue valentines, le décoiffant Storm the embassy des Stray Cats et, pour justement faire plaisir aux coiffeuses, un Just can't get enough  aussi synthétique qu'un Régé Color


L'Opéra… Puisqu'il pleut encore aujourd'hui sur ce Minervois des confins de l'Aude et de l'Hérault, il me faut absolument songer à monter aux carrières de marbre rouge de Félines ou de Caunes, celles-là même qui ont teinté d'incarnat les colonnes du Palais Garnier*. C'est Fred, le restaurateur fantasque de l'Hôtel d'Alibert** à Caunes qui nous a soufflé l'idée l'autre jour alors que, littéralement, le ciel nous tombait sur la tête. L'eau a ceci de magique qu'elle révèle la rutilance du marbre brut, terne sous le soleil habituel.


Comment ne pas vous vous parler de pluie ? Oh, pas pour vous saouler avec la météo comme ces vieux qui n'aiment rien de plus que de vous parler du temps qu'il fait pour éviter de penser au temps qui passe. Juste parce que je renoue avec ce coin de Languedoc au milieu d'un terrifiant cataclysme. L'eau, ici, ne connaît pas la modération. Absente la plupart du temps, elle ne se manifeste qu'avec violence. Le phénomène est naturel, mais fortement accentué par l'accumulation des erreurs*** de l'Homme qui plante des pavillons dans les potagers et remplace la vigne par des parkings.


Sur les coteaux du haut-Minervois, nous l'avons vue dévaler toute la nuit, cette eau qui est allée dévaster la plaine de l'Aude. Une eau qui n'avait plus rien des bleus électriques de Monory, ocre, rouge, déchaînée. Nous avons entendu sa colère, la colère de la Nature. La montagne qui lui a donné naissance était un combat. N'oublions pas trop vite, dès que l'habituel soleil sera revenu, les erreurs sus-citées. Modifions drastiquement nos façons de vivre. Contrairement à ce que vous chantent les quatre-par-trois de la pub et les vendeurs de soupe, nous n'avons pas le choix.


En attendant, il faut aider les survivants, dont l'intimité a parfois été balayée par la vague brune. Je pense à ce moment précis à un couple de restaurateurs de Trèbes, au bord du Canal du Midi. À leur établissement, Le moulin, que nous visiterons dès le nettoyage fait. Je pense à Amélie Roujou de Boubée, la sœur de mon copain Dominique qui bricole amoureusement le trousseau en Galice: sa splendide chambre d'hôte, la Métairie Monplaisir, digne d'un Relais & Châteaux a été noyée par le déluge. Je pense à Carine la néo-vigneronne en cuissardes dans sa cuisine transformée en piscine; je la goûterai très vite ta syrah bizarre. Et puis je pense, à tous les autres que je ne connais pas, à leurs larmes, au froid qui arrive, à la tristesse qui s'installe.


Il y a toujours plus pauvre que soi, alors aidons-les. Comme nous pouvons. Aidons-les comme tant de gens nous aident en silence. Je vous écris ça en pliant quelques vieilles chemises chaudes qu'on portera à la mairie. On a tous beaucoup trop dans nos penderies, dans nos placards. Dans nos garde-mangers aussi.
Donnons, partageons, comme le font tant de gens ici qui ont échappé à la catastrophe. Pensons aussi, pour oublier la cruauté de l'eau, à boire du vin d'ici, du Minervois, du Cabardès.


Par parenthèse, cette solidarité, la générosité naturelle me touche d'autant plus dans cette région pas très riche, moi qui débarque d'une autre région, plus riche, où l'avarice, la pingrerie, l'égoïsme ont été érigés en art de vivre (et en philosophie politique). Et me remet en mémoire un souvenir né d'un autre cataclysme de ce genre, c'était en 1999 dans les Corbières. J'avais, de la même façon, porté un pacot de fringues à la mairie d'un village dévasté par les innondations. J'y avais ajouté un maillot de rugby auquel je tenais, celui des Harlequins (ci-dessus) rapporté d'une finale de la coupe d'Europe, me disant qu'il redonnerait peut-être le sourire à quelqu'un. Un ou deux ans plus tard, traversant le village en voiture, j'ai aperçu un gamin jouant au ballon dans ce maillot bigarré et un peu trop grand. Jamais un bout de tissu ne m'a rendu aussi heureux. 




* Du Petit Trianon aussi, de tant de bénitiers et de cuisines de femmes de docteurs.
** Restaurant historique de ce village sublime (à l'image de la façade ci-dessous), restaurant quand le patron en a envie. On ira y manger une tête de veau cet hiver, ou une blanquette d'agneau, loin de la cuisine pour détraqués alimentaires et fashionistas souffreteuses. L'Hôtel d'Alibert est également un hôtel-musée, avec des chambres pour dormir (et plus si affinités), à recommander aux amoureux. 
*** Le mot "faute" me titillait le clavier, mais la période n'est pas (encore) à la polémique.


Commentaires

  1. Merci Vincent. Un texte comme une arche sur les eaux furieuses. Des mots choisis, plein d'amour et de compassion. Merci

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